A l'occasion de la programmation le mercredi 3 avril 1963 à 20h45 à la télévision de l'émission "L'Europe en chantant", Télé Magazine consacre un article à Colette Magny avec une interview de Michel Delain :
Cette « Europe en chantant sera au moins une belle réussite pour le marché commun de la chanson : ancienne et nouvelle vaque s'y côtoient. Car si Françoise Hardy et Eddy Mitchell sont au générique, Jean Sablon et Dario Moreno y figurent aussi. Une révélation TV cependant : Colette Magny, une artiste insolite qui, dans la tradition du blues, chante « Le Mal de vivre » : « Ils ont laissé tuer Lumumba, que deviendra Gizenga... », « Les Rouges ont un homme qui lance la chaussure à bon escient... »
On n'avait pas vu ça depuis belle lurette ! Le phénomène se faisait rare. Quel phénomène ? La révélation soudaine, la génération spontanée d'une vraie vedette de la chanson, d'une véritable artiste, d'une créatrice. Et n'allez pas croire qu'il est question ici d'une de ces fausses valeurs jetées régulièrement sur le marché par quelques boursiers ou autres grossistes en disque ! Non : Colette Magny est une enfant légitime du public. Le terme étant à la mode en notre ère, nous dirons qu'elle est une « plébiscitée » à 100 % : il lui a suffi d'apparaître deux minutes sur le petit écran, en décembre dernier, au cours du « Petit Conservatoire » de Mireille pour qu'elle sorte de l'anonymat, qu'on la réclame, qu'on l'acclame, que sa voix se coule dans les microsillons, que Bruno Coquatrix pointe l'oreille et, séduit par ce qu'il entend, l'engage à l'Olympia.
Mais où ce phénomène devient... phénoménal, c'est lorsqu'on s'aperçoit que Colette Magny n'est nullement spécialisée en twist,rock ou bossa-nova, mais lance le « blues » français !
L'impression première en la voyant ? La même exactement que celle qui vous assaille lorsque Piaf fait son entrée sur scène et commence à chanter : l'aspect physique de l'interprète s'estompe tant la voix s'écoute avec les oreilles et avec les yeux. Il y a miracle, état de grâce, transe et transfiguration. Tout comme le spectateur oublie la môme Piaf, étriquée et mal fagotée, il ne remarque pas exagérément la femme à l'embonpoint certain qu'est Colette Magny.
- Vous avez déjà un surnom - l'Ella Fitzgerald blanche - cela vous flatte-t-il ?
- Plutôt ; bien que je sois loin d'arriver à la cheville de Fitzgerald...
- Où puisez-vous votre inspiration ?
- Dans la vie quotidienne actuelle : le social, le politique, le littéraire, l'atome, Cuba, Lumumba. Au lieu de faire rimer « amour avec toujours », je fais rimer « Lénine avec Staline »...
- Vous avez 37 ans, votre vocation a donc été tardive ?
- Oui et non. Oui parce qu'avant de me présenter chez Mireille, j'avais passé ma vie à travailler chez des avocats-conseils, puis dans une fabrique de lunettes pour Américains, enfin comme secrétaire bilingue. Non, parce que, il y a seize ans, désirant déjà chanter, j'avais travaillé avec Claude Luter et failli écrire des chansons en collaboration avec Boris Vian. J'avais le virus, vous voyez... Je suis un peu comme ma mère qui a commencé à 57 ans, une carrière théâtrale sous le nom de Claude Ferna...
- Dites, je peux vous poser une question plus indiscrète ?
- Si je souffre d'être grosse ? C'est ça ?. Bien sûr j'en al souffert, mais je m'y suis faite. Ce complexe initial a même dû accentuer ma sensibilité. A vrai dire, je n'y pense pas trop... Et puis, maintenant que je suis vedette, mes « managers » vont m'arranger. Tout à l'heure, j'ai rendez-vous chez le coiffeur et chez la couturière. Çà m'amuse beaucoup...
Il n'empêche qu'elle le chante drôlement, ce ,blues : « Personne ne pense à vous quand vous avez le cafard... ».