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2 mai 1985 4 02 /05 /mai /1985 13:05

Article paru dans Heures Claires n°236 de Mai 1985  :

En mai fais ce qu'il te plaît. Moi j'ai téléphoné à une grande dame de la chanson, trop mal connue parce qu'elle a toujours fait ce qui lui plaisait. Non, elle ne regrette rien. Je vous propose donc un entretien avec Colette Magny. Un entretien du coq à l'âne, avec un point de passage obligé par la pintade. Non, non, ce n'est pas une farce.

Dans mes petits souliers, j'étais. Dans les souliers de la môme de sept ans qui en 1963, avec ses premiers sous économisés, avait offert sa grande sœur son premier cadeau, un 45 tours : « Melocoton et boule d'or, deux gosses dans un jardin... », et sans arrêt on remettait le bras du tourne-disque sur la petite galette de vinyl.

- Dis Yèye, ça veut dire quoi Melocoton ?
- J'en sais rien, viens, donne-moi la main
.

La France découvrait sa chanteuse de blues, une voix superbe, épaisse et rauque, ça c'était chouette, alors ! Oui, mais il y avait un hic. Le hic, c'était Colette Magny, la dame à qui appartenait cette voix superbe, épaisse et rauque.

Les hit-parades (Mélocoton y figura), elle n'en avait rien à faire, et les impératifs du
show-biz encore moins. Elle, elle voulait chanter « Viva Cuba », dire avec cette voix magnifique, tumultueuse et tendre la solidarité, la souffrance des peuples et faire chanter l'avenir.

«  Lorsque l'humanité sera enfin sage
Nous passerons de la compétition dans l'individualisme, à l'individualité dans la coopération

Alors Colette Magny, la secrétaire bilingue de l'O.C.D.E., a claqué la porte du show-biz et s'en est allée suivre des chemins de traverse, les chemins du cœur parce que :

« Tu n'auras la joie
Tu n'auras le bonheur
Ni dans l'argent
Ni dans l'amour
Mais dans la vérité
Frappe ton cœur
... .»

Les histoires de Colette Magny ont toujours eu rendez-vous avec l'histoire, qu'elle chante « Chronique du Nord », « Bou bou Yeye », le cri des femmes de mineurs en grève, ou « Bura-Bura » dédiée aux survivants d'Hiroshima :

« Dans la ville nouvelle
Trop malade pour travailler
Pas assez pour mourir

Diseuse de révoltes, Colette Magny est une chanteuse engagée. Engagée auprès de sa conscience à elle et quand c'est trop, c'est trop, elle le fait savoir :

« Chanteuse potiche à pétitions
Chanteuse potiche à galas de soutien
Potiche ça ne peut plus durer

On ne pourra jamais, elle ne voudra jamais être enfermée où que ce soit. Et quand elle chante le blues, celui de Cole Porter, de Bettie Smith, c'est toujours Colette Magny, sur un autre registre, c'est toujours cette même voix pleine et belle qui vous prend au cœur. Et puis, il y a encore Colette qui chante Louise Labbé, Aragon, Neruda, Victor Hugo et Verlaine, qui s'amuse à faire des textes collages où voisinent Tchekov, Jésus-Christ, Musset et Dostoïevsky, unis dans la musique. Colette qui peint des textes d'après des toiles, et qui chante l'article « La marche » du Larousse. Oui, vraiment, elle sème son talent à tout vent.

Voilà, c'est cette dame-là, à qui on n'en compte pas, qui ne mâche pas ses mots, qui dérange, mémoire de mai 68, des grèves de Saint-Nazaire, solidaire du Chili, défi à la bonne conscience, que j'avais au bout du fil, elle du côté de Toulouse, moi à côté de Paris.

Vous avez été de tous les combats, sauf du féminisme. Pourquoi ?

Vous savez, il y en a qui s'en occupent fort bien, non ? A une certaine époque, c'était la mode, les médias s'en sont emparés et quand les médias s'emparent de quelque chose, moi, méfiance... Enfin, je suis sur la réflexion. Mais évidemment ce que les femmes ont gagné, le droit à l'avortement, j'en suis heureuse.

Oui, mais aujourd'hui encore l'égalité n'est pas gagnée.

C'est vrai, mais elle n'est gagnée, ni pour la femme, ni pour l'homme.

En posant cette innocente question, j'avais tout de même le sentiment d'être légèrement de mauvaise foi : quand on prend pour parolière Louise Labbé, poétesse lyonnaise du 17e siècle, c'est déjà un engagement. Et puis cette petite phrase qui clôt « Ras la trompe ».
« Feu-femme objet, je suis en transit », me fait tiquer et je le lui dis :

A priori, on pourrait penser qu'une femme qui chante et qui s'engage politiquement n'est pas une femme-objet...

Pas forcément, la preuve j'ai fait cette chanson. Et puis, il y a le reste, les autres domaines de la vie.


Travailler avec des femmes musiciennes, c'est différent ?

Oui, mon travail avec Anne-Marie Fijal par exemple. Elle a une façon de faire les choses spécifiquement féminine. En chantant avec des musiciennes sur scène, j'ai remarqué qu'elles étaient là, bien présentes s'il se passe quelque chose dans la salle. Les musiciens, eux, ne bougeaient pas d'un poil.

S'il se passe quelque chose dans la salle... A une certaine époque, les chahuts, Colette Magny y a eu droit sur scène. C'était le prix de son indépendance à l'égard des « Militants » (titre d'une chanson où elle met les choses au point).
Colette Magny a toujours payé chèrement cette indépendance : radios et télévisions ignoraient totalement la chanteuse rebelle.

Votre carrière n'a pas été facile ?

Non, ça non. Je chante parce que j'ai envie de chanter, mais je n'ai pas voulu que ma voix serve à n'importe quoi. On m'en a imposé des difficultés, mais je considère que c'est normal. Moi, j'ai une attitude rigide, intransigeante. Quand je suis sortie de mon bureau pour chanter, je ne savais rien de tout ça. Pour faire ce métier, il faut du courage, c'est vrai pour n'importe quel artiste, quoi qu'il ait choisi de faire. Et, c'est vrai même pour des gens avec lesquels je ne suis pas d'accord politiquement...

(Ici le rire immense de Colette Magny déferle sur mon téléphone.)

Enfin, j'ai quand même bien eu la tentation de me trucider... En janvier 81, je ne gagnais pas assez d'argent et on a failli me retirer la « Sécu ». Au bout de vingt ans de chanson, même pas avoir droit à une couverture sociale. Alors oui, il faut vraiment du courage, mais j'ai toujours fait ce que j'ai voulu et ça compte !

Les crimes racistes de ces dernières semaines, ça ne vous donne pas envie d'écrire quelque chose ?

J'ai rien à dire. Dans des situations aussi dramatiques, la chanson ça sert à rien.

Et le disque « Chili - Un peuple crève », que vous avez fait avec Maxime Le Forestier et Mara en 1975 ?

Ce disque, j'irai presque jusqu'à me le reprocher. Aujourd'hui, je fais partie d'un groupe d'Amnesty International et c'est là que je me bats. C'est vrai les questions politiques sont moins au cœur de mes chansons, mais pas de ma vie.

Ou alors, c'est peut-être bien une autre façon de faire de la politique, en parlant de la vie de tous les jours, de ceux que Colette côtoie, en leur donnant la parole.

Témoin ce disque de 1979, "Colette Magny, je veux chanter".

J'aime vivre à la campagne, proche des choses et des gens et je me préoccupe de ce qui m'entoure. J'ai habité pendant deux ans dans un petit village des Vosges. Il y avait dans un institut médico-pédagogique pour les enfants handicapés. J'ai rencontré les animateurs, les enfants. Des liens se sont créés. Nous avons travaillé pendant deux ans pour aboutir à ce disque.

Et aujourd'hui, que préparez-vous ?

Un poème musical sur la pintade. Un opéra agricole, quoi.

Elle dit ça tranquillement et moi, déconcertée, je m'étrangle de surprise. J'avais tout imaginé, mais pas la pintade.

Avec moi, on peut s'attendre à tout. D'ailleurs ça n'étonne pas trop ceux qui me connaissent bien. C'est tout nouveau, mais j'y pense depuis quinze ans. J'ai rencontré un jour un éleveur de pintades qui depuis a passé une thèse en Sorbonne sur le sujet. Il m'en a parlé avec beaucoup d'amour, et j'ai été passionnée : ces gallinacées sont indomesticables, fragiles, subtiles, sensibles et redeviennent très vite sauvages. La pintade, c'est la liberté...
... En plus, le dindon américain est venu foutre la merde sur le marché de la pintade française. Alors, vous pensez si ça m'intéresse. « U.S. Go home », ça me plaît bien. Pour l'instant, je n'ai rien écrit, je dépiote la documentation que j'ai accumulée depuis quinze ans. J'ignore encore ce que cela donnera. Quoique si moi je pense que c'est pas mal, je le ferai. Écrire des chansons comme ça ne m'intéresse pas beaucoup. Je suis plus tentée de faire des choses complètes sur un même sujet.

En octobre 1984, après Brel, Brassens et Ferré, Colette Magny a reçu le prix Louis Tenco en Italie, pour toute son œuvre. Une récompense qui la fait jubiler :

Je suis la première femme à avoir reçu ce prix. C'était tout à fait inattendu. Giovana Marini et Luis Llach ont dû parler de moi... Mais quelle joie, et quelle réception ! Fantastiques,  ces Italiens. Et c'était un joli petit bijou, pas un oscar merdique...

Et une fois de plus, son rire déferle sur mon téléphone. En mai, c'est sûr, faites ce qu'il vous plais, mais permettez-moi de vous donner un conseil : en mai, Colette Mage remonte sur scène pour une série de concerts en province et à Paris. Ne la manquez pas.

DOMINIQUE DELLAC

DISCOGRAPHIE
Feu et Rythme. Réédition de « Feu et Rythme », « Répression ». LDX 74800/1. Chant du Monde
Réédition de « Transit » et « Visage Village ». LDX 74827/8. Chant du Monde.
Thanakan. Antonin Artaud. LDX 74770 Chant du Monde.
Cahier d'une tortue. Sylvie Dubal. LDX 74770 Bis Chant du Monde.
Quatre chansons américaines, V. Hugo, L. Aragon etc. 33 T - 1965. 62416. CBS.
 

 

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