COLETTE MAGNY CHANTE - INTERVIEW POUR « TOUT » titre le n°8 de Tout ! du 1er février 1971 :
En Mai, j'étais paumée. J'ai eu un mal fou à faire ce disque " Mai 68 ". En fait, je me suis contentée de parler de ce que j'avals vécu et de ce que j'avals entendu. Mai, je l'ai vécu dans les usines. Je n'ai été que deux fers à la Sorbonne : le 13 Mai au soir et le 14. Quelqu'un a dit : "Taisez-vous, Colette Magny va chanter." J'ai dit que j'étals d'accord, à la disposition des gens s'ils voulaient que je chante. Mais je trouvais ça dérisoire. Le lendemain, je suis retournés à le Commission culturelle. Ça, c'était pire que tout !
Q : Pourquoi dis-tu que c'était dérisoire de chanter ?
— A ce moment là que pouvaient inventer les artistes, si ce n'étaient des cris qui auraient pu faire peur aux C.R.S. sans faire peur aux manifestants par la même occasion? Mais avec le bruit d'une grenade, tu as beau avoir la voix de la Callas, ça ne passera pas. Et de toutes façons, je n'étais pas disposée à le faire. J'étals en retrait J'étais en-dessous du P.CF.
Après la Sorbonne, j'ai été dans les usines. J'étais très demandée. Subitement, tous les comités d'entreprise me connaissaient.
Dans les usines, j'allais par solidarité. Quand il y a eu deux morts à Sochaux et puis Gilles Tautln, j'ai dit aux délégués que le n'avais pas envie de chanter. J'ai eu, à partir de ce moment-là, des entretiens avec les ouvriers. Ca a donné les trois chansons qui sont sur mon disque. J'avals quarante dossiers, et j'ai concentré dans ces trois chansons les thèmes qui revenaient le plus souvent dans la bouche des travailleurs.
(...) Ce que je ne comprends pas ce sont les mecs qui veulent t'imposer une vérité : ils ont la Vérité. Soi-disant qu'ils sont à l'écoute des masses et tu peux même pas l'ouvrir. II faut que tu écoutes le discours du gars, et toi, t'as pas la droit de penser ou alors il faut que tu redresses ta pensée.
Des lycéens sont venus à la fin de mon tour de chant me demander sur quoi ça débouchai.t Je leur ai répondu " sur ce que vous voudrez; vous avez tout un éventail de partis politiques, de syndicats... Si vous trouvez que c'est de la merde, vous en créez un autre. Moi, je me refuse à poser une vérité qui ne serait que la mienne
Q. : Le chanteur engagé a peut-être un rôle à jouer dans la société dans laquelle nous vivons ?
— Le rôle à jouer ? Tu comprends, des jeunes gaullistes de l'U.J.P. sont venus discuter avec moi. J'en parle à quelques amis (du P.C. et des gauchistes). Ils se mettent à crier au scandale. Je leur dit : mais enfin vous êtes marrant. C'est beaucoup plus difficile de chanter devant des gars comme ça que devant des gens qui sont à peu près d'accord avec mes chansons. Quand rai chanté dans des comités vietnam, pas de problème.
Dans certains adroits où j'ai chanté, j'ai été copieusement sifflée. Et je me tape les regards haineux à la sortie...
Alors, quand un groupe vient me reprocher d'avoir chanté à Edouard-VII pour les élèves de l'école du bois : enfin, c'est fantastique ! où voulez-vous que je chante? Moi, j'ai un répertoire tel qu'il est. Je ne veux pas le couper. Donc, si on me propose un lieu et que je chante ce que je veux, j'y vals. Ou alors, il faut être forain. Ça je regrette, mais je n'ai pas la foi. A Avignon, il y avait une fille qui m'a demandée à l'entracte, ce que je foutais là à chanter pour les bourgeois d'Avignon et qui se lève à la fin pour demander combien il y avait d'ouvriers dans la salle. Je ne peux plus supporter ce genre de truc.
Là où sont les travailleurs, c'est à l'Olympia ; là où sont les travailleurs, c'est devant leur télé ou leur radio aux grandes heures d'écoute. Et c'est là qu'on ne passe jamais des émissions poétiques ou d'"avant-garde".
Le problème, c'est qu'il ne suffit pas d'avoir quelque chose à dire, il faut être entendu.
Ce que le voudrais faire, c'est prendre le temps - quand je vais chanter dans un endroit - de me planter dans un bistro près de l'usine, et d'ouvrir mes oreilles.
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REPRESSION...
Alors, on garde son sang.froid ? Aïe ! Oh pardon je vous ai écrasé le gros orteil, je suis des brigades d'intervention, répression... On a supprimé les pavés, on a bitumé la chaussée pour faciliter la circulation, les trottoirs, c'est pour nous, la rue elle est a nous. Je m'ennuie... Vos papiers ! si vous avez les cheveux longs ou un faciès d'une drôle d'espace - mais si les cheveux vous les portez courts, on vous mettra pas dans les fours.
Répression...
Douce majorité silencieuse, pas d'opinion, pas de délit d'opinion, pas de répression, pas de répression.
A votre avis. pourquoi on met pas J.-P. Sartre en prison, pas de répression? C'est pas un homme convenable, a refusé le prix Nobel, respecte pas les institu-tu-tions - et qu'est-ce qu'il fout sur un tonneau chez Renault ? Chacun à son poste - nous, c'est les trottoirs... Je m'ennuie.
Liberté de la presse, quelle ivresse, on couche avec les princesses par procuration - journaux à grand tirages, affiches dans le métro, sur les grands boulevards, font rage de fesses et seins rose bonbon mais attention, attention, attention
faut ps faire l'idiot national ou international
faut pas vendre des journaux, encombrer les marchés.
faut laisser circuler la majorité.
Répression...
Vlac ! coup de grisou chez les mineurs : y sont en danger
ARAKIRI RIKIRA RAKIRA KIRIRA le dernier... EDEN EDEN EDEN
Ici, on n'est pas chez les colonels : on peut encore avoir un parterre de fleurs rouges devant se maison et siffloter n'importe quelle connerie de la télévision, on nous mettra pas en prison, ah mais non, mais attention, attention, où va-ton, où va-ton.
C'est vrai, faut faire le procès de la vitesse :
on peut bombarder le Nord-Vietnam en deux temps, trois mouvements mais pour les secours au Pakistan, on a tout le temps, on a tout le temps.
SUSPICION SUSPICION SUSPICION
Vous êtes présumé coupable par le juge d'instruction - loi contre la drogue - on peut venir vous trouver dans votre lit au milieu de la nuit - Ah mais oui.
Suspicion, attention, où va-ton, où va-ton
Ici on est libres - voyez ce qui se passe à l'étranger - Pologne, Espagne. Moyen-Orient, guerre bactériologique - c'est pas nous qu'on ferait des choses comme çà, ah mais non.
mais attention où va-t-on, jusqu'où ira-t-on
EDEN EDEN EDEN
Colette MAGNY