Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
30 janvier 1975 4 30 /01 /janvier /1975 23:00

Article paru dans L'Unité du 31/01/1975 :

Le business a tué le show. L'argent a tué le spectacle. C'est à coups d'opération de guerillas que la jeune chanson tente de remonter le courant.

Chaque année le show-business français produit plusieurs dizaines de disques. Un nouvel interprète naît chaque semaine. Si on se contentait de laisser parler les statistiques, le bulletin de santé de la chanson frnaçaise serait plutôt réjouissant. En fait, ces chiffres ne montrent que l'aspect économique du problème : Eddie Barclay fait de bonnes affaires et Philips-France a quadruplé son chiffre d'affaires en huit ans.Derrière ce rideau de satisfaction, un critère : la rentabilité ; et une politique : le "tube".
Le phénomène a pris son élan dans les années 1955-60. La radio et la télévision se sont alors substituées aux salles de spectacles. La consommation "chansonnière" se fait désormais à domicile, selon le bon vouloir des animateurs radios ou des Guy Lux de service, selon les recommandations des directeurs de maisons de disques et des patrons de radio. Dans le cas de Sylvain Floirat qui dirige à la fois Europe 1 et Disc'Az, les recommandations ne sont même pas contradictoires...
Dans un tel système, tout passe désormais par le disque. En studi d'enregistrement, on fabrique une "vedette" dont l'étoile va briller trois semaines au firmament des juke-boxes et des hit-parades : le temps d'un tube, le temps d'une opération financière. Amour a rimé avec toujours. Le malheureux chanteur peut retourner à ses oubliettes.
Qui ne vend pas de disques ne vit pas. Qui ne vend pas de disques n'intéresse ni les maisons de disques ni les radios. Qui ne passe pas sur les radios  n'est pas connu du public. Qui n'est pas connu du public ne remplit pas les salles. Qui ne remplit pas les salles ne peut prétendre à faire un disque. Qui ne peut pas faire un disque est réduit au silences, etc. Voilà comment de jeunes artistes ont fini employés de banque ou sapeurs-pompiers. Ce serpent qui se mort la queue, cet infernal cercle vicieux, tous ceux qui ont refusé les dessous de table et les trafics du show-business le connaissent. Refuser de donner dans la médiocrité, refuser de faire un tube est une chose. Tenir bon, resteur chanteur malgré ce refus est autrement difficile.
Marginaux ou parallèles
Le "matraquage" radiophonique tend à faire croire que la "jeune chanson française de qualité" (sic!) se réduit à 5 noms : les "persévérants" Michel Delpech, Serge lama et Daniel Guichard ; les "météores" Alan Stivell et Maxime Le Forestier. On s'aperçoit parfois que "Maxime a des enfants" : Yves Simon, Dick Annegarn et Michel Caradet. On s'en aperçoit parce que "ça commence à se vendre". Bien sûr, ces gens-là sont, chacun à leur façon, chanteurs de qualité. Mais comment oser réduire la "jeune chanson" à leurs seuls noms ? Comment oser balayer les autres avec un anathème commode : "Ce sont des marginaux" ? La faute à qui ? La chanson est un art public ; pourquoi des ribambelles de chanteurs se complairaient-ils dans l'ombre de l'anonymat ? La vérité est autre : en laissant écolre un Le Forestier de temps à autre, les requins du show-business se donnent un alibi ; mais si trop de talents surgissaient à l'avant-scène, si le public découvrait autre chose que la guimauve qu'on lui jette en pâture avec mépris, c'en serait fini des tubes à la petite semaine et des avantages financiers qui s'ensuivent...
Le business a tué le show. L'argent a tué le spectacle. C'est à contre-courant de cette décimation que l'on voit, depuis un an, des initiatives diverses tenter d'abatrre le mur de silence qui entoure certains noms. A Paris, au moment où fermait le cabaret l'Ecluse, on a vu naîtrre la Pizza du Marais ; elle a servi de porte-voix à quelques francs-tireurs : à Henri Tachan, à Jacques Yvart, à Jacques Higelin, à Henri Gougaud. A Avignon, au cours du dernier Festival, Jean-François Millier lançait l'opération "Chansons pour aujourd'hui" : dans la foulée de Claude Nougaro, Léo Ferré et Alan Stivell, il lançait Jean Sommer, Colette Magny et Catherine Ribeiro, le breton Gilles Servat et l'Occitan Marti. Il a récidivé à la rentrée 1974 dans un vieux théâtre de boulevard, à la Renaissance ; là se sont succédé Mouloudji, Pauline Julien, François Béranger et Anne Sylvestre ; avec en prime, Gilles Vigneault. Tous ont rempli la salle. "La situation est ambiguë, dit Jean-François Millier. Mais c'est la seule voie possible. Nous en sommes arrivés à détourner à son profit le rôle d'asservissement joué par les mass-média. Aux chanteurs eux-mêmes d'accélérer le mouvement."
Passer à l'attaque : c'est exactement ce qu'on fait les "marginaux" en octobre et novembre derniers au Théâtre des Deux-Portes, à Paris, et à la Maison pour tous Pablo-Neruda, à Bagnolet. Sur le thème "La chanson doit être sortie du ghetto dans lequel le plonge l'industrie", l'intervention d'Action-Chanson a permis à Serge Kerual, Anne et Gilles, Brigitte Sauvane, Christian Dente, Pantchenko, Joan Pau Verdier et 20 autres de se faire entendre. En écho, le Sigma-Chanson de Bordeaux est parti "à la recherche du chant perdu et de la chanson populaire". Il y avait là toutes les expressions ethniques : l'Alsace avec Roger Siffert, la Bretagne avec les Diaouled Ar Menez, l'Occitanie avec Eric Fraj, mais aussi Rosito et Martina De Peire, la Catalogne avec Ramon Muns et surtout l'étonnante Teresa Rebull, le Pays basque enfin avec Maïté Idirin et Bernard Sarralosa. Le Sigma a également fait le tour du non-parisianisme : Jacques Barthes venu de Montpellier, Jean-François Morange de La Bourboule, Patrick Ochs de Périgueux, Claire de Besançon, Jean Sommier est venu un soir. Jacques Yvart aussi. Et Bernard Lavilliers. La fête a eu son feu d'artifice avec le spectacle "Femmes en lutte" de Colette Magny - Catherine Ribeiro - Toto Bissainthe : des solos, des chants communs et des improvisations en "chabada" ; Dieu, quelle soirée !
Assaut sur l'Olympia
Sur leur lancée de Bordeaux, Catherine Ribeiro, puis Colette Magny, en compagnie de Toto Bissainthe, ont pris d'assaut le sanctuaire inviolable de la chanson commerciale : l'Olympia, gadget du mercantile Bruno Coquatrix. Dans le même temps, le Théâtre Mouffetard devenit lieu quotidien de rencontres avec la chanson : Juols Beaucarnes, Jean Sommer, Bernard lavilliers et Henri Gougaud s'y succédaient ; Gilles Elbaz va bientôt prendre le reais. Et, dans les Maisons de jeunes et de la culture, dans les Foyers, auprès des comités d'entreprise, d'autres trouvaient des lieux pour les accueillir : Annie Nobel et Philippe Richeux, Jean-Claude Monnet, etc. Toutes ces manifestations prouvent que le harcèlement finit par payer : les marginaux sont devenus des "parallèles" ; ils ont forcé des portes, mis en place leurs propres circuits et mis au point leur propre mode d'intervention.
L'offensive avait réellement commencé il y a 5 ans autour de l'émission (sur France-Inter) de Luc Bérimont, "La fine fleur". C'est à cette occasion que s'étaient faits connaître Jean-Luc Juvin, Jean Vasca, Gilles Elbaz et Jacques Bertin. De petites maisons de disques, sans rapport avec les trusts français ou américains, ont pris la suite de Bérimont : Moshe Naïm a diffusé Luc Romann ; La Chant du monde, Claude Réva, Colette Magny et Jean-Max Brua ; les disques du Cavalier, Henri Gougaud et Jean Moisiard ; le Studio SM, Jean Humenry et Bernard Maillant ; Savarah (dirigé par Pierre Barouh), Areski, Brigitte Fontaine et beaucoup d'autres ; les disques Aluarez ont repris "l'écurie de la fine fleur". Un animateur de radio a avoué récemment : "Ces disques-là, nous les apportons chez nous ; ce sont les seuls que nous écoutons avec joie". Mais ils ne les passent pas à l'antenne !
La jeune chanson a des réserves considérables. En s'organisant ou en improvisant des opérations de guerilla contre le show-business, elle a marqué des points. Mais l'essentiel de sa force est dans la véhémence et le "feu sacré" de ses troupes. Si le complot de silence qui l'entoure perd du terrain, elle le doit surtout à quelques éléments forts. Humainement, et artistiquement forts. Elle le doit à Jacques Bertin et Bernard Lavilliers, à Jean Sommer et François Béranger, à Colette Magny et Catherine Ribeiro. Ceux-là, en ne cédant pas devant le chantage des faiseurs de tube, en tenant contre vents financiers et marées démagogiques, ont ouvert le chemin aux autres. La jeune chanson n'a pas gagné son paradis. Mais elle a déjà vaincu le découragement. C'est important en des temps où - pour prendre un seul exemple - Christian Dente a mis sur pied un tour de chant de 30 chansons (dont il est l'auteur et le compositeur)... que personne ne connaît, que personne n'a voulu enregistrer !
JEAN-PAUL LIEGEOIS

Partager cet article
Repost0
22 janvier 1975 3 22 /01 /janvier /1975 07:09

Article de Jacques Bertrand paru dans Télérama n°1306 du 22/01/1975 :

Elles passent d'une chaîne à l'autre, les « vedettes ». Quelquefois dans la même semaine. Dans la chanson, en particulier, quelques-uns ne vivent que du disque et du petit écran. Il y en a d'autres pourtant, et qui remplissent les salles de spectacle, à Paris et en province, mais dont on se dit peut-être qu'ils dérangeraient les téléspectateurs. Il faut tout de même savoir qu'ils existent. Télérama aimerait rappeler cette semaine que l'on n'a pas vu depuis très longtemps à la télévision « une grande dame de la chanson française » qui s'est toujours refusée à tronquer son répertoire : Colette Magny.

Colette Magny
Véhémente, farouche, elle chante le blues de l'amour

Melocoton, dis, où elle est maman ? J'en sais rien, viens, donne-moi la main... Oui, c'était elle. Il y a longtemps. Mais la grande horloge du show-business s'est arrêtée là. Colette Magny, qui changeait de métier à trente-six ans, troquait sa machine à écrire contre une guitare, était en passe de de-venir la « première grande chanteuse de blues française » : un mois de cabaret et puis l'Olympia — belle voix chaude, puissante, incantatoire — le blues qui fond dans la bouche, pas dans la main... On s'était lourdement trompé. Sur les blues. Mais à la radio, aujourd'hui encore, on ne connaît de Colette Magny que Melocoton. Belle chanson sans doute. Et ce qu'elle a chanté depuis est trop — comment dirais-je.? — trop peu rassurant. Chronique du Nord, Répression, Babylone U.S.A., Cherokee, avec Beb Guérin qui danse avec sa contrebasse, ce n'est pas — dit-on dans les milieux généralement bien informés — pour ceux qui ont de la confiture dans les oreilles. Ça déborde pourtant d'une tendresse immense, Magny la colère. Elle prend des notes ici et là, ce que les gens disent de leur vie, et musique. Chansons semi-coilectives, chroniques « ouvrières » au plein sens du mot : des textes pour lesquels tout un monde a « oeuvré ».
Mais commençons par le commencement.

L'INTERVIEW

Dans son petit appartement, sobrement décoré, du XIXe arrondissement de Paris, une silhouette noire sur le mur du couloir : Maïakovsky. « L'avenir ne viendra pas tout seul. Il faudra prendre des mesures... »
J'aime bien la conversation, mais on dit parfois, au fil de la discussion, des choses un lâches qui, une fois écrites, donnent une idée fausse de la réalité... Mais où est
ton micro ?
— Il est incorporé.
— Et tu crois que ça prend ?
— J'espère.
— On n'arrête pas le progrès...
Tiens, tu vois, ce genre de phrase, « on n'arrête pas le progrès » : si tu écris ça, de quoi j'ai l'air ? Pourtant, je ne peux pas nier l'avoir dit.
Elle ne peut pas nier l'avoir dit.

LE DERISOIRE

C'est triste, je n'ai rien écrit depuis trois ans. J'ai des dossiers, des enquêtes... je n'ai pas rien fait. Mais le sentiment du dérisoire, quoi... Et puis aussi un certain malentendu.... Tout ce que j'ai écrit, je ne l'ai pas écrit parce que je lis le journal ou parce que je me dis que je suis au service de la classe ouvrière, mais parce qu'un jour j'ai rencontré des gens et que j'ai été frappée par des situations. Seulement II y a toujours quelque part des prisonniers politiques qui risquent gros. La torture ici, là un insoumis. On me téléphone. J'ai fini par me sentir une espèce de distributeur à chansons politiques : une chanson pour le Chili, une chanson pour les Indiens, une chanson pour l'insoumis... Excuse-moi, je m'énerve.

LE BREVET

Alors, pour se détendre, elle a levé la jambe. Oui. En mesure. C'était à Bordeaux, pour Sigma Chanson III, en compagnie de Toto Bissainthe et de Catherine Ribeiro. Composition libre sur le thème de Comme les rois mages en Galilée... Sheila ne s'en est jamais remise. Il va bien falloir en sortir, de « la grande panade »
Je ne pense pas que parler de moi ait beaucoup d'intérêt. Toutes les vies se ressemblent. Les mêmes échecs, les mêmes réussites, à des époques différentes, c'est tout. Je dis je pour un Vietnamien, je pour un Cubain. Moi, je suis derrière, ou à côté...
» Mais je ne veux pas recommencer les mêmes choses. Je suis en retard sur moi. Il faut que je retrouve mon souffle.
Le public, elle se demande ce que c'est, et quel peut être le sien. Mais lorsque, véhémente, farouche, c'est le blues de l'amour qu'elle chante : on l'accuse de trahison — elle sort son brevet.
Je le répète souvent, c'est un peu mesquin de ma part, mais je m'adresse à tous ceux qui passent leur temps à me donner des leçons, à m'asséner leurs vérités et patati et patata : j'ai travaillé pendant vingt ans. Je sais : le pool dactylographique de l'O.C.D.E. ce n'est pas l'usine. Il y avait Charles Denner parmi les huissiers et Jean-Marie Drot aux stencils. Mais ça fait mal à la tête et au dos. C'est pourquoi je me permets d'y faire allusion parce que, bon, j'ai eu mon brevet, les copains, la barbe, j'ai vécu.
» Je n'ai pas à écrire pour les gens : il y a cent mille sensibilités. Mais je me demande comment le public reçoit mes chansons. Je le saurais peut-être si elles étaient diffusées par la radio ou par la télévision...

LA PINTADE

Pas chanteuse « militante », Colette Magny, chanteuse tout entière. Exigeante, insatisfaite, elle se retire dans le Midi pour une saison studieuse. Dans sa pile de dossiers, un vieux rêve : la pintade.
Sur la pintade, que l'on retrouve dans de nombreux rites et contes africains, elle sait tout, ses maladies, son élevage, les statuts des coopératives d'éleveurs. Avec cet animal — qui, bien que domestiqué pendant plusieurs générations, peut redevenir sauvage en un an — elle a remonté le fil de l'histoire de la paysannerie. Cela donnera peut-être, dit-elle, une chose musicale.
Blues de la pintade ou blues de la répression, il faudra bien que Colette Magny se fasse entendre.

AVERTISSEMENT

Gens du spectacle, publics en tous genres, n'oubliez pas Colette Magny. Elle travaille, dans son coin de Provence, le cri de la pintade sur fond de chants révolutionnaires. Mais si dans un an, elle était encore seule, ce diable de bonne femme pourrait bien redevenir sauvage.

Jacques BERTRAND

Colette Magny a enregistré au Chant du monde : Vietnam 67 (74319), Magny 68 (TK 01), Feu et rythme (74444), Répression (74476).

Partager cet article
Repost0
12 décembre 1974 4 12 /12 /décembre /1974 14:53

Article paru dans Témoignage Chrétien du 12/12/1974 :

Voici déjà plus de dix ans que CoIette Magny s'exprime par la chanson. Sans concession, refusant la carrière commerciale qu'elle pouvait espérer à l'époque de « Melocotton » qui atteignit le sommet des hit-parades, en pleine période yé-yé. Censurée par la radio et la télévision elle s'est imposée par ses recherches musicales et sonores, et aussi par la force de ses textes.

     « On a collé à mes chansons des étiquettes dont j'ai horreur. Je n'ai jamais fait de chanson politique, militante ou dite « engagée », systématiquement. Cela a été le fait de rencontres avec des hommes et des femmes où, avec des situations. Il s'est trouvé que l'actualité directe disons, évidente, m'a frappée plus que des choses nées de l'imagination. » C'est ainsi qu'en 1967, elle consacre un disque au Vietnam (1). Elle y chante aussi la poétesse Louise Labbé. De même, en 1968, elle salue le mois de mai dans « Nous sommes le pouvoir » (2). Dans son troisième disque « Feu et rythme » (3), elle aborde le problème noir aux Etats-Unis. Elle y revient dans « Répression », disque sorti il y a déjà deux ans.

     Mais sonactivité est plus étendue. Elle chante dans les foyers de jeunes travailleurs, les MJC, les usines; Les galas de soutien auxquels elle a participé ne se comptent plus. On l'a vu aussi bien chez les « Lip » qu'au Larzac. Trop souvent cependant on l'a utilisée. « Je suis une chanteuse potiche » dit-elle. Des groupuscules d'extrême gauche l'insultent parfois, la traitant de « crapule stalinienne et réactionnaire qui utilise le mot révolution pour faire du pognon et du réformisme ». Elle en est scandalisée. « II y a huit ans, dit-elle, c'étaient les fascistes qui venaient m'attaquer et j'étais seule à l'époque, moins connue que maintenant. Mais qu'actuellement ce soit une partie de l'extrême-gauche, si infime soit-elle, qui me traîne dans la boue et perturbe mes spectacles, je n'en reviens pas ! » Et d'ajouter : « de tout cela, j'ai failli crever au mois d'avril ! »

   Elle n'en continue pas moins son combat à travers la chanson avec détermination. La meilleure preuve en est sa participation au spectacle collectif « Chants de femmes » présenté pour la première fois au « Capitole » de Bordeaux lors de la semaine du « SIGMA 74 », les 22 et 23 novembre derniers. Avec Catherine Ribeiro et Toto Bissainthe, elle a enthousiasmé les cinq mille spectateurs présents. Elle sera à Paris le 15 décembre à l'Olympia. Et à nouveau, le 19 décembre, elle participera avec Francesca Solleville, Graeme AlIwright, aux « 4 heures pour la Palestine», toujours à Paris, salle de la Mutualité. Depuis décembre 1970 où elle avait chanté à la salle Gaveau on ne l'avait plus entendue. Une raison supplémentaire, pour aller l'écouter ces prochains jours.

Jean RABINOVICl

  (1) « Vietnam 67 » 30 cm Le chant du Monde TK 74319
  (2) « Magny 68 » 30 cm Le chant du Monde TK 01
  (3) « Feu et Rythme » 30 cm Le Chant du Monde 74.444
  (4) « Répression » 30 cm Le Chant du Monde 74.476

 

Partager cet article
Repost0
1 juin 1974 6 01 /06 /juin /1974 13:47
Charlie-Hebdo :

"Bordeaux : Chants de Femmes... Qu'elles étaient belles, ces trois femmes ! Bissainthe et ses chants d'Haïti, Ribeiro qui hurlait "je hais la violence" et Magny qui chantait des textes théoriques sur la révolution. Si c'est ça le music-hall, j'aime le music-hall !... C'est elles les vraies chanteuses populaires".
Partager cet article
Repost0
1 juin 1974 6 01 /06 /juin /1974 10:28
Article publié dans le n°201 de Jazz Magazine de juin 1974 :



Un jour sans doute, le discours qui se tient ici ou là sur le jazz fera un sort (c'est le mot ?) aux marginaux. C'est-à-dire à ceux qui s'inscrivent dans les marges du jazz. Telle Colette Magny. Non d'ailleurs en ce que la marge intime d'extériorité, mais bien clans ce rapport consenti que la mise à distance prévient. Chanteuse de jazz, non. Chanteuse de blues, sûrement pas. Il y faudrait, dit-elle, l'improvisation. Et pourtant, la part de l'improvisation assignée au cri, à la rage de chanter, c'est bien cela que pour nous Colette Magny dévoile. Elle parvient, par un paradoxe déroutant, à mettre à découvert ce qui précisément assure l'incontournable étrangeté du blues, de sa parole et de son chant. Seuls, ses cris, ses vociférations modulées — l'inadmissible du chant — donnent au texte de LeRoi Jones (Brave Nègre) les accents de l'impossible. L'étonnant, mais ce serait plutôt feindre la surprise, est que le « sujet prédominant » dont il est tant question, demeure — mal gré qu'elle en ait — son chant même et sa force d'insurrection. Nulle prétention donc à se donner un langage et une syntaxe homologues aux pratiques des musiciens free. Ils sont même, en tant qu'évaluation préalable, de première nécessité.  Là se désigne, pour Colette Magny, le lieu même de son travail, toujours non-fini : ne pas jouer le faux rapport d'identification aux chanteuses de blues, mais prendre à la lettre la métaphore du blues. — Francis Marmande.

Jazz Magazine Vous êtes-vous jamais considérée, Colette Magny, comme une chanteuse de jazz ?

Colette Magny
Non... Tout à fait au début, quand j'ai commencé d'interpréter des chansons comme Melocoton et des blues, et surtout après mon passage à l'Olympia, la « grande presse » m'a collé l'étiquette « chanteuse de blues ». Je n'en suis pas responsable... Et ça n'était pas vrai : je chantais des chansons américaines qui se trouvaient être des blues, mais je n'étais pas une chanteuse de blues. Je sais, pour les aimer, que les chanteurs et chanteuses de blues improvisent, ce que je ne taisais pas... Plus récemment, on m'a demandé si j'étais une chanteuse de free-jazz. Je ne peux répondre oui, ce serait faux. Je collabore, et j'en suis très heureuse, avec des musiciens free, mais je ne peux prétendre être une chanteuse free. Disons que je souhaite le devenir.

Jazzmag Comment avez-vous été amenée, après avoir chanté des blues, à travailler avec des musiciens free ?

Magny Je cherchais par qui je pourrais être accompagnée et un ami m'a mise en relation avec François Tusques, il y a de cela pas mal de temps. On peut parler de hasard dans la mesure où je n'avais jamais entendu de disques free. De toute façon, j'ai une culture musicale très faible, qu'il s'agisse de musique classique, de jazz ou de musique électronique. J'écoute très rarement de la musique ou des chansons, et encore moins des chanteurs de variétés. Le chant, en fait, m'intéresse s'il me permet de m'exprimer.

Jazzmag Quel genre de rapports entretenez-vous avec les musiciens ?

Magny
Sur le plan de l'amitié, parfaits. Au niveau musical, je leur suis reconnaissante d'enrichir le peu que je fais. Je suis même très flattée de m'exprimer aux côtés de musiciens tels que Barre Phillips et Beb Guérin. Nous avons fait avec François Tusques un truc qui dure vingt minutes à propos des Panthères Noires... Pour mon compte, j'ai essayé d'après des textes divers d'exposer l'idéologie et les moyens d'action des Black Panthers tandis que Tusques m'a proposé quatre thèmes musicaux en me demandant si cela pouvait soutenir les textes en question. Il est évident que je ne lui ai pas dit ce que j'aimerais comme musique. Je ne m'y autoriserais pas, et de toute façon je suis contre. En fait ce qui m'intéresse, c'est tenter d'exprimer un sujet le mieux possible avec les moyens du bord : musique concrète, électronique, guitare d'accompagnement, accordéon. Tout est possible à condition que le sujet prédomine. J'ajouterai que mes rapports avec ces musiciens sont tels que s'ils ne pouvaient pas se déplacer avec moi, par exemple à Lyon où je devais aller chanter, je préférerais ne pas aller chanter du tout. L'aspect commercial passe ici en dernier et je ne me résoudrais pas à me faire accompagner au pied levé.

lazzmag Vous avez enregistré avec des musiciens de musique contemporaine comme Diego Masson. Vos méthodes de travail étaient différentes ?

Magny Je n'ai pas vraiment travaillé avec Diego Masson. Cela s'est fait comme souvent pour moi, à la suite d'une rencontre, celle du compositeur Michel Puig. Il avait entendu un des mes disques, j'avais entendu l'un des siens. Nous avons alors décidé de faire quelque chose ensemble. Michel Puig me propose des textes, on s'entend sur des poètes que nous aimons l'un et l'autre, comme Max Jacob et Lewis Carroll, et nous commençons. Il me place à un endroit précis d'un studio, me dit : « Chantez », et je me jette à l'eau... On fait comme ça quatre chansons. Quand on a jugé que c'était suffisamment au point pour pouvoir enregistrer, nous les avons proposées à une maison de production. Ces chansons avaient été conçues pour être chantées a capella, mais Chant du Monde n'était pas d'accord. Non pour des raisons commerciales (je me suis assez battue dans le passé pour cela), les seuls différends possibles avec ma compagnie, ne pouvant être qu'artistiques ou politiques. La directrice artistique a simplement fait valoir que, pour remplacer une présence physique, une musique s'imposait. D'accord avec Michel Puig, et bien qu'embêtée, je me suis finalement rangée à son avis. J'ai demandé à Diego Masson et à des instrumentistes de musique contemporaine de m'accompagner. Par curiosité, et bien que je ne sache pas lire la musique, j'ai regardé les partitions : des flèches, des traits, « imitez la chanteuse », « suivez la chanteuse »... Une fois encore j'ai été servie par la chance puisque je peux dire que j'ai chanté comme si j'étais seule, a l'exception d'un passage de Jabberwocky tellement rapide que Masson me faisait signe. Je crois qu'on peut dire : « Bravo Messieurs », car comme dirait nos amis du free, c'est de la musique au kilomètre : accompagnement sans tare, mise en place impeccable, ça n'invente rien et ça suit l'harmonie. J'ai vraiment été suivie admirablement.

Jazzmag Après votre passage au cinéma Ranelagh et l'album « Répression » qui en a été le prolongement, comment concevez-vous les rapports entre texte et musique ?

Magny Le travail récent en compagnie de Tusques — qu'il faut considérer comme exceptionnel puisque je travaille régulièrement avec  Beb Guérin et Barre Phillips — m'a donné des idées. Ainsi, lors des représentations au Ranelagh  et pendant  l'enregistrement, je me suis sentie contrainte par un texte plein et rigoureux, ce qui signifie que pour devenir une chanteuse free, il me faudrait apprendre à écrire des textes qui conviennent à ce genre de musique. Ce que je vais dire peut paraître prétentieux, mais il me faut inventer un langage, choisir des mots et des phrases construits de telle sorte qu'ils puissent se placer comme je le sentirai dans l'instant, de la même manière que les musiciens free le font, je crois, pour la musique. Les structures paroles-musique ne sont donc pas véritablement établies... De plus, pour être la plus fidèle possible aux textes, je bride volontairement ma sensibilité, mon imagination, et j'avoue que je me pose parfois la question de savoir si je ne devrais pas me laisser aller à la passion. Je le répète : pour m' « acoquiner » avec le free-jazz il me faudra transposer mes textes. Enfin, en raison de la densité du texte sur les Panthères, ce que nous avons fait ensuite a été différent des spectacles du Ranelagh du point de vue de la musique plus que du point de vue des paroles.

lazzmag Pourquoi avoir choisi les thèmes du Black Panther Party plutôt que d'autres problèmes politiques ?

Magny C'est ce qu'on me dit chaque fois que je chante un texte nouveau : pourquoi cela ? Il se trouve que j'aime ces textes et que je voulais que les gens les connaissent eux aussi. D'autre part, c'est aussi en fonction des circonstances, je ne suis pas universelle, je suis en relation d'amitié avec Tusques qui m'a communiqué, des écrits qui l'avaient passionné, et la passion m'a gagnée moi aussi. De la même manière, si demain un ami ou quelqu'un m'amène des informations sur un sujet qui m'intéresse, je lirai ce qu'on m'apporte, je me documenterai de mon côté et je tenterai de faire quelque chose.

Jazzmag Quelle est la part réservée à l'improvisation dans votre travail ?

Magny Par rapport à des chanteuses comme Billie Holiday ou Bessie Smith, je dirais que dans l'ensemble je n'improvise pas, à l'exception peut-être des textes écrits à partir des toiles de peintres que j'aime. J'ai maintenant envie d'aller plus loin, ce qui c'est produit timidement dans le dernier spectacle du Ranelagh. Je ne sais pas s'il s'agit d'un manque de confiance en moi ou de la peur du risque, mais ce n'est pas encore ça… Sur le problème général de l'improvisation dans la chanson... Lorsque vous avez un engagement, un jour précis, à un endroit précis, il y a contrainte. Vous vous devez d'être là, en forme ou pas, grippe ou pas. Le spectateur s'est déplacé, votre présence est un impératif. Cela signifie que vous allez rester en scène deux heures durant face au public. Pour avoir vu et entendu dans ces conditions certaines improvisations de chanteurs, je dois dire que je ne suis pas d'accord. Ces chanteurs peuvent penser avoir suffisamment de génie pour improviser deux heures d'affilée, être sûrs de communiquer une certaine chaleur à cette heure-là, à cet endroit-là, pour ce public-là, mais cela me laisse rêveuse. Tout le monde a des tics, je n'y échappe pas plus que les autres même si j'essaye de les briser. Aussi lorsque vous chantez pendant une durée assez longue sans structures préétablies, ces tics reviennent...

Jazzmag Et au niveau du cri ?

Magny Là j'hésite. Ça pour gueuler, je pourrais gueuler. Je me fous sur une scène, je suis une putain et je me vends aux gens qui sont devant moi. Pour leur en donner pour leur fric, je dois avoir le maximum d'honnêteté vis-à-vis de moi-même. Si je me mets à me  « défoncer » sans avoir pensé auparavant les choses que j'exprime, je ne trouve pas ça très honnête. Efficace, la  « défonce » l'est à tout coup, mais à quel niveau ? En fait, c'est ce que les gens (critiques, public, show-business) me demanderaient... Si je me laissais réellement aller à ce que j'ai envie de chanter, je ferais par goût, par impulsion, du rock, du vieux rock, mais vraiment sommaire... Si je fais des recherches plus complexes, c'est parce que cette histoire de « défonce » vous fait rentrer chaque fois dans le système. Et même en imaginant que j'en arrive à un accompagnement  « pop » bien dans le vent et que je conserve en même temps mes textes politiques, croyez-vous que ces chansons seraient matraquées à la radio ? Que des millions de gens les entendraient ? Ceci pour répondre à l'article du Monde sur le spectacle du Ranelagh. On le mettait en parallèle avec la chanson de John Lennon Workin' Class Hero « qui a un peu bousculé des millions de gens en Amérique et en Angleterre », mais on oubliait de préciser que je chante en France et non là-bas. De même, lorsqu'on me parle dans d'autres milieux de souci d'efficacité, il faut voir ce que recouvrent ces mots. La fin justifie les moyens... Les hôpitaux psychiatriques en Russie... Qu'est-ce que ce monde-là ? Je ne peux pas le supporter.

lazzmag Quel public préférez-vous ?

Magny Si je compare des endroits aussi différents que les M.J.C., le Ranelagh, l'Olympia, c'est à ce dernier lieu que va ma préférence. Quoi qu'en disent les chers amis des groupuscules, c'est à l'Olympia que se trouve le véritable public populaire et c'est là qu'on peut atteindre le maximum de gens... Je suis consciente d'avoir un public restreint, peut-être deux mille personnes qui suivent de près mon travail. C'est d'ailleurs logique puisqu'aux grandes heures d'écoute la radio et la télévision ne passent que Melocoton, une chanson vieille de huit ans, alors que la partie la plus récente de mon répertoire passe après minuit sur France-Culture ou au Pop-Club. Comment les gens seraient-ils au courant ? Cela désoriente considérablement le public. Quand je vais chanter dans n'importe quel bled mes chansons actuelles, des gens viennent me trouver à la fin du spectacle pour m'exprimer leur déception.
Jazzmag Pour mieux faire comprendre au grand public votre évolution, accepteriez-vous de passer à Télé-Dimanche ?
Magny Vous allez me dire que c'est contradictoire avec ma position à propos de l'Olympia... Pourtant, à y regarder de plus près, pas complètement. Contrairement à l'Olympia, où l'on ne dit rien à mon propos et où je propose simplement mon travail, à Télé-Dimanche les chansons sont introduites de manière isolée. De plus, je trouve les décors dégueulasses et la présentation infâme. Non, je ne crois pas que je pourrais  supporter  l'atmosphère  de l'émission. Pour revenir à l'Olympia, rien ne prouve d'ailleurs que ce ne serait pas une catastrophe pour moi que d'y passer, tout en sachant à l'avance que c'est complètement exclu.

Jazzmag Compte tenu de vos préoccupations politiques, n'avez-vous pas l'impression de penser aux autres à votre seul profit ?

Magny Ce problème se pose effectivement dans le cadre de mon activité artistique actuelle. Ainsi, cela choque les jeunes organisateurs que je demande des sommes relativement élevées pour chanter et je dois leur expliquer pourquoi. C'est justement parce que j'évoque certains sujets, parce que je touche moins de droits d'auteur que d'autres, parce que j'obtiens peu de contrats, que je tiens, lorsque j'en décroche un, qu'il soit bien payé. Depuis des années, je chante pour éponger les dettes de l'Unef, pour celui-ci, pour celui-là, pour l'antre, pour aider tel journal à reparaître... alors que les artistes, eux, ne quémandent jamais... Quant au problème de l'utilisation de l'exploitation des autres à mon profit, permettez... Ce que je chante m'attire plus d'emmerdements que d'avantages et même si, par je ne sais quel miracle, j'arrivais à toucher le fric qu'encaisse M. Lennon, je n'en n'aurais aucune honte. En parlant des autres, on parle de soi aussi. Comment parler d'un individu sans parler de la société qui l'entoure ? De plus, ce que je fais, ce que j'ai envie de faire, cela représente beaucoup de travail... Même un « saucisson » contient une somme de labeur.

Jazzmag Voudriez vous terminer cet entretien sur quelque chose qui vous tienne particulièrement à cœur ?

Magny ... Après mon dernier enregistrement, j'ai lu le livre de Maria Antonietta Macciocchi, De la Chine, et j'en ai été ébranlée au point d'arrêter tout travail artistique, un peu comme après mai 1968. J'ai tendance à croire ce que contient ce livre. S'il est l'image de la vérité, on a là un témoignage sur la vie de huit cents millions d'individus, sur ce qu'ils font, leur manière de vivre... Je dois dire que je ne crois pas au péril jaune. Nous aurons le temps de tomber en poussière bien avant. Si vraiment cette façon d'exister pouvait être adaptée à une société industrielle, ce serait le communisme.
(Propos recueillis par Paul Gros-Claude.)

A écouter « Vietnam 67 » (Chant du Monde Ldx-74319) avec Beb Guérin (b), Mickey Baker (g), Jean-Pierre Drouet (vib) ; « Magny 68 » (Cdm Tk-01) avec Guérin ; « Feu et Rythme» (Cdm 74444) avec Guérin, Barre Phillips (b), Diego Masson ; « Répression » (Cdm 74476) avec Bernard Vitet (tp), « Juan Valoaz » (as), F. Tusques (p), Guérin, Phillips, Noël McGhie (dm).
 









Partager cet article
Repost0
14 avril 1974 7 14 /04 /avril /1974 07:57
Article publié dans La Marseillaise du dimanche 14 avril 1974 :

Colette Magny, invitée par l'Union des Etudiants Communistes de Montpellier, donnait récemment un récital à la Faculté des Sciences de cette ville.
Des incidents provoqués par un groupe gauchiste, employant des méthodes fascistes, ont perturbé cette soirée exceptionnelle.
Le travail de Colette Magny, une chanteuse que la télévision et les radios ne programment jamais, est riche et intéressant, ses chansons d'actualité.
Cette sympathique artiste nous a accordé un entretien quelques jours après le récital. Elle était encore fatiguée et irritée des événements, mais aussi fougueuse et tendue que dans ses chansons.
Sa personnalité force le respect. Elle est à l'image du travail qu'elle produit, des chants qu'elle offre au public.

En direct avec la vie
L.M. : Colette Magny, vous produisez un travail qui est la chanson, vous avez une profession que vous aimez. Avant d'exercer ce métier, vous étiez dactylo de presse. Que s'est-il passé ?
C. Magny : En 1946, je chantais pour des amis. Ceux-ci me disaient : "Tu as une belle voix, tu devrais chanter". Comme j'en avais envie, j'ai tenté le coup. A la première audition, j'ai réussi. J'ai démissionné de mon poste. J'avais 36 ans, j'en ai 47 aujourd'hui. J'ai vraiment eu de la chance : tout de suite engagée, un mois dans un cabaret, "La Contre-Escarpe". Puis, j'ai eu une télé, de bons articles de presse en novembre 1962. En avril 1963, j'étais à l'Olympia entre Claude François et Sylvie Vartan, qui comme moi débutaient.
Nous n'avons certes pas suivi les mêmes chemins, mais ce n'est pas à eux que les gauchistes de l'autre soir reprochent quelque chose,. C'est curieux, non ?

L.M. : Vous avez derrière vous plusieurs dizaines d'années de travail et dix ans de chanson. Vous voulez bien que l'on dise de vos chansons qu'elles sont politiques, mais vous pensez que c'est trop prétentieux. Mais pourtant, il y a celles comme "L'Angola", "Les cages aux tigres", "Saint-Nazaire". Alors ? Comment vous situez-vous dans les différents courants de la chanson ?
C. Magny : J'ai fait des choses diverses, contestables même pour moi qui suis mon meilleur critique. De la musique concrète, électronique, contemporaine, du free-jazz, du blues. Sur toutes ces formes musicales, j'ai écrit des textes, j'ai traduit en chansons d'autres textes que je qualifierai d'actualité.
J'ai visité 40 entreprises, eu des discusssions avec les travailleurs, fait des enquêtes pour créer tois chansons. Pour la chanson "Bou bou yé yé", j'ai eu de nombreux échanges avec les femmes de mineurs du Nord. Je travaille sur la réalité, le concret.
En fait, je ne me situe pas. La chanson populaire, qu'est-ce que c'est ? La chanteuse populaire dans notre système par exemple, c'est Sheila, et ses chansons vous pouvez me dire ce qu'elles ont comme rapport avec le peuple ?

Soyons réalistes...
L.M. : L'autre soir, on vous a accusée de faire payer votre travail, alors que vous n'êtes pas dans le circuit commercial du marché capitaliste, on vous accuse aussi, à l'extrême gauche, de trahir la classe ouvrière. Que pensez-vous de tout cela ?
C. Magny : En premier lieu, je n'ai pas la prétention de faire la révolution avec mes chansons.
Ensuite, la marchandise que je produis, j'aimerais bien que'lle circule partout ; ce n'est pas moi qui fait obstruction. Nous sommes dans un régime capitaliste, le socialisme n'est pas là. Alors je pense que je suis ppour utiliser toutes les strcutures du régime, les possibilités qu'il offre. Ce n'est pas de mon gré si sur le marché capitaliste ma côte représente un cinquième de celle de Claude François... Pas plus que le fait que peu de braves gens entendent mes chansons.
Heureusement ou malheureusement, je ne sais pas, le public auquel je m'adresse, qui pet m'entendre, est un public de militants, d'organisations, qui se disent, ou qui ne sont pas, ou qui sont révolutionnaires, avec quelques bourgeois libéraux, certes, des intellectuels. Mais encore une fois, ce n'est pas de mon fait.
L.M. : Ce qui est très captivant dans le travail que vous faites, indépendemment des textes et des formes musicales, c'est votre voix. Pouvez-vous aborder ce travail de la voix ?
C. Magny : Vous parlez d'un travail, mais il a été nié par les individus de l'autre jour. Trouvant qu'il était anormal de payer leurs places, ils disaient aussi que si j'étais d'accord pour faire payer l'entrée de mes spectacles, je n'avais pas le droit de chanter "Répression" par exemple. Mais il m'a fallu 10 ans de travail, de recherches pour arriver à ce résultat. Dire quelque chose simplement, sans que cela soit simpliste. Les chansons sont difficiles. Ma manière de travailler un peu anarchique. C'est vrai. Cela n'a rien à voir avec les études où les exercices de conservatoire.
Je travaille avec les compositeurs et les musiciens que je rencontre, plus avec l'instinct qu'avec une méthode. Il faut aujourd'hui un effort important pour se tenir en vie, la lutte est nécessaire. L'impact de l'idéologie dominante est fort, même dans ce domaine, et le laisser-aller est dangereux. On le remarque avec le courant hippysant.
Je comprends que l'on puisse chanter "L'Internationale" avec trois accords de folk song, mais je trouve cela triste.

Je veux chanter ce que je veux
L.M. : Vous luttez contre cela avec vos chansons, avec votre exigence d'un travail réel. On vous a reproché vos recherches musicales et vous les avez arrêtées. Cela est sans aucun doute regrettable. Vous refusez sur scène tout ce qui aide à la représentation : les lumières, les rideaux, voir même une présentation. Avez-vous été influencée par vos censeurs ?

C. Magny : Si en tant que citoyenne, je veux bien "me mouiller", faire qualeuq chose pour ce que je crois être le bien commun, je le fais. Ainsi, j'ai signé sans réserve pour l'Union Populaire.
Mais en ce qui concerne ma chanson, je veux être libre. Personne n'a à censurer mon répertoire.
A l'extrême gauche, ils veulent me censurer. Il ne faut pas que je chante "Guevara" ou autre chose suivant les tendances. Il est vrai que j'ai subli cette censure. Je ne m'accorde que deux blues par récital, et pourtant j'aime les blues. Si nous arrivons à une société heureuse, je ne chanterai que des blues.
Je travaille peu avec les communistes ; quelques sections à Marseille aiment mon travail et me font venir. J'ai chanté à la fête de "l'Huma", mais sur ce plan je n'ai pas de problème. Disons que, parfois, les organisations syndicales manquent de temps et d'informations sur ce que je fais. Il est vrai qu'elles ont, elles, des problèmes plus urgents, des problèmes de lutte à régler.

Les agressions
L.M. : Dans ce long débat, Colette Magny, vous avez dit beaucoup de choses sans vous trahir. On peut dire que vous êtes revenue aussi de beaucoup de choses. Sans être communiste, et vous le dîtes, vous ne pouvez plus tolérer les agissements de certains groupes gauchistes, vous ne pouvez plus tolérer cette sorte de terrorisme qui vous agresse personnellement. Ces gens qui l'autre soir ont dû importuné des centaines de personnes venues vous écouter. Vous avez décidé, comme d'autres chanteurs sollicités pour des galas de solidarité, de ne travailler maintenant qu'avec les grands syndicats et les organisations sérieuses, comme pour Rateau ou le Crédit Lyonnais. Avez-vous pour conclure quelque chose à dire du récital de jeudi ?
C. Magny : Quelque chose de très étonnant est apparu au cours de ce gala. Vous avez remarqué comme moi le silence, le calme, l'écoute malgré tout le "boucan" qu'il y avait dehors. La soirée aurait été très belle, nous aurions bien travaillé avec Christophe.
Je veux dire aussi que j'ai été agressée, non pas physiquement, mais agressée quand même dans ma personne, dans mon travail. Et les méthodes employées par ce groupe sont des méthodes fascistes, contre lesquelles je m'élève. Certes, je ne connaissais pas le contexte de l'Université de Montpeliier, ni celui de la ville, mais cela s'est également produit ailleurs. Ce n'est pas la première fois que l'on attaque mon travail, ma façon de vivre, mon niveau de vie et autre chose sans doute. Au fond, ces gens attaquent où il ne faut pas, ils mettent la pagaille et maintenant cela suffit. Je n'étais pas dans le hall mais sur la scène. Mais il serait intéressant que Gérard Saumade (il était présent à cet entretien) dise ce qui s'est passé, que les choses soient claires.
Pour Gérard Saumade, vice-président du Conseil universitaire, qui était sur les lieux, il n'y a  pas de doute possible. Il y avait un groupe d'agresseurs. Et puis il y avait des gens qui voulaient voir le spectacle et d'autres qui étaient là pour que le spectacle se déroule normalement.
Pour moi, il n'y a pas de problème : il y a eu agression, et ses auteurs sont condamnables. Je rends hommage au service d'ordre, à son sang-froid. c'est lui qui a empêché que quelque chose de plus grave ne se produise, ce qui serait arrivé si les agresseurs avaient pu pénétrer dans l'amphithéâtre...
                                                                                    - - - - - - - -
Colette Magny devait, en terminant, remercier les camarades de l'Union des Etudiants Communistes avec émotion. Avant de partir, elle aurait souhaité chanter pour les blessés. Nous l'aurions alors écoutée une seconde fois sans nous faire prier...

Recueilli par Jocelyne RICHEUX
Partager cet article
Repost0
20 décembre 1973 4 20 /12 /décembre /1973 17:26

En conclusion de son livre "La Chanson française de contestation" (Ed. Seghers), Serge Dillaz écrit (pages 179-180) :

La seule qui ait retenu les leçons du folk et du blues est Colette Magny. Venue assez tard à la chanson, elle fut étiquetée tout d'abord comme interprète de blues. Soucieuse des problèmes de son temps, elle poussa plus avant son expérience première en introduisant sur des rythmes de blues puis de pop des collages de titres de journaux et de citations politiques (la "lecture" qu'elle fit d'un extrait du Larousse est tout à fait hallucinante). L'album qu'elle nous offrit après les événements de mai 68 est en tous points exceptionnel et remarquablement symptomatique de l'ensemble de ses recherches. Se présentant à la manière d'un film émaillé de documents sonores signés William Klein et Marker et de courtes "chansons", cet essai intitulé Nous sommes le pouvoir est dans le domaine de la chanson politique l'une des expériences les plus attachantes de ces dernières années en même temps que l'une des moins frelatées.
S’effaçant volontiers derrière l'événement, la voix de Magny, ample, frémissante, merveilleuse, vitupère, interroge, s’inquiète et avoue. Ne se prenant pas pour la passionaria de la révolution, Colette Magny sait nous avouer en effet qu'en mai 68 comme tout un chacun, elle n'a pas fait grand-chose ("j'ai rien vu, j'étais pas dans la rue. Tout ce qui était gai, je l'ai manqué"), qu'elle est allée "se planquer" dans les usines afin de chanter pour les ouvriers en grève ("dans des usines je me suis planquée; pour les travailleurs, j'ai chanté").
Après avoir évoqué le mouvement étudiant, Nous sommes le pouvoir traite du problème ouvrier et du travail à la chaîne.
Il n’est pas aisé d’aborder de semblables sujets en chansons. L'évocation de la taylorisation prolétarienne ("la machine nous enlace comme un boa") que réalise Colette Magny avec ce disque-essai est pourtant d'un réalisme saisissant. C'est par la vision d'espérance d’un "jardin d’arc-en-ciel" de l'ouvrière abrutie par le travail mécanisé que se termine ce magnifique disque qui représente à ce jour son chef-d'œuvre.
La chanson de contestation à ce stade remplit pleinement sa mission en rompant totalement avec la conception de la chanson-spectacle héritée du café-concert. On est loin de l'emphase de la chanson sociale type début du siècle qui voulait apitoyer un public pour qui la vraisemblance tenait lieu de vérité. Avec un parti pris d'authenticité, la démarche godardienne de Colette Magny s'apparente dans sa finalité à celle de Léo Ferré.
Se voulant spontanée aussi bien dans sa formulation que dans sa motivation, la chanson de combat s’affirme alors reflet de la conversation quitte à reproduire les fautes grammaticales, les hésitations et les répétitions des propos décousus de ceux qui n’ont pas eu la chance de poursuivre des études supérieures. A l'inverse de ce qui se passa pour la poésie après 1945, les liens évidents qui l'unissent à la réalité quotidienne la sauvent heureusement jusqu’à présent de la gratuité. Il n’en reste pas moins qu'elle devra encore se dégager de la tutelle du spectacle qui est toujours sienne, qu’elle devra en outre rejeter l'infatuafion fréquente que l’on rencontre au sein des organismes politiques et pour ce faire refuser l'inféodation à une quelconque idéologie.
Enracinée dans le plus lointain passé de notre pays, la chanson pouira alors exprimer, comme elle l'a toujours fait au cours des siècles, les joies et les peines des hommes de demain.

Partager cet article
Repost0
20 décembre 1973 4 20 /12 /décembre /1973 17:21

Dans "La Chanson française de contestation" (Ed. Seghers), Serge Dillaz écrit (pages 236-237) :

Avec Viva Cuba (1963), Viet-Nam 67 marque une date importante pour le renouveau du genre politique. Une œuvre qui prend parti, ce qui est encore rare dans le monde frelaté de la chanson enregistrée. Depuis cette date, Colette Mogny est allée encore plus loin dans ses recherches passionnantes tant sur le plan formel que sur le plan idéologique.

Un peu plus loin (page 261) dans la partie consacrée au dictionnaire bibliographique, Serge Dillaz considère que "la position de Colette Magny dans la chanson française est tout à fait originale. Une œuvre à suivre car elle ouvre de nouveaux horizons".

Partager cet article
Repost0
20 décembre 1973 4 20 /12 /décembre /1973 11:13
Viva Cuba, une œuvre de propagande dans la lignée révolutionnaire de celles du XIX° siècle

Dans "La Chanson française de contestation" (Ed. Seghers), Serge Dillaz écrit (page 153) :

Quantitativement moins nombreuses, les œuvres suscitées par les révolutions cubaine et russe n’en sont pas moins substantielles. Au-delà d’une vogue certaine qui se trouve vérifiée par leur adoption au répertoire de vedettes du type Mireille Mathieu ( Quand fera-t-il jour, camarade ?), elles ont généralement trouvé une implication spécifiquement politique. Auteur communiste, Jean Ferrat a chanté son espoir dans la république socialiste de Castro sur des paroles de Gougaud (Cuba si) et Colette Magny dans une chanson qui joua un rôle déterminant dans le renouveau du genre a également chanté son espoir dans Cuba après la chute de Batista en 1959. Appel à une résistance internationale devant l’oppression, Viva Cuba se présente comme une œuvre de propagande dans la lignée révolutionnaire de celles du XIX° siècle.

Partager cet article
Repost0
20 décembre 1973 4 20 /12 /décembre /1973 08:50
Viet-Nam 67

Dans "La Chanson française de contestation" (Ed. Seghers), Serge Dillaz écrit (pages 155 à 157) :


De très nombreux chansonniers ont vitupéré depuis la fin de la dernière guerre l'ascendant des États-Unis dans ce type de civilisation mécanisée qui tend à devenir la nôtre. Tout récemment, l'escalade militaire américaine dans la guerre du Viet-Nam- relança cette critique acerbe en apportant de l'eau au moulin des détracteurs (Ferré, Ferrat, Barrière, Fanon, Allwright, Moulin, Fugain, Dabadie, etc.).
De cette sur-abondante production ont émergé quelques titres dont Chante une femme de Martine Merri chanté par son mari Jean Arnulf, Viet-Nam de Henri Gougaud et Viet-Nam 67 de Colette Magny. Différentes par la forme, ces trois chansons se rejoignaient dans leur condamnation commune de la guerre.
Chante une femme évoquait la douleur de la mère américaine qui vient de perdre son fils au Viet-Nam avec en juxtaposition l'angoisse de la mère vietnamienne pour son enfant menacé par les bombes. En démontrant que la souffrance est indifférente aux idéologies, le texte discret et émouvant de Chante une femme posait le problème de l'inutilité du conflit en cours :
Dors mon amour, mon fils unique
Chante une femme en Amérique
Chante en Amérique une femme
A son garçon mort au Viet-Nam
Chante une femme en Amérique
Sur l’autre bord du Pacifique
Une mère au petit matin
Réveille l'enfant vietnamien
Debout mon fils, debout garçon
J'entends revenir les avions.
Évitant lui aussi l'écueil mélodramatique, le texte de Gougaud, qui ne cachait pas sa sympathie pour le peuple vietnamien en armes, souligna l’impuissance du monde devant l'intransigeance des Américains :
Au Viet-Nam aujourd’hui, Dieu sait qu’il fait tout noir
Et que des hommes nus s’obstinent à vivre libres (...)
Je crois qu’une chanson n’est pas toujours futile
Frères lointains, mes crève-cœur
Je voudrais que ces mots vous soient peut-être utiles
Ils viennent du fond de mon cœur !
Reste le texte de Colette Magny. Original et tout aussi sincère que les précédents, il apporta le soutien frémissant de son auteur qui prenait à partie Mac Namara et les accords de Genève. Œuvre de propagande, Viet-Nam 67 citait le nom de Hô-Chi-Minh: dans une apologie de la résistance que nous avions déjà découverte dans Viva Cuba :
Nous ne nous laisserons pas intimider
Longue vie au peuple vietnamien !
Il convient cependant de ne pas oublier dans ce vaste concert de réprobation quelques chansons qui sans accepter la politique des États-Unis dans le conflit indochinois n'en sont pas moins allées à contresens des manifestations anti-américaines. C’est là que nous retrouvons Michel Sardou et ses Ricains :
Si les Ricains n’étaient pas là
Vous seriez tous en Germanie
A parler de je ne sais quoi
A saluer je ne sais qui.
C'est le même thème qu'il a développé plus récemment dans Monsieur le président de France où l'allusion aux manifestations contre la guerre au Viet-Nam s'est faite plus précise :
Dites à ceux qui ont oublié
A ceux qui brûlent mon drapeau
Qu’en souvenir de ces années
Ce sont les derniers des salauds.
Plus nuancé, Eric Robrecht fait remarquer quant à lui dans Le Bruit et la Fureur que les Américains ne pourront jamais venir à bout de la résistance nord-vietnamienne ("ils vivent pour une idée et meurent pour la défendre") mais aussitôt il souligne qu’il n’a pas oublié "la grande Amérique venue libérer sa petite Belgique". Diversifiée, la chanson d’opinion continue à vivre et c’est très bien ainsi.

Viet-Nam 67
Partager cet article
Repost0