Extraits de "Les peuples de l'art" de Joëlle Deniot et Alain Pessin paru aux Ed. L'Harmattan 01/01/2006 :
A partir des années 1970, dans un temps de basculement des forces sociales vers une politisation du privé, émergent des répertoires d'auteures-compositeures-interprètes faisant entendre une verve dissidente, "extravagante" sur le destin des femmes. Claire, Gribouille, Anne Sylvestre, Catherine Ribeiro, Anna, Pia, Colette Magny, Michèle Bernard, Brigitte Fontaine, Juliette éveillent une autre poétique. Toutes sont rattachées à la mémoire longue du chanter des femmes. Pourtant, entre les notes, entre les lignes flottent de nouvelles mélancolies, des rires décalés, une insolence... Dans ce chant renouvelé du genre, nous interogeons ce qu'il capte d'images d'un peuple féminin rêvant de sonorités politiques et musicales. Mais il s'agit là - à distance du grand public, le plus souvent - d'autres figures militantes du partage solidaire, d'évocations plus lettrées à référer au prisme des peuples opprimés du monde. (pp. 150-151)
Cette première génération de parolières-interprètes est contemporaine de l'émergence politique du féminisme. Leur chant, sans être strictement militant, est porté par ces débats publics. Colette Magny, Anna Prucnal, Claire mettent leur insolence dans le combat. En effet, c'est plutôt l'énergie d'une émotion étranglée par le sarcasme qui guide leur pas et leur voix. Il est vrai que la mise en dérision des servitudes et des pouvoirs, la maîtrise du rire critique - après le partage des larmes - le voyage dans la géométrie de l'absurde s'inscrivent bien en rupture sacrilège des règles du genre sexué de la pratique chansonnière. (p 170)
Extrait de "La voix & le geste, une approche culturelle de la violence socio-politique", page 24, de Philippe Bourdin, Jean-Claude Caron et Mathias Bernard, Ed. Presses Universitaires Blaise Pascal, Coll. Histoires croisées :
"La chanson se fait violence quand elle est à la fois acte et traduction de la violence, comme lorsqu'elle remet en cause ses structures "traditionnelles", un travail de création qui, entre 1967 et 1975, est au coeur du projet de Colette Magny, auteur, compositeur et interprète. Proche des mouvements gauchistes dans les années 70 (elle est affiliée à la Ligue Communiste Révolutionnaire), elle développe dans son oeuvre les grandes thématiques contestataires de la période : tiers-mondismes, anti-américanisme, critique du capitalisme. Elle amalgame les formes verbalisées "classiques" (discours revendicatif, harangue...) et des choix musicaux exigeants : prenant en compte l'apport du free-jazz récemment révélé en Europe, la chanteuse ignore les règles habituelles de la chanson française (couplets, refrains, versification structurée, "confort" mélodique), pour mieux pousser sa voix et son cri aux limites de l'insoutenable, qui est aussi ce qu'elle prétend décrire, se faisant la voix des sans voix - une force militante, une colère que soulignent les illustrations de ses albums. Mais cette recherche esthétique l'éloigne largement du public populaire dont elle se veut le porte-parole."
Extrait du livre "A piena voce" de Marc Legras et Francesca Solleville (Ed. Christian Pirot, Collection chanson plus, biographie, 240 p) :
Colette Magny, secrétaire bilingue à l'OCDE, venait m'écouter place de la Contrescarpe et elle m'a confié plus tard que, m'ayant aperçue avec mon mari et mon chien, elle pensait ne jamais pouvoir
me parler tellement j'étais à ses yeux dans une catégorie résolument bourgeoise !
J'ai, dès notre rencontre, inscrit Les Tuileries (Victor Hugo-Colette Magny) à mon répertoire. Elle habitait rue de Flandres, à l'autre bout de Paris, et nous sommes devenues amies. Je n'ai
jamais rencontré quelqu'un d'aussi généreux. Mélocoton, devenu un succès alors qu'elle passait en première partie de Sylvie Vartan à l'Olympia, elle s'est retrouvée lancée comme la «blues woman
française» et sa maison de disques exigeait qu'elle n'enregistre que du blues en français. C'était mal la connaître... Malgré de très belles ventes, elle a envoyé promener tout le monde alors que
tout était prêt pour en faire une grande vedette. Il lui aurait suffi de dire «oui»... Son refus est pour moi, exemplaire. Il lui a permis d'orienter en toute liberté un répertoire
extraordinaire. Quelques années plus tard, en 1968, nous avons participé aux mêmes piquets de grève. Plus personne n'avait d'essence mais les ouvriers en grève en trouvaient pour que nous
puissions nous rendre dans ma R16 d'une usine à l'autre. Un jour, sur une aire d'autoroute où nous mangions un morceau, nous avons entendu à la radio Maurice Fanon annoncer qu'il quittait le
métier pour redevenir professeur parce que la révolution était en marche ! Qu'est ce qu'on a pu rigoler! Colette a lâché : «Je le prends au mot. Alors ça... il va m'entendre au retour!» Ma
voiture ayant un petit problème de direction, je lui disais qu'elle «tirait à droite». «Je te remercie de me le faire remarquer» répondait-elle stoïque. Elle était «la grosse dame de la chanson»,
moi, «la petite», et nous partagions souvent les mêmes scènes. Un jour, époustouflée, je l'ai entendue interpréter le Jabberwoky de Lewis Carol devant les ouvriers de la Rhodia Ceta. Il n'y a
rien à comprendre dans le Jabberwoky et c'était admirable. Je n'ai guère chanté d'elle que Les Tuileries. La reprise qu'en a faite Bernard Lavilliers prouve que le poème d'Hugo qu'elle a mis en
musique subit sans dommage l'épreuve du temps.
Dans "Histoire culturelle de la France de la belle époque à nos jours" de Pascale Goetschel et Emmanuelle Loyer (Ed. Armand Colin, chapitre 6) "Les sixties, la culture entre contestation et consommation - L'épanouissement de la culture de masse") :
Dans les années soixante, Gilbert Bécaud, Jacques Brel et Edith Piaf, symboles d'une tradition violente, poétique et mélodique, sont au sommet de leur gloire. Ils conquièrent eux aussi, une relative légitimité culturelle. Des enseignants étudient leurs textes en classe et des éditeurs les prennent en compte tel Pierre Seghers qui introduit dans sa collection "Poètes d'aujourd'hui" un ouvrage sur Brassens et publie plus tard des recueils entiers de chansons. Par ailleurs, la famille des auteurs-compositeurs-interprètes prend naissance et s'accroît significativement. Cette "chanson à texte", c'est celle de Colette Magny et de ses préoccupations sociales, de l'incisif Boby Lapointe, mais aussi de Guy Béart et Barbara, d'Hélène Martin et Jacques Bertin, d'Anne Sylvestre et Jacques Douai. L'impression des textes de chansons sur les pochettes comme le passage dans quelques émissions, rares il est vrai - on peut toutefois citer "La fine fleur de la chanson française" de Luc Bérimont sur France Inter -, leur permet de ne pas rester dans une totale confidentialité. Mais c'est surtout après 1968, quand la parole se délie, que les A-C-I se font remarquer : Léo Ferré, la figure anarchiste, triomphe dans la jeunesse et les temps apportent leur moisson de talents, Brigitte Fontaine, Claude Nougaro, Jean Ferrat et d'autres qui poussent loin la chanson revendicative.
Biographie publiée dans Encyclopedia of Popular Music :
Born 31 October 1926, Paris, France, d. 12 June 1997, Villefranche-de-Rouerge, France. Magny was one of the most striking and politicized of French singer-songwriters to emerge in the 60s. The
daughter of a grocery salesman and an actress (though her mother only took up this profession at the age of 57), Magny started work as a bilingual secretary and translator at the Organisation for
Economic Co-operation and Development in 1948, remaining in full-time employment there until 1962. Her interest in English-speaking culture introduced her to the work of blues and jazz singers,
including Bessie Smith and Ella Fitzgerald. Having been instructed on guitar and banjo by the French jazz musician Claude Luter, she began to compose her own blues material, performing in and
around the French capital. She played regularly at the Contrescarpe cabaret club, where she was spotted by enigmatic promoter Mireille, who booked Magny for her television show, Le Petit
Conservatoire De La Chanson, and Magny's version of "Saint James Infirmary" attracted rave reviews. The next day's edition of the Paris-Presse newspaper proclaimed: "France has found her own Ella
Fitzgerald". Having left the civil service, she signed a contract with CBS Records and released her debut single, "Melocoton", which reached the charts. However, she did not dabble with the
mainstream French pop charts for long. Subsequent material included quotations from the Bible, Chekhov, Dostoevsky and Lenin set to music, translations of Lewis Carroll and Pablo Neruda and
musical readings of French poets Victor Hugo and Rimbaud. She also continued to compose her own material, particularly after becoming politicized by the Algerian conflict of the 50s. Her song,
"Le Mal De Vivre", was banned by state broadcasters. A subsequent album, R‚pression, reflected angrily on such censorship. She took an active role in the Paris student riots, helping to organize
sit-ins and benefit concerts. In the 70s, Magny continued to branch out into new musical territory, working in jazz, rock and contemporary pop formats. Her 1973 album, Feu Et Rythme, won the
Grand Prix du Disque from the Acad‚mie Charles Cros. In the 80s she moved to the south of France, but thereafter her career was hampered by a chronic spinal disease. Despite this, she remained a
huge influence on French political and musical culture, her curmudgeonly persona emphasized by one of her final outbursts, condemning "the bastards who pretend I'm already dead. I want to prove
to them that I'm still alive, still creating."
Discography:
R‚pression (Le Chant du Monde 1964)***, Frappe Ton Coeur (Le Chant du Monde 1966)****, Vietnam 67 (Le Chant du Monde 1967)**, Feu Et Rythme (Le Chant du Monde 1973)****.
Bibliography:
Colette Magny, Citoyenne-Blues, Sylvie Adureau.
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Traduction (approximative!) :
Née le 31 Octobre 1926, Paris, France, décédée le 12 Juin 1997, Villefranche-de-Rouergue, France.
Magny est l'une des plus engagées des chanteurs-compositeurs-interprètes de la chanson française à émerger dans les années 60. Fille d'un épicier et d'une actrice (bien que sa mère ne
s'orienta vers cette profession qu'à l'âge de 57 ans), Magny a commencé à travailler comme secrétaire bilingue et traductrice à l'OCDE (Organisation de coopération et de développement
économiques) en 1948, où elle y exerce un emploi à plein-temps temps jusqu'en 1962. Son intérêt pour la culture anglophone l'amene à s'intéresser aux blues et aux
chanteurs de jazz, notamment Bessie Smith et Ella Fitzgerald. Formée à la guitare et au banjo par le musicien de jazz français Claude Luter, elle commence à composer ses propres blues, se
produisant à Paris et aux alentours. Elle joue régulièrement au cabaret de la Contrescarpe, où elle est repérée par Mireille, qui invite Magny pour son émission de télévision, Le Petit
Conservatoire de la chanson, et la version de Magny de «Saint James Infirmary» suscite des critiques élogieuses. Le lendemain, le journal Paris-Presse proclame : «La France a trouvé sa
propre Ella Fitzgerald». Après avoir quitté la fonction publique, elle signe un contrat avec CBS Records et sort son premier single, "Melocoton", qui devient un tube. Toutefois, elle ne
côtoie pas longtemps le vedetteria. Elle met en musique des citations (de la Bible, Tchekhov, Dostoïevski et Lénine), des traductions (de Lewis Carroll et de Pablo
Neruda) ainsi que des poètes français (Victor Hugo et Rimbaud). Elle écrit également ses propres textes, en particulier après son engagement politique dans le conflit algérien des
années 50. Sa chanson "Le Mal de Vivre» est interdite sur les radios d'État. L'album suivant ,"Répression", exprime avec colère cette censure. Elle prend un rôle actif dans les émeutes
estudiantines à Paris, en aidant à organiser des sit-ins et des concerts de soutien. Dans les années 70, Magny continue à expérimenter de nouvelles formes musicales, en abordant le jazz, le
rock et la musique contemporaine. Son album de 1973, "Feu et rythme", remporte le Grand Prix du Disque de l'Académie Charles Cros. Dans les années 80, elle déménage dans le sud de la France, mais
par la suite, sa carrière est entravée par une maladie de la colonne vertébrale. Malgré cela, elle continue à exercer une influence considérable sur la culture musicale française, déclarant
ainsi : «aux salauds qui prétendent que je suis déjà morte, je veux leur prouver que je suis encore en vie, que je créée encore».
Discographie:
Répression (Le Chant du Monde 1964)***, Frappe Ton Coeur (Le Chant du Monde 1966)****, Vietnam 67 (Le Chant du Monde 1967)**, Feu Et Rythme (Le Chant du Monde 1973)****.
Bibliographie:
Colette Magny, Citoyenne-Blues, Sylvie Adureau.
Parution dans une revue non identifiée.
Source : Bibliothèque Marguerite Durand, Paris