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1 juillet 1978 6 01 /07 /juillet /1978 07:02

femmes-mouvements.jpgArticle paru dans Des femmes en mouvements n°7 de juillet 1978 :

J’adore la scène, bien plus que le disque…

Mes chansons : une chronique étonnante.
Colette Magny écrit, compose et chante.



•Moi, je suis une femme... inhabituelle  de structure, de volume ; quand je  chante, je suis là, comme ça, on m'écoute. J'ai eu une adolescence épouvantable, alors j'ai dû trouver cette issue... Si je chante les opprimés, c'est parce que moi je suis dans une minorité opprimée : les obèses sont opprimés, ne pas pouvoir sortir un jour sans quolibet...
Ça se transforme... par exemple, j'ai fait une émission avec Michel Drucker un dimanche ; après, dans la rue, on se dit : « Tiens, cette femme énorme, je l'ai vue à la télévision »... Je suis sauvée... c'est un peu mesquin... mais c'est ça... c'est pour se défendre...

Femmes-CM2Je chante ce qui se dit : le pays, le langage
Quand j'ai commencé à chanter, j'avais écrit une chanson sur Cuba en 62, certains autour de moi pensaient que j'étais militante. C'était une erreur... J'ai eu un éveil politique très tardif ; à 30 ans, j'étais encore à mon bureau ! En fait, certaines de mes chansons, je les ai faites après une véritable enquête, à partir de rencontres... je ne suis pas une voyeuse comme certains qui veulent absolument faire de l'ouvriérisme ; par exemple, j'ai fait une chanson sur les mineurs dans le nord. Je parle de celle-là parce que c'est la plus réussie, me semble-t-il, les gens croient que je suis du nord ; quand je chante, ce n'est pas l'accent, mais ce qui se dit, le pays, le langage... c'est le concierge de ma cour, un mineur à la retraite qui m'en a donné envie... Parmi mes amis, il y avait une majorité de gauchistes, alors tout le monde discutait de ce que je faisais, de bien, de mal... en 66, c'était le début de la gauche prolétarienne, tous ces gens s'agitaient, se lançaient des citations de Lénine à la tête... j'en recevais aussi... alors j'ai pris quatre livres de Lénine, un de Marx   — pas des morceaux choisis ! — et je les ai lus. Moi qui n'avais pas de formation universitaire, il fallait vraiment que je m'accroche, je relisais les phrases dix fois... enfin ça m'a quand même éclairée... je suis entrée au P.C. J'en suis sortie parce que je n'étais pas d'accord avec eux ; à l'époque ils disaient : « paix au Vietnam » et moi je pensais « FNL vaincra »... Il y a une nuance importante.

...plus des insultes, plus des pierres
Pour moi, le politique, c'est ce qui dégage du terme < engagé » c'est tout ce qui concerne la vie dans la cité. Tant de gens viennent ici me seriner ce que je devrais faire, ce qu'il faudrait faire.
Depuis quelques années, pour les « gauchistes » entre guillemets, je suis une crapule stalinienne et réactionnaire... Pour les zonards, loubards, anars, gauche prolétarienne, dévissés, trotskystes déprimés, plus quelques mecs d'extrême-droite pour attiser le feu ; tout ça fait beaucoup de chahut parce qu'il faut payer sa place pour aller au concert... Ils me reprochent de ne pas chanter gratuitement... des concerts « gratuits pour le peuple »... Je viens d'en faire un, ça m'a coûté 100.000 francs, plus des insultes, plus des pierres... Il y avait des contestataires, situationnistes je suppose : « est-ce que tu as fait l'analyse du pouvoir »... je n'ai pas compris... j'ai demandé au guitariste. « Qu'est-ce qu'il a dit ? »... « II te dit : est-ce que tu as fait l'analyse du pouvoir ! » Ah, en voilà une question ! « Allumez tout» et je dis « c'est quoi l'analyse du pouvoir, qui a parié de ça ? Venez ici, vous avez sûrement des trucs à dire...». Il y en a un qui m'a répondu : « tu te rends compte le pouvoir que tu as d'avoir un micro ! » Et moi, je trouve que ce n'est pas facile d'être debout devant un micro, s'il faut en plus que  je me gare à droite et à gauche, que j'aie  un gilet pare-balles ! J'ai un ami  « commissaire du peuple »... il dirait « Colette, on va la fusiller, elle est gentille, elle comprendra » et il pleurera après ; c'est ça le truc...
Mais ça me bouleverse terriblement ; la première fois, il y a cinq ans, j'ai cru mourir de chagrin... une grosse bagarre sanglante entre trotskystes et union communiste ; ils s'étaient bien servis de moi l'un et l'autre, chaque groupe, je ne me pardonne pas mes naïvetés... j'aurais dû être beaucoup plus prudente... au début je n'y connaissais rien, je discutais même avec des fascistes... et toujours, je discute, je discute.
Je travaille avec des femmes, mais c'est un hasard. La pianiste, ça fait très longtemps que je la connais, on avait envie de travailler ensemble ; elle, elle connaissait une bassiste avec qui elle avait envie de travailler et moi j'ai rencontré par hasard la percussionniste... comme ça aussi, une infirmière qui fait la sonorisation, rien que « des poulettes »... ; ah ! Ça se passe très bien, je ne sais pas si c'est parce que ce sont des femmes, je n'en sais rien si ça joue ; elles sont de formation classique contemporaine, ce sont des femmes qui travaillent !... J'ai tellement l'habitude d'être seule, surtout dans les situations difficiles, les chahuts, les « t'es qu'une pute ! »... ces attaques-là qui nous arrivent sur la scène. Là, je sais que je peux compter sur elles, elles sont solidaires.

Femmes-CM1De jouer avec des femmes, la musique est autrement
De jouer avec des femmes, la musique est autrement, c'est la même musique qu'on joue, mais d'abord elle est arrangée par la pianiste. Avant, j'ai travaillé avec un bassiste, on était vraiment tous les deux ensemble ; mais après, ça s'est dégradé, il n'était pas concerné par ce que je faisais. Avec elles, il y a une cohérence dans la musique justement, et puis on s'entend bien, enfin, elles sont là quoi... elles ont envie d'être là, et ça se voit, et, forcément, les gens sont contents, de nous voir bien ensemble : on sourit, on rigole, enfin on ne fait pas d'extravagance, on communique au moment du travail, et après d'ailleurs, il n'y a jamais de discussions violentes... Je ne suis pas féministe, je ne sais pas ce que c'est... j'ai pourtant lu quelques bouquins, il y a une espèce de comédie qui me déplaît... des femmes qui font semblant de s'intéresser à des problèmes de mères de famille, comme on se branche sur le sort des ouvriers. On m'a reproché d'être trop intellectuelle pour les ouvriers, c'est peut-être vrai pour certaines choses, mais après tout, c'est mon langage.
Le côté positif de chanter... c'est l'amour... le plaisir est immense ; je bénéficie en majorité d'un public extraordinaire, sympa comme tout. Il y a beaucoup de choses qui font bien plaisir, les soirées sous le chapiteau : on chante, on rechante, et puis il faut bien s'en aller... comme ça à Angers, une dame est venue me retrouver, une dame de mon âge : « Ah ! On aurait bien aimé rester avec vous ! » Mais qu'est-ce que vous voulez, il faut bien partir... mais il peut y avoir une seule personne qui soit touchée ou un vieil ouvrier qui pleure parce qu'il ne pensait pas que quelqu'un pouvait chanter ses conditions de travail.

J'aime parler, je suis une conteuse
Chanter ça passe dans tout le corps ; j'adore la scène bien plus que le disque ; mais le plus grand plaisir pour moi, c'est de faire avant d'être sur scène... fabriquer une chanson, fabriquer une chose qui est de la musique et des paroles, c'est ça qui me donne la plus grande joie.
Je bénéficie d'une voix naturelle qui est bonne, qui est intéressante ; il faut bien que ça serve à quelque chose ; mais moi ce qui me plaît, c'est parler, j'aime parler, je suis une conteuse. Je voudrais être une conteuse qui se trouve être une femme qui chante... ça me retire le trac de parler... j'arrive, je suis inquiète... je ne sais pas si je vais pouvoir sortir certains sons, alors je raconte un petit peu tout ça, ça me désangoisse... Il y a quelques années, je ne parlais pas du tout, le bassiste avait dit : « la musique parle d'elle-même, tu n'as besoin de rien dire ! ». Maintenant je parle avec de plus en plus de plaisir, chanter c'est bien... chanter finalement c'est rencontrer des gens. Moi je chante pour qu'on m'aime, chanter c'est l'amour, et oui, aussi râler, c'est vrai...
En ce qui concerne le chant, je n'ai fait strictement que ce que je voulais, sauf peut-être quelques exceptions pour faire plaisir à quelqu'un, mais je suis responsable de tous ce qu'il y a dans mes disques, absolument,  même quand il y a du déchet et que je les écoute quatre ans après... C'est une chronique assez étonnante, je trouve... c'est un travail de journaliste, presque. J'ai eu assez de mal à savoir ce que je voulais mais quand on est vraiment déterminée c'est sûr que quelque chose va se produire.
J'aime tout quand même dans ce que j'ai fait. Je sais comment je l'ai fait à l'époque, ça venait de moi, j'ai mis très longtemps à m'aimer un petit peu ; on met très longtemps à s'aimer soi-même....
Avant je ne m'aimais pas du tout, et pas seulement parce que j'ai cette apparence physique, je me trouvais conne, enfin on a tout fait pour ça... on m'a dit un jour : « sale petite bourgeoise on t'a toujours dit de penser avec ton ventre il faut penser avec ça ». J'ai lu Lénine, etc... pour apprendre à penser avec ma tête, et bien je viens de m'apercevoir que de toutes façons je n'en ai pas... ce n'est pas la peine que je continue d'essayer, j'y perds.

Un opéra à propos de la pintade
Je voudrais faire un opéra à propos de la pintade, parce que pendant deux ans un ami m'a parlé avec passion, de pintades, il a écrit dans tous les musées du monde ; dans les rites africains, il y a la déesse de la rivière et de l'amour, avec une robe très belle comme les dessins sur la pintade, et le sang qui coule par-dessus, ah ! Très beau tout ça, j'étais dans les plumes, j'étais contente... et il y a une amie qui me dit : « est-ce que tu as pensé à la lutte des paysans ?» ah ! J’ai dit non, je ne pensais qu'aux plumes, aux africains, à la musique, au Niger, etc. je lui dis : « tu as raison ». J'ai lu 10 bouquins... pendant deux ans, j'ai pris des notes que je ne peux pas relire, que je ne comprends pas, et j'ai perdu les plumes... carrément... j'ai perdu une envie de faire... Je me suis perdue...
Là, je me suis laissée influencer, et je ne peux pas continuer ; maintenant, je suis résignée, si je veux aborder un sujet, je l'aborderai à ma manière, d'une manière analphabète mais tant pis.
Dans la presse, un silence épouvantable à mon égard
Dans la presse à mon égard, il y a une espèce de silence épouvantable. Le spectacle à la Cartoucherie, même si ce n'est pas bien réalisé, cette tentative de faire se balader des peintures, des sculptures, ça ne s'était fait nulle part dans le monde ; il n'y rien eu sur le contenu, mais rien. J'avais toujours une belle voix, mais sur la tentative elle-même : rien... pourtant j'essaie de faire du ramdam, c'est pour des gosses psychotiques, ils ont fait un disque, et moi je faisais l'ingénieur du son ; quand même, je ne comprends pas que ça ne les intéresse pas... un montage avec ces enfants-là, un truc sur la peinture/sculpture, c'est quand même étrange, ce n'est pas une chanson. Si c'est mauvais, autant le dire, mais pourquoi on n'en parle pas, quelque part, de ça... non ça me choque... Ce sont d'autres modes « de dire », et de chanter, moi je ne l'ai pas fait exprès, c'est ça que j'ai envie de faire... Eh bien, j'ai été 18 ans en analyse, c'est beaucoup ; ça fait bien rigoler toute la famille, ils ont tous commencé après et ils ont tous terminé avant, on me disait : « alors, Colette, cette analyse au long cours, comment ça marche !? ». Oh, je les emmerde parce que eux ils ont repris des tranches, ils n'ont rien à dire, moi j'ai pris une grosse tranche d'un coup, cul sec !...
 

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