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1 mai 1972 1 01 /05 /mai /1972 09:59

Critique de disque parue dans Jazz Magazine de mai 1972 :

Colette Magny

Répression : Babylone-U.s.a. / Cherokee / Libérez les prisonniers politiques (1) / Répression / Chronique du Nord / Camarade Curé (2).
1 Magny (voc), Bernard Vitet (tp), Juan Valoaz (as), François Tusques (p), Beb Guérin (b), Noël McGhie (dm). 2 Magny (voc. g), Guérin, Barre Philips (b). Le Chant Du Monde Ldx-74476 / 33 t / 30 cm.

Encore un disque que vous ne trouverez pas au rayon « jazz ». Ce n'est pas une raison pour ne pas l'écouter. Pour une fois qu'une chanteuse francophone considère son travail comme un tout et s'entoure de musiciens intéressants (ou, si l'on préfère, qui nous intéressent)...

Depuis Brigitte Fontaine avec l'Art Ensemble de Chicago, on n'avait pas vu ça. (Il faut cependant préciser que l'association Magny-Tusques-Guérin ne date pas d'hier.) Collages de textes verbaux (Bobby Seale, Eldridge Cleaver,   Huée Newton, journaux, tracts du Black Panther Party, etc.) et musicaux (séquences « free », mélodies-hymnes insistantes martelées par Tusques, effets « policiers » de Répression, émergence d'un chaant basque à rapprocher de l'utilisation par Charlie Haden des chants de la Guerre d"Espagne dans « Liberation Music »), strnctures d'où  sont  éliminées les « régles » et autres clichés de la chansonnette-rengaine ou, même, de la chanson « de qualité », recours à toutes les possibilité vocales (parlé, fredonné, modulé, grogné, gémi, hurlé), travail sur les contrastes (au  niveau du volume, du registre, de l'accent), refus du découpage traditionnel refrain-couplet et des normes de durée en vertu desquelles les chansons doivent (?') être débitées en tranches de trois minutes : l'attitude de Colette Magny, en fait, n'est pas tellement différente de celle des musiciens free. Et tant pis pour ceux qui pensent que cela n'a rien à voir avec le jazz. (Ceux sont d ailleurs souvent les mêmes qui considèrent que « le bruit c'est pas de la musique », que «  l'Art et la politique n'ont rien a faire ensembles, etc., etc.).

Pour les autres : à écouter absolument, et souvent. Et je n'ai même pas parlé de ce que dit Colette Magny... — J.L.

 

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1 mars 1972 3 01 /03 /mars /1972 13:02

Parution dans les Cahiers de Mai :

 

CahiersdeMai-concert

 

Pour plus d'informations sur les raisons de ce concert de soutien, cliquez ici

 

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1 janvier 1972 6 01 /01 /janvier /1972 12:07

Entre deux chansons de son répertoire, Colette Magny se confie sur le bonheur, sa manière de chanter, la société et la politique sur RTS, Radio Télévision Suisse :

Pourquoi chantez-vous ?

Parce que j’ai envie d’ouvrir ma gueule et meugler.
Alors se battre pour ça, il faut quand même dire quelque chose. Alors je fais état des choses dont j’ai été témoin ou qui me touchent.

Vous voyez plus l’injustice que le bonheur ?
Le bonheur, je n’en vois pas des tonnes quelque part. C’est difficile toute façon de parler du bonheur. Il y en a peu. C’est difficile d’être heureux dans ce monde.

Vous êtes une chanteuse qui dénoncez sans cesse…
J’expose. Je reconnais que ma manière de chanter est agressive. Mais j’expose en fait.

Qu’est-ce qui vous blesse le plus dans le monde ?
La difficulté que l’on a à se parler les uns, les autres.

Ce n’est pas politique…
Je n’ai jamais prétendu être une chanteuse révolutionnaire. On me colle des étiquettes, je n’y peux rien.

La société dans laquelle nous sommes ne vous plait pas ?
Elle ne me plaît pas. Même si je ne la trouve pas ignoble en France. Mais est-ce que je peux quand même beugler ? Pas dans les organismes officiels, pas dans les music-halls traditionnels, mais quand même, par ci par là dans les théâtres municipaux, j’arrive à gagner ma vie comme quand j’étais fonctionnaire. Dans un autre pays, je ne sais pas. En Espagne, je serais très certainement en prison. En Grèce, je serais fusillée. En URSS, je serais peut-être en asile psychiatrique. En Tchécoslovaquie, ce ne serait pas très brillant non plus, je suppose.

C’est difficile de dire qui vous êtes… de faire votre chronique…
Oui c’est difficile, d’autant plus que je suis attaquée de tous les côtés. Avec la droite, c’est clair, je suis une sale communiste en gros. Mais le terme communiste ça recouvre un tas de choses. A part le parti communiste français, vous avez tous les groupuscules, toutes les tendances. C’est là que je suis violemment attaquée. C’est pas dans la ligne. Chacun détient une vérité alors que moi je n’en détiens pas, moi je n’en ai pas. 

Vous êtes attaquée à droite
Non je ne suis pas attaquée à droite, je suis éliminée. Sauf quelques bourgeois libéraux, qui disent : « elle a une belle voix, elle chante des conneries, mais enfin, on l’engage quand même »

Et à gauche ?
Ils sont très virulents.

Dans le fond, vous êtes une chanteuse engagée très solitaire
Oui. Effectivement. Je ne peux pas supporter, de moins en moins d’ailleurs, le langage politique.

Vous allez donc cesser, dans vos chansons, de parler de politique…
Non je ne pense pas. Je vais tenter de plus en plus de me contenter de faire un travail plus modeste. De choses que j’ai vraiment vécues de près.

Donnez-moi un exemple…
Par exemple le travail que je tente de faire sur la grève de Penarroya. C’est très important car c’est une grève d’immigrés. Je ne suis pas voyeuse, je ne suis pas au service du peuple. C’est le contact humain qui m’importe. Je suis allée faire la fête avec eux. On a mangé le couscous, on a dansé. On a chanté, on a discuté.

Et là c’est un engagement politique
Mais non, mais non, c’est une relation humaine !

 

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1 janvier 1972 6 01 /01 /janvier /1972 09:26

helene-martin.jpg"Liberté-femme (Ballade des dames du temps présent)" d'Hélène Martin, rend hommage notamment à Colette Magny :

 

De vous chanter, voici le temps
Mais je me trouve étrangement
Intimidée
Et pour mieux vendre la vérité
De quelle manière vais-je m'y prendre ?
Par le grinçant ou bien le tendre

 

Il m'était venu le désir
De vous léguez mon avenir
Cela ne sert, pas encore fait
Et vous léguez
Ce que déjà vous possédez
ce que peut-être vous possédez

 

J'ai cru en vous, autant qu'en moi
J'ai cru en vos chants, vos émois
Nous avons pris
Qu'on se le dise, nous avons pris
Le même train de marchandises
Des fabricants de roublardises

 

Liberté femme
Liberté flamme

 

Je lègue à l'amie Francesca
Cette énergie que je n'ai pas
Et elle s'en fout
La Solleville ayant beaucoup
Beaucoup de force qui fusille
Bien trop de force qui fusille

 

Et je laisse à Anne Sylvestre
Mon solide appétit terrestre
Dont elle n'a cure
Car par travaux et par nature
Elle a je crois tout ce qu'il faut
Elle a presque tout ce qu'il faut

 

Je donne à Colette Magny
Tout le militant de ma vie
Non croyez-moi,
Elle se balance, nous n'avons pas
Le même cri mais bienveillance
Avons-nous de la bienveillance

 

Liberté femme
Liberté flamme

 

Ta belle voix dont tu nous sert
Qu'en fais-tu amie Christine Sèvres ?
Où l'as-tu mise ?
Dans quel bistrot, dans quelle remise ?
T'as mise ton guerillero
Est-ce le droit d'un guérillero ?

 

On ne tutoie pas Barbara
Elle est fière la Baccara
Et je cède
A ce beau diable roussie de
Nos cornemuses un peu semblables
Nos cornemuse inconciliables

 

Dis-moi un peu la Morelli
Qui toujours chante là la vie
les coeurs perdus
Dis si je peux
Comm'le "pendu"
T'écrire la chanson des gueux ?
Chanterais-tu mon chant frileux ?

 

Liberté femme
Liberté flamme

 

Tu n'es pas une chanteuse Angela
Mais le vrai est dans ce chant là
Que tu défends
Que tu inventes
Que tu apprends
A tes copains de la tourmente
Et à nos frères de la tangente

 

Je te lègue ma résistance
Et j'y ajoute ma constance
Dieu merci
Qui te reviens sans ironie
Tu me donnes, le goût du bien
Quand prédomine la rime en rien

 

Item à Lucienne Desnoues
Et je me souviens du jour où
L'ami Lucien
Nous présenta et ce fut bien
Le plus fameux etceterra
De l'amitié sans errata

 

Liberté femme
Liberté flamme

 

Coup de chapeau mes héroïnes
Qui différemment me fascinent
Nina Simone
Et suzanne Flon encore Simone
mais Signoret, fait pas légion
Marthe Robert toute version

 

Et celles à ne pas oublier
Qui avant moi se sont lassées
De Louise Labé à Louise Michel
Bessie Smith et
Tous les blues qui portent des ailes
Hommage à la franche pucelle

 

Et femme, femme, j'en oublie
Pardonnez-moi vous mes amies
Des mauvais jours
Etroite rue à faire l'amour
Je vous chante et vous salue
Puisque sans vous rien ne va plus


Liberté femme
Liberté flamme

 

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1 décembre 1971 3 01 /12 /décembre /1971 09:40

Critique de concert parue dans Jazz Magazine de décembre 1971 :

Colette Magny / François Tusques Trio : Tusques (p. père), Beb Guérin (b), Noël McGhie (dm, fl). Cinéma « le Ranelagh », novembre.

Profitons de leur présence symptomale : il n'existe pas encore de circuit parallèle - pas plus pour la musique que pour le cinéma - et surtout pas souterrain, dans ce pays. Désignons-en, de la même enjambée, le terrain : si quatre ou cinq mille fous se pressaient (qui s'en plaindrait, vraiment) aux fabuleuses exhibitions d'Alan Silva, et venus parfois de loin, et parfois pour leur premier concert, nous saurons tout. de même que la Vieille Grille (où jouera Alan Silva en trio) et le Ranelagh rameuteront un public fort clairsemé. Si bien que ce public restituerait à loisir les pratiques de ses prédécesseurs ? Il serait décidément vain d'attribuer quelque pondération à la publicité pour le dernier concert de la Biennale. Mais pourquoi le bouche-à-oreille ne fonctionnerait plus dès qu'il s'agit du Ranelagh ? Nous vivons bel et bien, et encore, l'ère des circuits !

François Tusques, Beb Guérin et Noël McGhie ouvraient ce que l'on aurait pu nommer une première partie. Piano trafiqué, plein d'accessoires qui en faisaient bizarrement « sonner » la table d'harmonie (rééditant par là chaque note de son écho martelé), lignes mélodiques d'insistance réitérée, ou plutôt tournoyantes - volutes - (pour quoi, au passage, l'on songeait à Terry Riley). Et l'immense travail de Beb Guérin, longues phrases, brisées ou soutenues, à l'affût du récit pianistique, à peine (contre)pointées par McGhie...

Paraissait alors Colette Magny, en toute beauté, inaugurant la deuxième part de quelque blues où se lisait l'origine de son chant. Mais assez tôt il s'affichait sous ses couleurs militantes (déjà, et à confirmer, dans le blues), simplement en dialogue avec Beb Guérin - attentif au tempo comme à ses élancements La-Fariens.

Rhodiaceta, ou Les Femmes de mineur : chansons de geste purement accomplies, geste musicale faite de tous les renversements, en elle-meine pleine de métamorphoses et s'édifiant de ses avatars, où s'enchevêtrent en identiques structures les slogans et le texte, le musical et le cri. Inégales les chansons, et leurs hurlements, ce trop de conviction qui les donnait pour maladroites (« ce qu'elle chante pèse des tonnes » dira Le Monde) ? Or, dans cette « gaucherie » se dit précisément - et plus que véhémence ou que rage - ce qui n'est  strictement  pas (témoin Le Monde) récupérable. A ce titre (indice) sont légitimées et fondées les autres, celles « qui passent », par ce qui tout d'un coup les rend impossibles et décisives, exemplaires en leur outrance et ce poids marqué de la voix, du final somptueux (ou le trio retrouvé jouait d'ensemble le cri de Colette) : textes des Black Pantliers tressés d'autres textes, à leur gloire déclamé/(hurlé), bref chanté. A la très nouvelle manière des chanteuses free, sur un mouvement musical où la scansion précipitait le cri. Et que les naïfs nous entendent : c'est dans leur travail (d'élaboration mise à jour) musical que le trio Tusques - Magny jouent l'épreuve révolutionnaire. Non dans quelque déclaration de principes, mais elle ne ferait que redoubler la première. Le «provisoire» dn chant de Colette Magny, ou sa pérennité provisoire - car il y a belle lurette qu'elle tente ces manières de traversées plurielles qui sont déjà au-delà du collage - sont toujours la trace de son geste radical. — Francis Marmande.

 

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8 novembre 1971 1 08 /11 /novembre /1971 11:40

Article de Claude Fléouter intitulé "Colette Magny au Ranelagh" publié dans Le Monde du 8 novembre 1971 :

Ce qui frappe toujours lorsqu'on entend chanter le blues, c'est la voix au timbre profond, poignant, qui plie les mots, les syllabes à la manière des plus grandes chanteuses noires. Il y a dix ans, Colette Magny est passée à côté d'une belle carrière " commerciale ". Volontairement. Préférant suivre sa générosité, satisfaire à l'envie d'écrire et de chanter à sa façon une chronique de notre temps.

Malheureusement, le résultat n'est guère excitant. Certes, on est loin du boy-scoutisme de Jean Ferrat et des relents de boîtes de la rive gauche. La chanson se veut ici véhicule de subversion, elle est d'agitation ou en forme de tract. Mais un texte de Le Roi Jones dit et chanté perd ici les trois quarts de sa force par le seul fait que Colette Magny n'est qu'une Blanche, qui ne vit ni dans le ghetto de Chicago ni dans celui de Harlem. Et les compositions personnelles de Magny sont aussi lourdes que des bulldozers.

En France, il y a trente ans, une génération de chanteurs a été élevée au " Trenet ", comme d'autres au lait. Il serait peut-être bon qu'aujourd'hui l'on regarde du côté des chanteurs anglo-saxons de " folk-song " et de musique pop', du côté de John Lennon ou de Tom Paxton : pour apprendre à dire ce que l'on sent et ce que l'on voit, en restant le plus simple, le plus clair, le plus efficace. Ce n'est pas l'effet du hasard si l'une des plus belles chansons de ces dix dernières années - écrite et chantée pat John Lennon - a pour thème un " héros de la classe laborieuse " (" Working class hero " ) et a fait le tour de l'Amérique et de l'Angleterre, bousculant un petit peu des millions de gens...

CLAUDE FLÉOUTER.

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15 avril 1971 4 15 /04 /avril /1971 15:31

quinzainelitteraire.jpgCritique parue dans la Quinzaine littéraire n°111 (1-15 Février 1971) :
 
Colette Magny

Feu et Rythme (Le Chant du Monde, LDX 74444) •

 

"Je n'appartiens pas au monde de la chanson" affirme Colette Magny (1), et c'est un fait d'évidence qu'elle ne saurait rien avoir de commun avec ce système compact et féroce de gangs - industriels et marchands du disque, impresarios, directeurs de salle, éditeurs de journaux, producteurs d'émissions, politiciens des loisirs ou de la culture, etc. - qui détiennent l'effarant pouvoir de traquer à tous moments et en tous lieux des dizaines de millions d'êtres humains, leur faisant subir, dans la sphère même où pourraient émerger des sentiments de liberté, d'autonomie, d'authentique jouissance, une espèce d'aliénation radicale, analogue à peu près à ce que Brecht nommait l'im-ploitation (2).

De la débilité véhiculée et cultivée par un tel système, le travail de Colette Magny se situe, on s'en doute, aux antipodes. Qu'en l'entende dénoncer, avec son Impérieuse véhémence, "l'écoeurant, atroce", namour préfabriqué des chansonnettes à la mode: "on n'aime jamais comme ça, dans aucun pays, dans aucun milieu, dans aucune classe. L'amour, c'est les tripes en l'air... "; et elle en témoigne, dans un chant d'amour foudroyant - trois simples lignes transposant, transfigurant une toile goyesque de François Jolivet : "Prends-mol, me prends pas/Je suis comme la bite/Je n'aime que toi... ".

Après la redoutable soumission du premier vers, la métaphore de la bête, lovée dans les mots, se déploie dans la voix qui gronde; cris et cordes s'emmêlent et se harcèlent, et élèvent dans un crescendo affolé un espace sonore et mobile pour recevoir l'immense rugissement de l'amour autour duquel vient se nouer un rire venu d'on ne salt quelle jubilation ou quel désarroi...

Plus que sa capacité à opérer par le chant de fascinantes lectures d'oeuvres picturales, le dernier disque de Colette Magny révèle avec quelle maîtrise l'artiste a su intégrer à son génie le meilleur des recherches musicales contemporaines, tant pour l'exploration systématique des multiples ressources de la voix humaine que pour les liaisons voix-instruments. S'emparant d'un texte de LeRoi Jones, Brave Nègre, Colette Magny le prend véritablement au mot - au mot Nègre, qu'elle fait exploser dans tous les trajets suggérés par lécrivain, extirpant notamment de la sonorité centrale, l'accent grave, des résonances obsessionnelles d'une prodigieuse efficacité, avant de marteler les syllabes nettes et pleines de la formule finale: Nègre au cul noir.

Dans U.S.A./Doudou, quelques phrases dites supportent les éruptions et les déflagrations vocales, l'intervention d'une seconde voix modulant plaintes et mélopées et les cordes des basses produisent une mêlée sonore poussée jusqu'à l'exacerbation, une frénésie où s'étreignent la révolte actuelle ("l'été on crève, on monte sur les toits, on tire") et la vision apocalyptique ("la prochaine fols le feu"). Jabberwocky, un quatrain de Lewis Carroll traduit par H. Parisot propose quelques stupéfiants exercices de haute voltige vocale - Colette Magny réinventant à sa manière le langage des mots-valises inventé par Carroll. Ces rapides Indications, pour désigner un ensemble de chants dont les plus infimes éléments - une sonorité, une nuance, un silence - mérlteraient une minutieuse analyse, confirment l'ampleur et la variété du registre de Colette Magny.

On le savait - et on sait que plus d'une station confortable et dorée lui fut offerte, pour qu'elle s'y enferme et s'y ressasse : que n'est-elle restée chanteuse de blues, alignée sur les plus grandes, les Bessie Smith, Ella Fitzgerald, Mahalia Jackson, et occupant une place unique dans le monde hors des Etats-Unis; que n'estelle restée l'auteur de Meloc!>ton, ouvrant dans le genre gracieux une veine intarissable et le pactole; ou chanteuse poétique, l'incomparable interprète de Victor Hugo (Les Tuileries, Chanson en canot, La Blanche Aminte), de Louise Labbé (Baise m'encor), de Rimbaud (Chanson de la plus haute tour), de Machado (J'ai suivi beaucoup de chemins) ... Avec la chanson politique telle qu'elle la pratique, Colette Magny devient plus difficilement "récupérable" : Vietnam 67, Viva Cuba, Les gens de la moyenne, Bura Bura appellent crûment à la lutte contre l'oppression, dénoncent l'exploitation, la mort atomique, chantent la révolution dans sa brûlante actualité; lorsque la révolte de Mai 68 allume en France même des lueurs de révolution, Colette Magny, happée par l'événement, chante dans les usines ("Le podium des usines Renault, ce fut mon Olympia" dit-elle) et produit un disque, unique en son genre, où la parole des étudiants et des ouvriers est répercutée par des chansons qui évoquent avec force et précision Ia condition ouvrière.

A ceux qui l'accusent d'en faire trop, de la politique, Colette Magny répond brutalement : "ça ne sera jamais trop ! Jamais trop, tant qu'il y aura le Vietnam, le Biafra, le capitalisme partout !" Jamais trop, lorsqu'on sait que le parti communiste sirote du Sacha Distel le soir même où les accusés de Burgos sont condamnés à mort ! Aussi Colette Magny poursuit-elle sa longue, longue marche - annexant à son oeuvre poétique/musicale, avec une vitalité croissante, de nouveaux domaines; elle tente aujourd'hui, avec Michel Puig, d'élaborer un opéra moderne sur une pièce de Beckett; et elle travaille à donner expression musicale au mouvement des Black Panthers... Il serait donc grand temps de balayer tous les interdits qui empêchent une artiste de la trempe de Colette Magny, populaire dans la plénitude véritable du terme, de s'exprimer devant des publics à sa mesure les plus vastes et les plus fervents.
Roger DADOUN

(1) Guitare et musique, fév. 1970

(2) Cf. les remarquables ecrits sur la littérature et l'art 1, 2, et 3, L'Arche

Disques cités : CBS 62 416, 33 t. - Le Chant du Monde : LDX 74 319 (30 cm) ; Magny 68, T-TK-01 (30 cm)

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1 février 1971 1 01 /02 /février /1971 14:42

COLETTE MAGNY CHANTE - INTERVIEW POUR « TOUT » titre le n°8 de Tout ! du 1er février 1971 :

En Mai, j'étais paumée. J'ai eu un mal fou à faire ce disque " Mai 68 ". En fait, je me suis contentée de parler de ce que j'avals vécu et de ce que j'avals entendu. Mai, je l'ai vécu dans les usines. Je n'ai été que deux fers à la Sorbonne : le 13 Mai au soir et le 14. Quelqu'un a dit : "Taisez-vous, Colette Magny va chanter." J'ai dit que j'étals d'accord, à la disposition des gens s'ils voulaient que je chante. Mais je trouvais ça dérisoire. Le lendemain, je suis retournés à le Commission culturelle. Ça, c'était pire que tout !

Q : Pourquoi dis-tu que c'était dérisoire de chanter ?

— A ce moment là que pouvaient inventer les artistes, si ce n'étaient des cris qui auraient pu faire peur aux C.R.S. sans faire peur aux manifestants par la même occasion? Mais avec le bruit d'une grenade, tu as beau avoir la voix de la Callas, ça ne passera pas. Et de toutes façons, je n'étais pas disposée à le faire. J'étals en retrait J'étais en-dessous du P.CF.

Après la Sorbonne, j'ai été dans les usines. J'étais très demandée. Subitement, tous les comités d'entreprise me connaissaient.

Dans les usines, j'allais par solidarité. Quand il y a eu deux morts à Sochaux et puis Gilles Tautln, j'ai dit aux délégués que le n'avais pas envie de chanter. J'ai eu, à partir de ce moment-là, des entretiens avec les ouvriers. Ca a donné les trois chansons qui sont sur mon disque. J'avals quarante dossiers, et j'ai concentré dans ces trois chansons les thèmes qui revenaient le plus souvent dans la bouche des travailleurs.

(...) Ce que je ne comprends pas ce sont les mecs qui veulent t'imposer une vérité : ils ont la Vérité. Soi-disant qu'ils sont à l'écoute des masses et tu peux même pas l'ouvrir. II faut que tu écoutes le discours du gars, et toi, t'as pas la droit de penser ou alors il faut que tu redresses ta pensée.

Des lycéens sont venus à la fin de mon tour de chant me demander sur quoi ça débouchai.t Je leur ai répondu " sur ce que vous voudrez; vous avez tout un éventail de partis politiques, de syndicats... Si vous trouvez que c'est de la merde, vous en créez un autre. Moi, je me refuse à poser une vérité qui ne serait que la mienne

Q. : Le chanteur engagé a peut-être un rôle à jouer dans la société dans laquelle nous vivons ?

— Le rôle à jouer ? Tu comprends, des jeunes gaullistes de l'U.J.P. sont venus discuter avec moi. J'en parle à quelques amis (du P.C. et des gauchistes). Ils se mettent à crier au scandale. Je leur dit : mais enfin vous êtes marrant. C'est beaucoup plus difficile de chanter devant des gars comme ça que devant des gens qui sont à peu près d'accord avec mes chansons. Quand rai chanté dans des comités vietnam, pas de problème.

Dans certains adroits où j'ai chanté, j'ai été copieusement sifflée. Et je me tape les regards haineux à la sortie...

Alors, quand un groupe vient me reprocher d'avoir chanté à Edouard-VII pour les élèves de l'école du bois : enfin, c'est fantastique ! où voulez-vous que je chante? Moi, j'ai un répertoire tel qu'il est. Je ne veux pas le couper. Donc, si on me propose un lieu et que je chante ce que je veux, j'y vals. Ou alors, il faut être forain. Ça je regrette, mais je n'ai pas la foi. A  Avignon, il y avait une fille qui m'a demandée à l'entracte, ce que je foutais là à chanter pour les bourgeois d'Avignon et qui se lève à la fin pour demander combien il y avait d'ouvriers dans la salle. Je ne peux plus supporter ce genre de truc.

Là où sont les travailleurs, c'est à l'Olympia ; là où sont les travailleurs, c'est devant leur télé ou leur radio aux grandes heures d'écoute. Et c'est là qu'on ne passe jamais des émissions poétiques ou d'"avant-garde".

Le problème, c'est qu'il ne suffit pas d'avoir quelque chose à dire, il faut être entendu.

Ce que le voudrais faire, c'est prendre le temps - quand je vais chanter dans un endroit - de me planter dans un bistro près de l'usine, et d'ouvrir mes oreilles.

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REPRESSION...

Alors, on garde son sang.froid ? Aïe ! Oh pardon je vous ai écrasé le gros orteil, je suis des brigades d'intervention, répression... On a supprimé les pavés, on a bitumé la chaussée pour faciliter la circulation, les trottoirs, c'est pour nous, la rue elle est a nous. Je m'ennuie... Vos papiers ! si vous avez les cheveux longs ou un faciès d'une drôle d'espace - mais si les cheveux vous les portez courts, on vous mettra pas dans les fours.
Répression...
Douce majorité silencieuse, pas d'opinion, pas de délit d'opinion, pas de répression, pas de répression.
A votre avis. pourquoi on met pas J.-P. Sartre en prison, pas de répression? C'est pas un homme convenable, a refusé le prix Nobel, respecte pas les institu-tu-tions - et qu'est-ce qu'il fout sur un tonneau chez Renault ? Chacun à son poste - nous, c'est les trottoirs... Je m'ennuie.
Liberté de la presse, quelle ivresse, on couche avec les princesses par procuration - journaux à grand tirages, affiches dans le métro, sur les grands boulevards, font rage de fesses et seins rose bonbon mais attention, attention, attention
faut ps faire l'idiot national ou international
faut pas vendre des journaux, encombrer les marchés.
faut laisser circuler la majorité.
Répression...
Vlac ! coup de grisou chez les mineurs : y sont en danger
ARAKIRI RIKIRA RAKIRA KIRIRA le dernier... EDEN EDEN EDEN
Ici, on n'est pas chez les colonels : on peut encore avoir un parterre de fleurs rouges devant se maison et siffloter n'importe quelle connerie de la télévision, on nous mettra pas en prison, ah mais non, mais attention, attention, où va-ton, où va-ton.
C'est vrai, faut faire le procès de la vitesse :
on peut bombarder le Nord-Vietnam en deux temps, trois mouvements mais pour les secours au Pakistan, on a tout le temps, on a tout le temps.
SUSPICION SUSPICION SUSPICION
Vous êtes présumé coupable par le juge d'instruction - loi contre la drogue - on peut venir vous trouver dans votre lit au milieu de la nuit - Ah mais oui.
Suspicion, attention, où va-ton, où va-ton
Ici on est libres - voyez ce qui se passe à l'étranger - Pologne, Espagne. Moyen-Orient, guerre bactériologique - c'est pas nous qu'on ferait des choses comme çà, ah mais non.
mais attention où va-t-on, jusqu'où ira-t-on
EDEN EDEN EDEN
                                                                  Colette MAGNY 
 

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29 avril 1970 3 29 /04 /avril /1970 15:06

Annonce de spectacle (extrait) publiée dans Le Monde du 29 avril 1970 :

Gabriel Garran renouvelle au Théâtre de la Commune d'Aubervilliers son expérience de " Théâtre inédit " destiné à offrir un banc d'essai à de jeunes animateurs et à de jeunes troupes.

Le programme de " Théâtre inédit 69-70 " comprend, cette fois, trois spectacles :

• C'est un dur métier que l'exil de Jean-Pierre Willemaers, par l'Atelier théâtral de Louvain (compagnie universitaire de l'Institut d'études théâtrales) avec la participation de Colette Magny, ouvrait cette manifestation.

Le spectacle, qui a pour sujet le problème de la main-d'œuvre immigrée, sera présenté au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis le samedi 2 mai à 20 h. 30.

• Les petits pois sont d'avril de Ramon Ruiz, mise en scène de l'auteur, par le Théâtre de boulevard périphérique, le mercredi 6 mai à 19 heures 30, les vendredi 8 et samedi 9 à 20 heures 30.

• Monsieur Ixe, de Paul Copin, mise en scène d'Eric Didier, par la compagnie Les Comédiens du Pont-Neuf, le mercredi 13 mai à 19 heures 30, les jeudi 14 et vendredi 15 mai à 20 heures 30.

La première représentation de chacun des spectacles, le mercredi, est en fait la dernière répétition ; elle est suivie d'un débat avec le public. Entrée gratuite.

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5 décembre 1969 5 05 /12 /décembre /1969 17:47
Faire carrière, avoir du succès, plaire : je m'en fous !

Interview du JT de Montpellier :

Colette Magny, ce n'est plus Melocoton et pourtant ce que vous venez de chanter s'en rapproche.

Non, non, non. Ça c'est une idée publicitaire des journaleux.

Ce n'est pas gentil "les journaleux".

C'était des journaleux car le journaliste avait fait un article sérieux sur mon travail et avait pris la peine de m'appeler pour s'excuser du titre fait par le rédacteur en chef : "L'Ella Fitzgerald blanche" ! Grosse dame noire, grosse dame blanche chantant en anglais : et voilà c'est la même chose. Et bien non. Je n'ai ni la maîtrise vocale d'Ella Fitzgerald, ni son répertoire. En plus, je ne suis pas une chanteuse de blues. Une chanteuse de blues, ça improvise. Et je peux vous donner un exemple, je commence seulement après 7 ans de travail d'improviser sur des toiles de jeunes peintres.

Pourquoi chantez-vous ?

Par passion. Je me suis embêté pendant 17 ans dans un bureau. Faire des compromissions, des concessions, tous ces machins là, ça ne m'intéresse pas. Faire carrière, avoir du succès, plaire, tout cela, je m'en fous. Ce que je veux, c'est m'exprimer et avoir un dialogue avec les gens que ça peut intéresser. Un dialogue au niveau le plus profond. Ce n'est pas facile. J'ai participé par erreur, l'ORTF m'a engagée sûrement au festival international de variétés de Rennes. A Rennes, il y a peu de manifestations artistiques. Pendant trois jours, les gens ont pris des billets et ils s'enfilent tout ce qui passe. Et moi je suis arrivée comme une grosse tache là dedans, avec des chansons d'actualité politique et des exercices de musique contemporaine que je fais maintenant. Ça gueulait dans la salle. Il y en a qui disait : 'Ouh sortez la". Et il y en a qui était pour : "Bravo, merci madame..." Ça paraissait bizarre à côté de la connerie tout ce que l'on passe à la télé, à la radio qui est un zinzin immonde. Ce qui fait que ce je fais peut paraître inhabituel. A Rennes, il y avait une scène divisée. Rien de mieux, rien de plus merveilleux : que les gens s'expriment ! Quand je chante pour les étudiants, ça se termine avec les discussions politiques, avec tous les chefs des groupes ou groupuscules qui savent causer et noyauter les autres. Les gens timides ne parlent jamais.

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