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4 juillet 2018 3 04 /07 /juillet /2018 13:51

Article paru dans Hexagone n°8 dans lequel David Desreumaux s'entretient avec Périne Magny : 

Disparue dans une relative indifférence en 1997, Colette Magny a laissé - avant de prendre congé - un important répertoire furieusement engagé, diablement poétique et novateur. A l'occasion du cinquantenaire de Mai 68, paraît une anthologie de cette artiste sans concession et précurseur dans bien des domaines. Née de la volonté et du travail de la famille de Colette, cette "presque intégrale" restitue chronologiquement la discographie de l'artiste, et ses atours originaux. Indispensable. 

Hexagone : D'où vient l'idée de sortir une anthologie des chansons de Colette Magny ?

Périne Magny : C'est un travail familial. À l'automne 2016, mon plus jeune frère Grégoire (le Boule d'or de Melocoton) lance l'idée de faire quelque chose pour les vingt ans de la mort de Colette. Nous nous rendons compte qu'il y a une exploitation un peu erratique de son œuvre, de certaines parties. et nous nous mettons d'accord tout de suite en famille. En famille, ça veut dire : Grégoire. Benoît (Melocoton), et nous convions le mari de ma cousine, Bruno, musicien -il a joué avec Colette, a fait partie du groupe Gwendal et a ensuite tenu une petite maison de production de disques. Il s'y connait mieux que nous. qui n'y connaissons rien. Nous tombons unanimement d'accord sur le fait de faire paraître une anthologie, de façon à respecter Colette et à ne pas avoir à exercer un choix dans son œuvre. Il était important de restituer la presque intégralité de l'oeuvre de Colette, qui est extrêmement riche et variée. Cette anthologie était le meilleur moyen de lui rendre hommage et l'occasion de la faire entendre à nouveau. Ce serait vraiment formidable si l'on pouvait - au-delà des générations qui la connaissent déjà - toucher un public plus jeune. Nous sommes un peu meurtris qu'elle soit quasiment tombée dans l'oubli. 

Hexagone:Pourquoi avoir attendu plus de vingt ans ?

Périne: Pendant les vingt ans qui se sont écoulés, nous ne nous en sommes pas occupés. Colette avait donné son oeuvre à Sidaction, et son mobilier à Emmaüs. Son testament, c'était ça : Sidaction et Ernmaüs. Nous le savions. Elle était contre l'héritage par conviction marxiste-léniniste, elle l'avait dit. Mais entre le savoir, et le vivre, il faut le temps pour l'encaisser affectivement. Nous avons démêlé les histoires de droits et, grâce à Bruno, nous sommes parvenus à mettre en contact Sidaction et Sony. Nous rencontrons Sony début janvier et réussissons à leur communiquer notre enthousiasme. Les vingt ans de la disparition de Colette étaient passés, nous nous sommes donc dit qu'il ne fallait pas rater Mai 68. Je ne veux surtout pas que l'on réduise Colette à Mai 68 - c'est bien plus vaste que ça - mais c'était une bonne opportunité. 

Hexagone:Pourquoi Sony ?

Périne: Sony Music possède les premiers titres enregistrés par Colette sous le label CBS. il était donc naturel de produire cette anthologie avec eux.

Hexagone : Pourrais-tu qualifier Colette en quelques mots ?

Périne : C'est un peu une inclassable. C'est une insoumise. Elle a plein de facettes. C'était une femme sauvage. Une indomptable, quelqu'un de profondément connecté aux forces qui nous traversent. Les tourments, etc. Je la vois comme ça. Bien sûr il y a le côté rebelle, mais ça tout le monde le sait mais je trouve que c'est réducteur. Bien sûr, il est là il est beau et admirable, mais c'est réducteur. Colette, c'est un poète aussi. Une femme colère. une femme douceur, tendresse - je trouve que le blues va très bien à sa personnalité.

Hexagone : Il n'y a pas de colère sans amour. On retrouve cela chez Colette. Le titre de la compilation qui a précédé l'anthologie, A cœur et à cris, est fort bien trouvé. il y a vraiment ces deux versants chez Colette Magny, et d'ailleurs peut-on chanter des chansons humanistes comme les siennes si elles ne sont pas portées par un sentiment d'amour ? C'est très prégnant dans son oeuvre.

Périne : C'est vrai. On le voit dans son rapport à l'écologie, par exemple. Le rapport à la nature, on sent qu'il traverse toute l'oeuvre. Le temps des oiseaux, c'est 63 ou 64 : "Comment peut-il se faire que des oiseaux chantent hiver ? (...) Qu'est-ce qui nous a pris de découper le temps ?" On a mis en exergue du livret une phrase issue d'une de ses chansons : "C'est de l'arbre dit mort que naissent les bourgeons". A la fois, ça décrit ce que nous avons fait, et ça montre sa philosophie. Ce n'était pas une écolo de surface, c'est vraiment pour elle une vraie désolation que les multinationale déboisent, comme elle le dénonce dans ses dernières chansons. Elle a aussi chanté magnifiquement pour dénoncer la marée noire du Torrey Canyon, en 67.

Hexagone : On a l'-impression qu'il y a une prise de conscience politique qui se fait progressivement. Elle débute comme secrétaire à l'OCDE, puis elle décide d'arrêter cette carrière qui lui assure la sécurité de l'emploi. Elle se lance en chanson en reprenant les standards du blues - le blues, le chant des opprimés - et contient des engagements de plus en plus affirmés, voire radicaux. Rejet du star system, etc. 

Périne, C'est directe le rejet du star system. Elle est venue au blues et au jazz par la famille de ma mère. Colette était la soeur de mon père. Ma mère était d'une famille de musiciens de jazz réputés. Le frère de ma mère et le mari de sa sœur, Gilles Thibaut, téainet musiciens de jazz, jouaient avec Claude Lutter, André Réweliotty et Bechet C'est ce qui a amené d'intéresser au jazz et au blues. Cilles Thibaut lui a fait enregistrer des morceaux de blues en 58. Ce sont ses premiers pas professionnels.

Hexagone : Le fait de changer radicalement de vie, de passer de secrétaire à l'OCDE à chanteuse politique, est-ce lié à un événement particulier ? S'est-il produit un déclic ?

Périne : Elle raconte quelque chose sur la guerre d'Algérie, à propos d'une manif qui a opposé O.A.S. et militants de l'indépendance, où elle a vu l'extrême-droite cogner sur les anti-colonialistes, sous l'oeil impassible des flics. Avant Charonne.

Hexagone : Une politisation progressive ?

Périne : Oui mais quand on voit Co-opération qui arrive très tôt dans son oeuvre, c'est déjà une préoccupation. Passer de l'individualisme, de la compétition dans l'individualisme à l'individualité dans la coopération. c'est très politique déjà. 

Hexagone : De cet engament politique, elle décide de faire une oeuvre artistique. Elle aurait pu prendre un autre chemin ? Être engagée dans un parti politique par exempte ?

Périne : Je ne crois pas que je le dirais comme ça. Elle ne pouvait pas faire autrement que chanter, dénoncer ce qui est injuste, se battre. Elle adorait chanter, elle chantait bien. Qu'est-ce qu'elle aurait été faire dans un parti politique ? Il valait mieux qu'elle chante et mette sa voix et son cœur au service des autres. Elle dit souvent que la parole doit sortir du cœur. Mettre cette énergie, cette puissance, au service de ceux qu'on n'entend pas, tes petites gens. C'est pour ça que j'étais heureuse de découvrir que Colette était entrée dans le Maitron, en 2012. Le Maitron est le dictionnaire encyclopédique des ouvriers militants syndicaux. C'est un énorme ouvrage, un hommage à tous les petits qui ont fait quelque chose pour la bonne cause. 

Hexagone : Un seul tube, en début de carrière : Melocoton. Et qui n'a rien de politique. Elle y parle plutôt d'absence et de fêlure...

Périne : Melocoton est une chanson intime. C'est la chanson de notre famille et j'imagine que son succès a dû la surprendre. Mais je pense que ça lui a donné le culot de faire ce dont elle avait envie. Dans le même temps. comme la maison de disques essayait de la mettre dans le moule des yé-yé - c'est le début de l'industrialisation de la musique - elle ne pouvait pas accepter. Déjà, elle avait vingt ans de plus que les yé-yé. Elle avait la carrure pour faire autre chose. 

Hexagone : A-t-elle boudé le succès ?

Périne : Elle l'a plutôt utilisé pour faire ce qu'elle avait envie de faire. Comme elle le voulait, en refusant tous les carcans de la forme, etc. 

Hexagone : Colette Magny apporte une véritable révolution de la matière chanson. Les collages, le concept album n'existent pas vraiment en France à cette époque-là, par exemple. C'est un vrai travail de création, un vrai travail d'artiste.

Périne : Un vrai. On comprend bien que tous ces carcans commerciaux ne favorisent pas la création Elle les a refusés et a poursuivi sa route : une route de recherche, d'expérimentation, e qui est la vraie création. Elle a fait plein de choses, elle a travaillé avec des peintres, elle a mis en musique les poètes...

Hexagone : C'est un autre aspect important de son parcours. La mise en musique de poètes, tout au long de sa carrière, et pas des moindres d'entre eux.

Périne : Et de beaux textes ! Il y a des textes magnifiques. Elle les choisissait vraiment très bien. Dans l'album Les Tuileries, il y a de très jolies chansons. Chanson en canot de Victor Hugo, J'ai suivi beaucoup de chemins, d'Antonio Machado, Rilke, Max Jacob, Tristan Tzara, Antonin Artaud, etc. Elle aime la poésie. 

Hexagone : Max Jacob, Tzara, Aragon, etc. Beaucoup de ces poètes ont été à l'origine de mouvements littéraires, ont renouvelé la forme. Un peu comme elle finalement. Il faut toujours se dépasser, toujours se réinventer ?

Périne : Elle le dit "Il ne faut pas se répéter". Bien sûr, il faut continuer à chercher d'autres formes. Je pense que son passage par le free jazz, c'est la même chose. Et puis ça fonctionne bien avec le parlé-chanté, les collages... Dans le free jazz, il y a une contestation de la forme. C'est une façon de chanter qui correspondait bien à ce qu'elle voulait être : en dehors des cadres. 

Hexagone : L'album Magny 68-69 est aussi une oeuvre de création surprenante. On y trouve des collages de documents, de Chris Marker notamment. Que faisait Colette en 68 ?

Périne : Dans le disque, elle dit qu'elle s'est planquée dans les usines. Elle avait peur des manifs et des barricades et c'est vrai qu'il y avait un aspect assez violent qui pouvait effrayer. Mais elle n'a pas attendu 68 pour faire La pieuvre, chanson qui aborde les grèves à la Rhodiaceta, date de 67. Le début de tout ça, c'est la guerre du Vietnam, tout cela apparaît dès Vietnam 67.

Hexagone : Avec ses collages de documents, de témoignages, on est presque dans de la chronique. Dans du documentaire.

Périne : Oui, ce sont vraiment des témoignages, et elle les livre tels quels. C'est un très beau travail de mon montage qui restitue très bien l'ambiance des rues, de l'occupation des facs en 68. Je crois qu'elle revendiquait quelque chose comme ça ; être une espèce de journaliste. Une chanteuse-journaliste-chroniqueuse.

Hexagone : C'est une artiste qui a connu la censure. Elle était black-Iistée ?

Périne : Il faut se souvenir de ce qu'étaient les années de Gaulle Elle était censurée et black-listée à ta télé comme à la radio. Je me souviens qu'elle en parlait. Il y a un article où elle dit qu'une amie qui travaille à l'ORTF lui raconte que ses disques sont rayés au stylet. Rayés en travers pour qu'ils ne soient pas diffusés. Et ces listes noires sont restées en vigueur même après l'arrivée de la gauche au pouvoir. Ce sont des choses qui se perpétuent d'elles-mêmes. Elle en a vraiment pâti. En même temps, elle n'aimait pas beaucoup les journalistes et elle prêtait te flanc en foutant la trouille à tout le monde. Elle était impressionnante. Sa voix, son énergie, sa corpulence. Sa conviction, son énergie, elle impressionnait beaucoup. 

Hexagone : En 74, lors d'un concert à l'université de Montpellier, elle est prise à partie et quelque peu chahutée par des "spectateurs".

Périne : Elle a été très traumatisée par cet événement. C'était mon frère Christophe qui l'accompagnait. Christophe et le directeur de la salle ont dû la protéger. Elle a été très choquée, elle a eu peur et en a été très blessée. On lui reprochait de faire payer les concerts. Après ça, elle s'est beaucoup remise en cause, ça lui a coupé l'envie d'écrire. Une panne d'écriture qui fait qu'elle s'est beaucoup interrogée sur le sens du métier de chanteuse. Quelque chose s'est un peu cassé en elle. Et il a fallu du temps pour s'en remettre. Dans l'album Transit, elle revient sur cet épisode et répond à ses détracteurs :"Chanteuse potiche à pétitions, à galas de soutien. Qu'est-ce qu'il ne faut pas faire pour essayer de se faire comprendre ? Maintenant, laissez-moi travailler". 

Hexagone : Colette Magny était novatrice. Et Je veux chanter, réalisé en 1979 avec des enfants handicapés, l'est à plus d'un titre.

Périne : Complètement expérimental et humain. Dans un entretien, on lui dit :  "C'est une expérience intéressante que vous avez faite". Elle répond : « Ce n'est pas une expérience. C'est une rencontre humaine. » Elle vivait à côté d'un institut médico-psychologique. Elle a rencontré la psychologue et a travaillé pendant près de deux ans avec les enfants, à leur faire faire de la musique, à les faire écrire, à les familiariser avec des instruments. Elle enregistrait, elle avait des centaines d'heures d'enregistrement Cet album n'est pas accessible auplus grand nombre. 

Hexagone : Elle ne se souciait guère que ce soit accessible ou pas.

Périne : Oui exactement. Je ne crois pas qu'elle se soucie peu que ce soit accessible ou non. Elle se soucie peu que ce soit commercial ou non. En réalité, ça lui plait d'être écoutée ; elle avait rêvé d'une anthologie. C'est aussi pour ça que nous l'avons faite. Elle avait envie de se faire entendre et puis aussi entendre la voix d'autres.Elle ne voulait pas se plier aux, mais ça lui importait.

Hexagone : C'était un souci de reconnaissance ?

Périne : C'est difficile à dire. Il y a forcément un peu de ça, de cette envie là. Mais ce n'est pas son premier moteur. Elle voulait véhiculer l'idée qu'il faut se battre contre les injustices. Elle manifestait un vrai engagement alors qu'elle n'est pas encartée, qu'elle n'est dans aucun parti. 

Hexagone : Il n'y avait aucune récupération possible avec elle. C'est une éprise de liberté ? ame éprise de liberté ?

Périne : Totalement. De liberté de pensée, de liberté d'action, de liberté de chanter.

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commentaires

R
Tout Est Dit par contre sa nièce Périne à une implication dans la réédition des Albums de Colette Magny mais pour ses Neveu personne n'en parle …<br /> <br /> Je me suis procuré par la FNAC du coffret 10 CDS "Anthologie 1958 / 1997 Ainsi Que le Triple CDS "De Melocoton à Kevork" et le Double CDS "A Cœur et A Cris" et le Livre "Citoyenne-Blues" les deux Editions Mutine (1996) et En Gardes! (2018)<br /> j'avais déjà dans ma discothèque les enregistrements réédités dans les années 1990...<br /> Mais quel plaisirs que ce Coffret avec les inédits en CD ...Reste la question Pourquoi la version studio de "Libérez Les Prisonniers Politiques" n'est sur aucun CD ???
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R
Merci Pour toutes ces Informations
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