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24 juin 1987 3 24 /06 /juin /1987 08:36

Le 24 juin 1987, "Les chemins de la Connaissance" de France Culture proposent une série de cinq émissions consacrée à la pintade, autour de Jean-Marie Lamblard, une série intitulée "Le testament de la pintade". Dans les premières minutes du troisième volet, on y découvre comment le caractère rebelle de cet animal rétif à la domestication avait séduit notre grande chanteuse de blues, Colette Magny qui, fascinée par l'oiseau de paradis que lui avait fait découvrir Jean-Marie Lamblard, devait lui consacrer un album tout entier.  

Émission de Cécile Hamsy à réécouter en cliquant ici

Colette Magny : "Ça s’appelle donc Kevork et le délit d'errance, parce que cette pintade est un animal bizarre, comme a dû vous le dire Jean-Marie Lamblard. Enfin, bizarre, c'est ça qui m'a frappé aussi. Il m'a invité à manger sous le pont du Gard. Et il m'a raconté ses histoires de pintades. J'en suis sortie là, la tête pleine de plumes ! Il m'a raconté la déesse des rivières et de l'amour, une tribu du Niger, les Bambarins : elle sert pour les sacrifices, on l'égorge, son sang tombe sur la robe comme le plumage de la pintade. Rien que cette image, ça m'a sidéré. Il m'a raconté qu'il a contacté tous les musées du monde, il m'a montré toutes les reproductions qu'il a reçues. J'étais étonnée. Et alors ce qui m'a intéressé aussi après c'est le caractère de cette bestiole : indomesticable. Si au bout d'un an on la laisse dans l'enclos où elle est, elle redevient sauvage immédiatement".

"En plus c'est un animal fragile. Elle se panique. Elles se montent les unes sur les autres. Alors forcément, il y a en a qui meurent en dessous. Elles s'effraient très vite. Et elles se détruisent du coup. Jean-Marie Lamblard prétend qu'elles ont de l'humour également. Elles font enrager les éleveurs, elles pondent quelques petits œufs par ci, et puis elles font semblant, elles le mettent ailleurs. En plus, on reconnaît difficilement leur sexe : par la crête, ça s'est amusant. En plus, le dindon américain a brouillé le marché de la pintade : vous imaginez tout ce que je peux tirer de tout ça !"

"J'étais fascinée par tout ce qu'il m'a raconté en 69 et je suis revenue à Paris la tête pleine de plumes. Je raconte ça à une amie qui me dit : as-tu pensé à la lutte des paysans ? En effet, je n'y ai pas pensé. Je lui dit de me faire une bibliographie et je vais me renseigne sur la lutte des paysans. Ça m'a perdu : pendant deux ans j'étais dans les livres... et j'ai perdu les plumes ! Alors boom, la pintade enterrée !"

"Pintade pieuvre, peut-être pintadine, pintade fleur, sûrement innocente, tu me fais souffrir. Je décrypte les douleurs qui m'assaillent quand je te laisse entamer ma vie".

Disparu en 2018, Jean-Marie Lamblard était tout à la fois un écrivain - essayiste, romancier et conteur - un passionné de théâtre, mais aussi un éleveur de pintades. Devenu docteur en ethnozoologie, il a consacré des dizaines d'années de recherches et de voyages à l'oiseau mythique caché derrière la banale volaille de nos basses-cours. Dans les mythologies, les légendes et l'histoire, dans tout genre de récits et de représentations, Jean-Marie Lamblard a mis en lumière la présence à travers le monde et les millénaires de cet oiseau venu du fond de l'âge de l'Afrique de l'Ouest. De ce travail est né L'Oiseau Nègre, l’Aventure des pintades dionysiaques, un ouvrage paru en 2003.

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2 mai 1985 4 02 /05 /mai /1985 13:05

Article paru dans Heures Claires n°236 de Mai 1985  :

En mai fais ce qu'il te plaît. Moi j'ai téléphoné à une grande dame de la chanson, trop mal connue parce qu'elle a toujours fait ce qui lui plaisait. Non, elle ne regrette rien. Je vous propose donc un entretien avec Colette Magny. Un entretien du coq à l'âne, avec un point de passage obligé par la pintade. Non, non, ce n'est pas une farce.

Dans mes petits souliers, j'étais. Dans les souliers de la môme de sept ans qui en 1963, avec ses premiers sous économisés, avait offert sa grande sœur son premier cadeau, un 45 tours : « Melocoton et boule d'or, deux gosses dans un jardin... », et sans arrêt on remettait le bras du tourne-disque sur la petite galette de vinyl.

- Dis Yèye, ça veut dire quoi Melocoton ?
- J'en sais rien, viens, donne-moi la main
.

La France découvrait sa chanteuse de blues, une voix superbe, épaisse et rauque, ça c'était chouette, alors ! Oui, mais il y avait un hic. Le hic, c'était Colette Magny, la dame à qui appartenait cette voix superbe, épaisse et rauque.

Les hit-parades (Mélocoton y figura), elle n'en avait rien à faire, et les impératifs du
show-biz encore moins. Elle, elle voulait chanter « Viva Cuba », dire avec cette voix magnifique, tumultueuse et tendre la solidarité, la souffrance des peuples et faire chanter l'avenir.

«  Lorsque l'humanité sera enfin sage
Nous passerons de la compétition dans l'individualisme, à l'individualité dans la coopération

Alors Colette Magny, la secrétaire bilingue de l'O.C.D.E., a claqué la porte du show-biz et s'en est allée suivre des chemins de traverse, les chemins du cœur parce que :

« Tu n'auras la joie
Tu n'auras le bonheur
Ni dans l'argent
Ni dans l'amour
Mais dans la vérité
Frappe ton cœur
... .»

Les histoires de Colette Magny ont toujours eu rendez-vous avec l'histoire, qu'elle chante « Chronique du Nord », « Bou bou Yeye », le cri des femmes de mineurs en grève, ou « Bura-Bura » dédiée aux survivants d'Hiroshima :

« Dans la ville nouvelle
Trop malade pour travailler
Pas assez pour mourir

Diseuse de révoltes, Colette Magny est une chanteuse engagée. Engagée auprès de sa conscience à elle et quand c'est trop, c'est trop, elle le fait savoir :

« Chanteuse potiche à pétitions
Chanteuse potiche à galas de soutien
Potiche ça ne peut plus durer

On ne pourra jamais, elle ne voudra jamais être enfermée où que ce soit. Et quand elle chante le blues, celui de Cole Porter, de Bettie Smith, c'est toujours Colette Magny, sur un autre registre, c'est toujours cette même voix pleine et belle qui vous prend au cœur. Et puis, il y a encore Colette qui chante Louise Labbé, Aragon, Neruda, Victor Hugo et Verlaine, qui s'amuse à faire des textes collages où voisinent Tchekov, Jésus-Christ, Musset et Dostoïevsky, unis dans la musique. Colette qui peint des textes d'après des toiles, et qui chante l'article « La marche » du Larousse. Oui, vraiment, elle sème son talent à tout vent.

Voilà, c'est cette dame-là, à qui on n'en compte pas, qui ne mâche pas ses mots, qui dérange, mémoire de mai 68, des grèves de Saint-Nazaire, solidaire du Chili, défi à la bonne conscience, que j'avais au bout du fil, elle du côté de Toulouse, moi à côté de Paris.

Vous avez été de tous les combats, sauf du féminisme. Pourquoi ?

Vous savez, il y en a qui s'en occupent fort bien, non ? A une certaine époque, c'était la mode, les médias s'en sont emparés et quand les médias s'emparent de quelque chose, moi, méfiance... Enfin, je suis sur la réflexion. Mais évidemment ce que les femmes ont gagné, le droit à l'avortement, j'en suis heureuse.

Oui, mais aujourd'hui encore l'égalité n'est pas gagnée.

C'est vrai, mais elle n'est gagnée, ni pour la femme, ni pour l'homme.

En posant cette innocente question, j'avais tout de même le sentiment d'être légèrement de mauvaise foi : quand on prend pour parolière Louise Labbé, poétesse lyonnaise du 17e siècle, c'est déjà un engagement. Et puis cette petite phrase qui clôt « Ras la trompe ».
« Feu-femme objet, je suis en transit », me fait tiquer et je le lui dis :

A priori, on pourrait penser qu'une femme qui chante et qui s'engage politiquement n'est pas une femme-objet...

Pas forcément, la preuve j'ai fait cette chanson. Et puis, il y a le reste, les autres domaines de la vie.


Travailler avec des femmes musiciennes, c'est différent ?

Oui, mon travail avec Anne-Marie Fijal par exemple. Elle a une façon de faire les choses spécifiquement féminine. En chantant avec des musiciennes sur scène, j'ai remarqué qu'elles étaient là, bien présentes s'il se passe quelque chose dans la salle. Les musiciens, eux, ne bougeaient pas d'un poil.

S'il se passe quelque chose dans la salle... A une certaine époque, les chahuts, Colette Magny y a eu droit sur scène. C'était le prix de son indépendance à l'égard des « Militants » (titre d'une chanson où elle met les choses au point).
Colette Magny a toujours payé chèrement cette indépendance : radios et télévisions ignoraient totalement la chanteuse rebelle.

Votre carrière n'a pas été facile ?

Non, ça non. Je chante parce que j'ai envie de chanter, mais je n'ai pas voulu que ma voix serve à n'importe quoi. On m'en a imposé des difficultés, mais je considère que c'est normal. Moi, j'ai une attitude rigide, intransigeante. Quand je suis sortie de mon bureau pour chanter, je ne savais rien de tout ça. Pour faire ce métier, il faut du courage, c'est vrai pour n'importe quel artiste, quoi qu'il ait choisi de faire. Et, c'est vrai même pour des gens avec lesquels je ne suis pas d'accord politiquement...

(Ici le rire immense de Colette Magny déferle sur mon téléphone.)

Enfin, j'ai quand même bien eu la tentation de me trucider... En janvier 81, je ne gagnais pas assez d'argent et on a failli me retirer la « Sécu ». Au bout de vingt ans de chanson, même pas avoir droit à une couverture sociale. Alors oui, il faut vraiment du courage, mais j'ai toujours fait ce que j'ai voulu et ça compte !

Les crimes racistes de ces dernières semaines, ça ne vous donne pas envie d'écrire quelque chose ?

J'ai rien à dire. Dans des situations aussi dramatiques, la chanson ça sert à rien.

Et le disque « Chili - Un peuple crève », que vous avez fait avec Maxime Le Forestier et Mara en 1975 ?

Ce disque, j'irai presque jusqu'à me le reprocher. Aujourd'hui, je fais partie d'un groupe d'Amnesty International et c'est là que je me bats. C'est vrai les questions politiques sont moins au cœur de mes chansons, mais pas de ma vie.

Ou alors, c'est peut-être bien une autre façon de faire de la politique, en parlant de la vie de tous les jours, de ceux que Colette côtoie, en leur donnant la parole.

Témoin ce disque de 1979, "Colette Magny, je veux chanter".

J'aime vivre à la campagne, proche des choses et des gens et je me préoccupe de ce qui m'entoure. J'ai habité pendant deux ans dans un petit village des Vosges. Il y avait dans un institut médico-pédagogique pour les enfants handicapés. J'ai rencontré les animateurs, les enfants. Des liens se sont créés. Nous avons travaillé pendant deux ans pour aboutir à ce disque.

Et aujourd'hui, que préparez-vous ?

Un poème musical sur la pintade. Un opéra agricole, quoi.

Elle dit ça tranquillement et moi, déconcertée, je m'étrangle de surprise. J'avais tout imaginé, mais pas la pintade.

Avec moi, on peut s'attendre à tout. D'ailleurs ça n'étonne pas trop ceux qui me connaissent bien. C'est tout nouveau, mais j'y pense depuis quinze ans. J'ai rencontré un jour un éleveur de pintades qui depuis a passé une thèse en Sorbonne sur le sujet. Il m'en a parlé avec beaucoup d'amour, et j'ai été passionnée : ces gallinacées sont indomesticables, fragiles, subtiles, sensibles et redeviennent très vite sauvages. La pintade, c'est la liberté...
... En plus, le dindon américain est venu foutre la merde sur le marché de la pintade française. Alors, vous pensez si ça m'intéresse. « U.S. Go home », ça me plaît bien. Pour l'instant, je n'ai rien écrit, je dépiote la documentation que j'ai accumulée depuis quinze ans. J'ignore encore ce que cela donnera. Quoique si moi je pense que c'est pas mal, je le ferai. Écrire des chansons comme ça ne m'intéresse pas beaucoup. Je suis plus tentée de faire des choses complètes sur un même sujet.

En octobre 1984, après Brel, Brassens et Ferré, Colette Magny a reçu le prix Louis Tenco en Italie, pour toute son œuvre. Une récompense qui la fait jubiler :

Je suis la première femme à avoir reçu ce prix. C'était tout à fait inattendu. Giovana Marini et Luis Llach ont dû parler de moi... Mais quelle joie, et quelle réception ! Fantastiques,  ces Italiens. Et c'était un joli petit bijou, pas un oscar merdique...

Et une fois de plus, son rire déferle sur mon téléphone. En mai, c'est sûr, faites ce qu'il vous plais, mais permettez-moi de vous donner un conseil : en mai, Colette Mage remonte sur scène pour une série de concerts en province et à Paris. Ne la manquez pas.

DOMINIQUE DELLAC

DISCOGRAPHIE
Feu et Rythme. Réédition de « Feu et Rythme », « Répression ». LDX 74800/1. Chant du Monde
Réédition de « Transit » et « Visage Village ». LDX 74827/8. Chant du Monde.
Thanakan. Antonin Artaud. LDX 74770 Chant du Monde.
Cahier d'une tortue. Sylvie Dubal. LDX 74770 Bis Chant du Monde.
Quatre chansons américaines, V. Hugo, L. Aragon etc. 33 T - 1965. 62416. CBS.
 

 

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1 mai 1985 3 01 /05 /mai /1985 10:27

Article de La République du Centre (1985) :

Sans étiquette - Colette Magny et la force de vie

Colette Magny était l'autre semaine à Olivet. Dans une salle à moitié vide qu'elle a remplie de ses mots chocs. Depuis vingt ans, Colette Magny n'a pas changé. De vive voix, elle chante ses colères, ses passions. Une voix solide comme le roc que n'altèrent point les souffrances physiques. Dans sa grande robe tunique, Colette Magny se déplace pourtant avec peine, presque à tâtons. Pour oublier, elle gueule. Et c'est beau. En coulisse, nous sommes allé la voir. Entrée en matière (vive) toute trouvée : « Pourquoi vous insurgez-vous contre l'appellation de chanteuse de blues ? » :

- Cela fait vingt ans que j'essaie de me défaire de cette étiquette. Le « blues », c'est commercial. On aurait voulu que je me contente de chanterer en anglais. J'ai refusé.

- N'est-il pas décourageant de se retrouver en marge ?

- Pas du tout. Quand j'ai débuté, je ne pensais pas que je chanterais encore aujourd'hui. Ma plus grande satisfaction, c'est d'avoir toujours fait ce que je voulais faire. J'ai fait les disques que j'avais envie de faire. Si j'ai commis des erreurs, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.

- Vous avez repris votre grand succès « Melocoton ». Pourquoi ?

- Parce que cela me fait plaisir de le chanter et parce que la gauche est au pouvoir. Avant, on voulait m'obliger à ne chanter que cela.

- Vous vous refusez d'être critique envers la gauche ?

- Pourquoi ? Pas du tout. Je dis simplement que je ne veux pas voir revenir la droite. Je ne changerai pas d'avis tant qu'on ne m'aura pas démontré que les dirigeants actuels sont des croqueurs de diamants. La gauche a aboli la peine de mort. J'ai vu à la télévision des émissions où l'on encourage la lecture. La droite, elle, brûle les livres. J'ai vu une série d'émissions sur la faim dans le monde.

- Dans le domaine des émissions de variétés, cela ne change guère ?

- C'est vrai. (I y a cependant un peu plus de jazz. Il faudrait une bonne émission de variétés où l'on entendrait des artistes ignorés. De toutes façons, la télé ne fait pas tout. Je suis passée au « Grand échiquier » pour faire plaisir à mon P. -D. G., ce n'est pas pour cela que la salle était pleine ce soir.

- Pour chanter et dire des textes comme vous le faites, travaillez-vous la technique ?

- Pas du tout. Ce que je fais, je le fais avec mes tripes. J'ai travaillé le classique. C'est affreux. Je n'ai pas le sens de la mesure. Et puis, en fait, cela m'emmerde. C'est pour cela que je travaille avec des musiciens de grande qualité comme Anne-Marie Fijal. Malheureusement, elle va me quitter. Elle a beaucoup d'autres activités. J'aurais bien aimé
avoir Lubat mais il est parti chez Nougaro où il tournera plus qu'avec moi.

- Vous dites que la musique vous aide à oublier vos douleurs. La musique est donc une médecine ?

- Absolument. D'ailleurs, plutôt que de bâtir des grands ensembles, la gauche ferait mieux de faire des chorales. Les gens n'osent pas ouvrir la bouche. Et pourtant, sauf quelques rares cas de malformations, tout le monde sait chanter.

Propos recueillis par Jacques CAMUS.

 

 

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26 juillet 1984 4 26 /07 /juillet /1984 09:59

Article paru dans L'Humanité du 26/07/1984

Colette Magny sera l'après-midi du dimanche 9 septembre sur la scène centrale de la Fête. Elle s'y livrera entre autres à une sorte de « mano a mano et de vocce a vocce » avec Brenda Wootton, qui est de Cornouailles. Depuis vingt ans, on ne cesse de constater que Colette Magny occupe les avant-postes de la chanson. Ce truisme journalistique suggère peut-être qu'elle possédait dès le début quelques longueurs d'avance. Peut-être aussi que ceux du peloton de la romance et de la barcarole n'ont pas trop essayé de la rattraper. Plus sûrement, c'est que Colette Magny sait administrer sa propre ordonnance, « ose et chante ».


On dirait que depuis vingt ans, vous mettez une application acharnée à briser les formes, les cadres traditionnels de la chanson.

— Non... Ni application ni acharnement. Quand j'ai débuté, je ne savais rien ; ni musique, rien. Est-ce que j'en sais plus aujourd'hui ? Ne sachant rien, en tout cas je ne pouvais me conformer à rien.

Tout de même... En 1963, vous proposez des chansons faites du collage de citations. C'est un exercice très savant.

— Savant, non. Ce qui a de l'influence dans ma vie, c'est la littérature. Alors des formules, des phrases ici et là qui m'ont frappées, pourquoi ne pas les mettre bout à bout ? Parfois, après de petites fêtes, les gens viennent me dire : c'est un peu compliqué ce que vous faites. Peut-être, mais qu'ils sachent que je ne le fais pas exprès. Je ne me suis jamais laissée ligoter par quoi que ce soit ; d'ailleurs, comme je vous l'ai dit : je ne savais rien. Ainsi, à l'examen d'entrée à la SACEM, j'ai été recalée : n'a pas respecté les règles de la prosodie ; j'aurais fait des rimes (tristesse, amour, tendresse, toujours), ça marchait, mais là-dessus je suis rédhibitoire. Même s'il me juge difficile d'accès, le public — même celui que l'on appelle populaire — reconnaît là tout de même quelque chose de différent. Tenez, par exemple, au Théâtre de la Ville, je sais que deux ouvreuses chaque jour écoutaient attentivement mon montage de textes d'Antonin Artaud. Vous savez, c'est comme ça, souvent les choses les plus complexes passent. Il faut dire aussi que j'ai un argument, la voix, et puis peut-être, une certaine conviction.

Depuis vingt ans, vous êtes fichée à l'avant-garde. Comme ça n'est pas près de changer, cela vous fait une situation confortable ?

— Vous trouvez ? J'ai été bien souvent brimée à la télévision et un peu partout dans ce métier. A une époque, on disait : qu'elle chante en anglais celle-là, et qu'elle ne nous emmerde plus ! Que cela ait été provoqué par mes propos politiques, on le prétend, mais je crois qu'essentiellement c'était pour des questions de forme. On me conseillait : chantez ce que vous voulez, Colette, mais mettez donc une musique comme ceci ou un accompagnement comme cela... Ces gens n'aiment pas qu'on marche sur leur ronron.
De toute manière, je crois qu'à mes débuts et en gros jusqu'en 1970, je me trouvais dans un courant d'inventions, de recherches dans la chanson, courant politique aussi : dans la lutte pour le Vietnam en particulier. Je dois vous confier que dans les courants actuels, beaucoup de choses m'échappent.

Précisément, qu'est-ce qui vous échappe ?

— On dirait que la politique ça les ennuie. Et ça râle ! Moi, je dis : il faut oser et bosser ! Mais peut-être finalement suis-je retardataire. En tout cas, je continue ma route.

De nouvelles chansons ?

— Sans doute pas. Qu'est-ce que je ferais de plus ? Quoique... Peut-être ferai-je une chanson pour expliquer mes positions politiques... En fait je regrette un peu qu'il n'y ait plus de "schtroum"... même si je ne me fais plus engueuler...Seulement par les féministes, parfois. Vous savez, je produis peu. J'ai peu d'idées. Mon dernier disque vraiment personnel date de 1976 : "Visage, village". Le tout récent, c'est essentiellement de l'interprétation de blues. Enfin, pas tout à fait. C'est pourquoi, je l'ai appelé "Bluesy, bluesy..." Non ! Je vais maintenant me mettre à mon opéra.

Un vrai opéra ?

— Mais oui monsieur. Une suite de textes - un livret comme on dit - et jusqu'au bout... Même si on me dit que ce n'est pas poétique. Peut-être ferai-je appel à plusieurs compositeurs. Donc, mon opéra sur la pintade...

Mais ça vous l'annoncez depuis 1969 !

— Eh oui ! Ça sera l’œuvre de ma vie. Un opéra agricole. Peut-être entrerai-je en tracteur sur la scène !

Mais pourquoi cette obsession à propos de la pintade ?

— C'est que c'est un animal magique, sacré. Et chaque fois que je parle de ce projet — à peine précisé — les gens s'enthousiasment. Ah ! je le veux dans ma salle ! Ah ! je suis prêt à collaborer ! C'est magique, je vous dis... C'est un animal africain... et puis chinois. C'est un animal indomesticable.. Il y a certes des élevages mais ai bout d'un an, si on les relâche, elles redeviennent sauvages. Ça criaille ! Les agriculteurs se demandent toujours si la femme n'est pas nerveuse... Il faut mettre l'élevage à un kilomètre, ça a vraiment un cri terrible. De plus, à une époque, il y a le dindon américain qui a brouillé le marché de la pintade... Enfin, il y a plein de choses dans cet animal qui me permettent de m'exprimer.

A la fête de l'Humanité, vous vous produirez en compagnie de Brenda Wootton.

— Oui. Je crois que ce qui nous a réunies, c'est la voix. A part ça, elle s'inspire d'un fond plus traditionnel, moi c'est plus particulier, si je puis dire ! Nous ferons ensemble deux ou trois morceaux ; mais nous devons d'ailleurs y réfléchir.

Pour occuper la grande scène de la Fête, vous envisagez un environnement musical important ?

— De qualité, sûrement. Je crois que pour moi, c'est toujours un peu le cas : les jazzmen de Lyon, Anne-Marie Fijal, ou Bernard Lubat... Mais à notre époque de grands décibels, la manière de s'en sortir, c'est probablement d'être le plus "nu" possible...

Propos recueillis par Louis Destrem

 

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29 octobre 1983 6 29 /10 /octobre /1983 16:38

Interview réalisée par Pablo Rouy parue dans Gai Pied Hebdo, n°91 :

Colette Magny est parmi les plus grandes dames de la chanson française. Pourtant, vous ne la verrez jamais au Grand Echiquier. Surtout appréciée par les marginaux, les habitués des fêtes politiques, elle reste ignorée du grand public. Son image de forte en gueule, de révoltée perpétuelle, de mauvaise élève toujours prête à contester les médias, lui a réservé le respect poli de ceux qui attendent sa disparition pour crier au génie musical, au personnage extraordinaire. Lelouch fera un film. Derrière tous ces clichés, j'ai trouvé une femme douce, simple et drôle, qui refuse toujours les compromissions et ne demande qu'à être aimée et écoutée. Elle sera du 4 au 12 novembre au Théâtre de la Ville de Paris.

Parle-moi tout d'abord de tes origines sociales, de ta famille ?

Je suis née à Paris tout bêtement dans le 14e arrondissement. Mes parents étaient bourguignons : mon père acheteur de fromage et ma mère fille de capitaine de gendarmerie. Bref, la petite bourgeoisie. J'ai fait des études lamentables. Je suis allée jusqu'à la seconde, que j'ai redoublée, et pour résumer mon travail de l'année, les professeurs avaient mis : "Attend que la cloche sonne". Quand mon père a vu ça, il m'a dit c'est la crèmerie Magny ou le secrétariat. J'ai choisi le secrétariat tout de suite. J'aurais dû faire la crémerie, j'aurais eu plein de sous ! (Rire) Puis j'ai travaillé 20 ans dans un bureau dont 17 ans à l'OCDE comme dactylographe bilingue. J'étais fonctionnaire internationale et je gagnais bien ma vie.

Comment t'est venu le goût de la chanson ? As-tu toujours chanté ?

Oui, j'ai toujours chanté. Ma mère, chanteuse classique non professionnelle, un beau soprano lyrique, chantait pour mon père qui béait, qui pleurait. (Rire) Le matin, quand on se levait, elle disait à mon frère et à moi : "Il faut placer sa voix" et on faisait nos petites vocalises. Ce fut un tout petit déclic, car mes parents n'écoutaient pas de musique. Le départ a été une rencontre en 1946 dans ma famille avec Claude Luther, à l'époque du début du jazz new-orleans. Je voulais en faire autant et j'ai appris alors à jouer du banjo. J'y ai pris goût et j'ai écouté ces musiques américaines. Je chantais alors pour mes copains du jazz, des vieux trucs d'avant-guerre comme Bessie Smith, Billie Holliday, m'accompagnant seule à la gui-tare. Mais je bossais encore au bureau.

Étais-tu passionnée par la politique ?

Non, j'étais innocente politiquement. Je planais. Je ne m'occupais que de mes affaires d'amour (rire). C'est une bagarre dans la rue pendant la guerre d'Algérie qui m'a soulevé le foie. J'ai essayé de comprendre et ça a été dur. Pour la première fois de ma vie, j'ai lu les journaux. Cela se passait en 56 lors d'une réunion de la gauche non communiste que les fachos ont attaqué. Ce qui m'a le plus frappée à l'époque, ce fut l'attitude de « non-intervention » de la police. Après ça été plus dramatique quand j'ai fait une sélection de journaux. Je disais à ma collègue de bureau « Ah ! Votre sale Figaro », et elle me répondait « Et votre Canard Enchaîné » ! (Rire). On est resté amies...

Comment as-tu abandonné ton bureau ? Tes vrais débuts dans la chanson ?

Mes amis et ma famille prétendaient que j'avais une belle voix et voulaient que je chante, et j'ai pensé qu'ils avaient peut-être raison. Un copain m'a conseillé d'écrire une chanson. Je ne savais pas ! Puis j'en ai faite deux : Prends ton cœur et Melocoton. Tout le monde a trouvé ça formidable à ma grande surprise. Ma mère s'est mise à travailler à 57 ans quand mon père est mort et a fait du théâtre avec Sacha Pitoëff d'abord, puis Roger Planchon, et c'est à son musicien qu'elle a dit : « Ma fille chante. » Il m'a trouvée fantastique et a convoqué un type de chez Philips, mais cela n'a pas marché. J'ai réfléchi alors un an à la notion de sécurité. J'avais 36 ans. Je me suis dit qu'il n'y en avait pas mais que si ça ratait je reprendrais mon travail. Là, j'étais déterminée.
Je me suis bagarrée dès ce jour et s'il y a des conneries dans mes disques, ce sont les miennes. On ne m'a rien imposé. J'ai donc obtenu une audition à la Contrescarpe le 14 juillet 62 à minuit, bardée de 4 chansons anglaises et 4 chansons françaises. Et alors, après mon tour de chant dans la petite salle, la bagarre a commencé avec de grandes discussions sur le trottoir à cause de ma chanson Viva Cuba. Moi j'étais plus morte que vive de pétoche. Les responsables du cabaret disaient : « C'est impossible, elle ne peut pas chanter dans la grande salle, elle joue trop mal de la guitare, elle parle de trop de choses, c'est antipoétique, ces mecs de l'OAS à la Chope en face vont tout casser chez nous... » Et patati et patata. En 1962, la chanson engagée n'existait pas et Cuba gênait tout le monde. On trouvait que j'avais du talent. Enfin je me suis retrouvée dans la panade car Arlette R., la patronne, ne m'avait promis la Contrescarpe que pour perdre ma panique et m'apprendre le métier, et elle ne m'a pas gardée. Affolée, j'ai passé des auditions partout dans les cabarets rive gauche. A chaque fois on me répondait : « Vous avez une voix émouvante, mais ce n'est pas notre genre ». Je n'étais le genre de personne. Maintenant je suis le genre de tout le monde ! (Rire)
Sur les conseils d'un copain, j'ai écrit à madame Mireille du Petit Conservatoire de la chanson et j'ai été convoquée en novembre 62 dans son école. Toujours très paniquée, j'ai chanté et elle m'a trouvée très bien, si bien que trois semaines plus tard je suis passée à la télévision et là, ça a fait tilt. J'ai eu quatre colonnes dans Paris-Presse. On a écrit : « On a retrouvé l'élève de Mireille », alors que je ne connaissais personne. J'ai gueulé : « Quel est le con qui a écrit ça ? », déjà de belles relations avec la presse (rire). Je ne suis restée que trois semaines chez Mireille qui me l'a reproché ensuite. Mais chaque fois qu'elle me demandait, j'y allais. C'est une femme intelligente, sensible et très gentille qui m'a beaucoup aidée. En avril 63, je faisais l'Olympia. J'ai refusé 5 fois d'y aller car j'étais terrorisée par ce grand vaisseau qui me paraissait monstrueux.

Comment s'est passé l'Olympia ?

Très très bien. Il y avait deux parties et le spectacle s'appelait Les idoles des jeunes. Mais il n'y avait pas de grandes vedettes, seulement Sylvie Vartan et Claude François qui étaient peu connus. Je suis passée en vedette anglaise en n° 3 et j'ai chanté 4 chansons américaines et Melocoton avec un orchestre new-orleans.


Après, tu as fait ce fameux disque Melocoton. Qu'est-il arrivé ?

Oui, il est passé à la radio tout le temps. D'ailleurs, ils n'ont passé que ce titre pendant 20 ans. J'ai voulu, mais en vain, le faire interdire, parce que c'est incroyable de ne passer qu'un seul truc d'une chanteuse, mais CBS continue à le rééditer !

Après ce succès, tu as commencé à faire des albums ?

Oui, mais cela a encore fait des histoires. Après l'Olympia, je leur ai dit je veux bien faire Melocoton, mais après, j'enregistre Viva Cuba. Alors là, cela a fait des procès. CBS n'a pas voulu. Je ne voulais pas céder. Ils voulaient quand même me garder. J'ai été admirable ! Ils m'ont enfin donné l'autorisation d'aller signer ailleurs en pensant que cela ne se ferait pas. Mais j'ai réussi à enregistrer Cuba chez Chants du Monde. J'ai été traînée dans la boue partout. Tout ce qui était rive gauche, le fait que j'étais passée à l'Olympia avec les yéyés : « Quelle horreur ! ». Les gens sérieux, par contre, pensaient : « C'est sûrement de la merde puisqu'elle est passée chez les yéyés, c'est pas la peine d'écouter ». Si bien que je me suis retrouvée complètement seule.

Tout de suite après être montée en flèche, tu as disparu ?

Oui, mais je ne le regrette pas. Je recommencerais de la même façon, le show biz m'a trop fait chier pour le peu que j'en ai vu.

Comment as-tu vécu après ton tube Melocoton ?

J'avais un peu d'argent, mon indemnité de fonctionnaire, 1,8 million d'anciens francs. J'ai cru que j'allais vivre jusqu'à la fin de mes jours avec ça ! Au bout d'un an, il me restait ma 2 CV et ma robe de scène ! Plus un rond ! J'ai confié à mon frère : « Je ne veux pas chanter leurs conneries, ils m'emmerdent. Je veux chanter ce que je veux, voilà ! » Il m'a conseillé d'emprunter sur un an et si au bout de six mois, ça ne marchait pas, de retravailler au bureau. Je l'ai fait, et en six mois j'ai pu rembourser et continuer à chanter. Mais cela a merdouillé de 64 jusqu'à 75-76.

Tu as refusé le show biz. Au début de ta carrière, tu aurais pu faire des choses classiques en blues et après, étant connue, faire ce que tu voulais, comme certains chanteurs yéyés ou Léo Ferré ?

Où t'as vu jouer ça, Pablo ? Pour Léo Ferré, je pense qu'il a toujours fait ce qu'il a voulu. Maintenant c'est peut-être possible. A l'époque Joe Dassin, un mec intelligent me disait : « Je vais être une vedette et après, je ferai de belles chansons ». Il ne l'a jamais vraiment fait. Je ne crois pas à cela.
Le show biz ne vous fout pas la paix. Tu es obligé de déléguer tes décisions parce que tu ne peux plus être maître de ce qui se passe. Je le vois pour les meilleurs d'entre eux.

Tu penses qu'il n'y a pas de compromis possible avec le système et qu'il faut rester marginale ?

Non, pas marginale. D'ailleurs, il y a des choses à dire qui peuvent passer très bien. Des jeunes comme Lavilliers, Higelin, Souchon, Sapho ou d'autres font des choses très très bien. Je trouve que c'est mieux qu'il y a 20 ans. La preuve, moi je me fais une récréation sous le socialisme avec mon nouveau disque, Chansons pour Titine, mais je ne me fais aucune illusion. Je n'aurais pas eu l'amour des chansons américaines, dont certaines sont des blues, ça ne marcherait pas. Si l'humeur contestataire me vient, que ce soit en poésie, en politique ou quelque chose qui dérange, on ne m'entend plus. Par exemple, mon disque sur Antonin Artaud on ne l'entendra jamais !

Tu as « traficoté » avec les groupes gauchistes ?

Comment, traficoté ? J'ai travaillé avec tous ces groupes car c'est le Vietnam qui m'intéressait. En 66, j'étais au PC et les communistes s'intéressaient peu au Vietnam, ils ne faisaient pas de manifestations. J'entendais le député du coin, Fiszbin, dire : « Nous le Vietnam ». Je lui ai répondu : « Dis donc, Nous le Vietnam, on est les derniers ». Je le savais puisque je faisais tous les groupes : ce furent d'abord les trotskistes, puis les maoïstes. Après, tout le monde s'y est mis ! A cette époque je faisais des galas de soutien et quelques contrats par mois qui me permettaient de bouffer.

Dans ton disque Mai 68, tu dis que tu n'as rien fait. Qu'en est-il ?

C'est vrai, j'ai eu peur. Je me suis planquée dans les usines. Je suis allée deux fois à la Sorbonne et j'ai trouvé ça abominable : la commission « musique » et l'ambiance ne m'ont pas plu du tout. J'étais pas très vaillante pour la bagarre et je n'étais pas convaincue. Pour moi, y croire plus de 48h, c'était déraisonnable. Le gouvernement a laissé faire volontairement alors qu'il pouvait tout empêcher. Il avait déjà les brigades d'intervention et les faux manifestants indicateurs.

Pourtant toute la France s'est mise en grève et s'est mise à parler !

Oui. J'ai été très sollicitée de toute part. J'ai choisi les usines. J'avais moins peur car je sentais les mecs prêts à se battre avec les lances d'incendie... pour accueillir les fachos, le SAC. Je me sentais mieux car les discours, ça me fait chier. (Rire). Je n'ai pas vécu ce qui était drôle et je l'ai dit dans mon disque. Un ami très engagé dans le mouvement me définissait comme "l'exemple de la petite bourgeoise péteuse" (rire). Il avait raison mais je n'étais pas que ça. Je suis lâche comme tout un chacun, mais j'ai aussi une part de courage. Plus je vais, plus je pense que les jeunes avaient raison et que rien ne se passera si tout n'est pas foutu en l'air.

Pourquoi tes grandes révoltes, tes grandes colères ?

Si je ne me battais pas, je m'emmerderais. D'ailleurs, je trouve la vie sinistre. Les grandes colères sont l'expression d'un chagrin, car j'ai été constamment humiliée. Je reste utopiste comme ceux de 68, mais il y a des tanks partout et on n'y peut rien. C'est dommage... La colère est là tout le temps, sinon je commencerais à mourir. Je n'ai rien inventé, ma révolte est contre le manque de compréhension et d'amitié entre les gens. Y en a peu sui sont très motivés actuellement. Je pense que c'est un choix, et que même les gens qui font un boulot abrutissant cogitent, mais sont impuissants, seuls, particulièrement en famille (rire). Bref, on m'a toujours traitée d'humaniste !

Parle-moi de ton futur spectacle au Théâtre de la Ville...

Il dure une heure et il y a un montage d'Antonin Artaud de vingt minutes où j'essaie de restituer différentes facettes de son génie. Le reste, ce sont des chansons américaines, avec des blues, et des chansons françaises.

Ta vie actuelle ?

Je sors de deux ans de dèche. En 1981, on a voulu me supprimer ma sécu car je n'avais pas gagné assez d'argent avec mes disques. Je n'ai jamais tiré autant de disques que les gens pensent. L'année faste a été Répression en 72 qui s'est vendu à 12 000 exemplaires. Les autres à 1500-2000 maxi, ce qui paie juste les frais. Quand on me dit "le grand public patati patata" qu'est-ce que c'est que ce truc, c'est Hitler ! Moi, je suis émerveillée du résultat. Jamais je n'aurais pensé arriver où je suis : toucher 40 000 personnes par an, c'est monstrueux, alors que je chantais pour 3 ou 4 personnes dans mon bureau!


Pourquoi ce titre de ton dernier disque Chansons pour Titine, et la reprise de Melocoton ?

Melocolon, c'est pour emmerder CBS. Titine... c'est vrai qu'en ce moment j'ai trouvé ma Titine (rire). Depuis que je suis née je pratique la bisexualité. Je trouve que l'amour est un domaine réservé de douceur, de tendresse et tout ça...

Que penses-tu de l'homosexualité ?

Je trouve très très bien que toutes les formes de sexualité s'expriment mais je pense que c'est un attrape-nigaud ce qu'on nous fait actuellement.
Les gens sont aussi mauvais qu'il y a 20 ans, et ils ne changent pas. Je pense que l'homosexualité n'a pas gagné à aucun point de vue et, pour ceux et celles qui s'assument, c'est difficile à cause des mentalités d'ailleurs. J'avais lu une lettre très émouvante d'un jeune homme de province dans le Rapport contre la normalité du FHAR que j'ai failli mettre en musique, mais je me suis dit : au fond, ce ne sont pas mes oignons. J'ai beaucoup admiré le courage de Jean-Louis Bory en 75 aux Dossiers de l'écran parce que même si on est connu, c'est mal vu. Ce que vous faites dans vos journaux, c'est un travail de fourmis, c'est bien pour les gens concernés. Mais moi, je ne me fais aucune illusion, les gens pensent avoir une certaine supériorité d'être normaux. Être normal, je ne sais pas ce que ça veut dire !

Tes projets après le Théâtre de la Ville ?

On va tourner ce spectacle pendant un an ou deux en province. J'ai deux projets de spectacle, un sur la ménopause qui s'appellera Le périphérique est malade, mais la cité reste entière, et un opéra agricole à partir des pintades.

Pour finir, un petit mot pour les lecteurs de GP.

Continuez de lutter, messieurs, c'est pas gagné.

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1 janvier 1983 6 01 /01 /janvier /1983 15:21

Extrait de l'interview de Roger Gicquel dans l'émission Vagabondages (à laquelle Colette Magny avait convié également Brenda Wootton et Angelique Ionatos):

 

Roger Gicquel : Il y a [dans ce disque "Chansons pour Titine"] des chansons de toutes les couleurs. Il y a Bessie Smith, un blues, il y a Gabriel Fauré, les Black Panthers, et il y a le fameux Melocoton. C'était votre tube il y a 20 ans, vous le chantiez à l'Olympia. C'est devenu un tube, mais vous ne vouliez plus le chanter. Et cette fois-ci ça recommence quand même. Pourquoi ?

 

Colette Magny : Parce que nous sommes sous un gouvernement socialiste.

 

RG : Ah bon ?!

 

CM : Oui, parceque sous Giscard d'Estaing, De Gaulle, Pompidou etc, c'était impossible de faire du divertissement. Et en plus les mass-média (on appelle ça comme ça non ?) ont fait croire que j'étais une personne fort paresseuse, parce que je n'aurais écrit qu'une chanson en 20 ans ! C'est la seule qui passait.

 

RG : Ca c'est vrai, on n'a entendu que cette chanson et vous avez écrit une douzaine d'albums

 

CM : Et oui, 14 !

 

[...]

 

RG : [En écoutant Colette Magny et Brenda Wotton], je nage dans le bonheur avec ces voix superbes, ces voix audacieuses et ces voix surtout indépendantes. Parce que le point commun, je crois entre Brenda Wootton et Colette Magny (et aussi Angelique Ionatos), c'est qu'elles chantent ce qu'elles aiment, et d'abord ce qu'elles aiment et uniquement ce qu'elles aiment.Il y a d'autres points communs, c'est leur vocation tardive. Vous avez commencé à 35 ans je crois...

 

CM : 36

 

RG : 36 ans donc et Brenda à 45 ans. Mais il y a un autre point commun dont il faut bien parler directement, simplement, c'est le volume que vous occupez dans l'espace. Alors pour moi, je trouve ça extraordinaire mais je suppose que ça vous a posé quelques problèmes et vous l'avez chanté d'ailleurs.

 

CM : Ca c'est vrai. Ceci dit, vu d'hélicoptère, vous et moi, c'est pareil ! Malheureusement, moi ça m'a fait énormément souffrir. Et ça continue. C'est ce que j'ai dit à des jeunes gens dans une MJC : "vous êtes là à ricaner la grosse dame, la grosse dame. Il se trouve que j'ai une sciatique et que je ne peux aller me baigner en piscine parce que vous êtes des ricaneurs". Et ça nous crève le coeur, on est tous méchant. J'en ai énormément souffert.

 

RG : C'était dur à l'école ?

 

CM : Oui, on disait que je ne pouvais pas jouer parce que j'étais trop grosse. C'est idiot

 

RG : La chanson vous aide de toute façon

 

CM : Oh ça m'aide... En quoi exactement (rires) ?

 

RG : A être vous même

 

CM : Oui, oui, c'est vrai

 

[...]

 

RG : Concernant votre vocation tardive à 36 ans, vous êtiez secrétaire à l'OCDE...

 

CM : Dactylographe bilingue à l'Organisation de coopération internationale de développement économique.

 

RG : C'est à dire que vous publiez des rapports sur l'inflation...

 

CM : Des tas de rapports. Sur les eaux saumâtres aussi (rires)... mais ça c'était moins drôle.

 

RG : Et puis, qu'est-ce qui s'est passé ?

 

CM : Tout le monde me disait que j'avais une belle voix et qu'il fallait chanter, alors un jour j'ai réfléchi pendant un an sur la notion, le concept de sécurité. Et je me suis aperçue qu'il n'y en avait pas alors je me suis dis que je vais essyé, j''ai demandé à des amis une audition n'importe où. Et puis j'ai été engagée à 15 francs tous les soirs à la Contrescarpe, le 14 juillet 1962 à minuit.

 

RG : Une heure tardive pour une vocation tardive. Et puis vous avez fait l'Olympia.

 

CM : Oui ça a fait pschitt. puis après ça a été un pétard mouillé parce que je n'ai pas voulu... Elles étaient très sympathiques les personnes avec qui je travaillais. Les préoccupations des gens avec qui je travaillais, les traducteurs, les interprètes, les dactylos, les gens qui faisaient le ménage, les huissiers, leurs précoccupations hors travail m'ont paru beaucoup plus intéressants que quand je suis tombée dans ce digne (ça s'appelle comme ça?) milieu de la chanson.

 

[...]

 

RG : Vos raisons de chanson ont été très souvent politiques : Vietnam 67, Chili, Cuba, récemment le conflit israélo-palestinien, les black panthers auparavant

 

CM : Excusez-moi, Roger, la principale raison c'est quand même le plaisir d'ouvrir la gueule. C'est un plaisir d'abord. Alors avoir envie d'y faire passer certaines choses, oui. Mais pas uniquement politiques. Enfin, l'amour c'est politique aussi.

 

RG : Mais les causes que vous avez défendues, dont j'ai énuméré quelques unes

 

CM : Je n'ai pas défendu les causes, Roger. J'ai rencontré des gens, des situations, qui m'ont fait un certain effet, j'ai eu envie de chanter ça. Je n'ai pas de cause à défendre. Je n'ai jamais eu de prétention d'être au service du peuple. Jamais, jamais.

 

RG : Mais vous êtes attachée à rendre service...

 

CM : Non pas du tout. Ca me fend le coeur. Il faut bien que je fasse quelque chose. Ce n'est pas pareil, je n'ai pas à rendre service.

 

RG : Et ça Colette, un disque que l'on ne connaît pas :"Colette Magny, je veux chânter". Ca a été fait avec les enfants de l'IMP de Fontenoy-le-Château, et je voudrais que vous nous racontiez cette expérience, c'est politique ça aussi. Vous êtes allée au service de ces enfants inadaptés, les faire chanter, les faire jouer de la musique.

 

CM : Mais non je ne suis pas allée au service. Je les ai rencontrés. On a sympathisé entre débiles. Ils sont catégorisés semi-débiles ces enfants là. J'ai été invitée au restaurant, j'ai sympathisé avec le psychiatre, les éducateurs, les infirmières, etc, j'ai trouvé que les gosses, on était dans le même bain eux et moi. J'aime bien quand je suis dans un lieu de campagne, faire quelque chose sur le tas puisque j'ai peu de travail extérieur. Et ces enfants étaient à deux cent mètres d'où j'habitais. Tiens j'ai dit si on faisait de la musique avec les enfants. Et après c'est parce qu'ils font une musique intéressante que j'ai produit le disque. Je ne suis pas une bonne dame !

 

RG : C'est ça qui est efficace finalement

 

CM : Oui mais les critiques n'ont pas osé faire une critique musicale dessus. Anne-Marie Fijal qui est une pianiste remarquable ne voulait même pas joué, elle disait "je ne veux pas gêner le travail des enfants". On trouve ça formidable ce qu'ils font. Ceci dit faudrait que tout le monde l'achète pour qu'on puisse faire une crêperie...

 

RG : Votre engagement politique, il existe. Mais quelque part, vous avez chanté : "les purs et durs m'en ont tellement fait baver que j'ai cru un moment ne plus jamais avoir envie de chanter"

 

CM : Oui mais seulement, c'est eux que j'aime. Je n'aimerai jamais les mollassons. Même s'ils m'ont fait du mal, même s'ils m'envoient à l'hôpital, même s'ils me fouttent des coups de barre de fer, c'est eux que j'aime. Parce qu'ils ont un souci qu'on soit tous bien ensemble. Ils ont le souci d'aller vers les autres, complet, total. Ils donnent leur vie, maladroitement. Et puis après ils me tapent dessus, c'est pas gai, ça fait rien. Mais c'est eux que j'aime.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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1 novembre 1982 1 01 /11 /novembre /1982 17:12

Article publié dans Paroles & Musique de novembre 1982 :


- L'enfance est, mine de rien, un sujet qui revient souvent dans tes disques - depuis "Melocoton". Comment te souviens-tu de ton enfance ?

- J'étais une superbe enfant jusqu'à six ans. Mais le danger d'une superbe enfant, c'est que... j'étais un peu rondelette. C'est charmant jusqu'à un certain âge, après beaucoup moins. A huit ans et demi, j'ai eu un grave ennui, qui a dû déterminer toute ma vie : j'ai été violée par mon oncle. Mais ce n'était pas violent physiquement, pas brutal, c'était fait gentiment; peut-être que j'y ai même pris un certain plaisir; seulement c'est la tête après qui a déconné. Il m'a dit : Si tu ne viens pas avec moi, je le dirai à ton père! Cet homme s'intéressait aux petites fiIles, pas violemment, mais il a eu une histoire une autre fois et il est allé en prison. Et, dans ma famille, en parlant de lui, on disait : Pauvre Marcel. On ne devrait pas raconter sa vie, mais moi je suis comme ça. Les artistes disent : Les planches me brûlent; moi, ça me brûle pas. J'ai une responsabilité parce que les gens se dérangent pour me voir chanter. Mais je n'ai pas de "vie privée". Ma vie privée se confond avec mon métier.

- Le disque avec les enfants de l'I.M.P. semble t'avoir beaucoup marquée, beaucoup appris : quelles réflexions en tires-tu aujourd'hui ?

- Je pense que ces gosses doivent absolument pouvoir travailler. Il faut qu'ils puissent avoir du fric pour monter une crêperie qu'ils ont en projet. Ça nécessiterait que ce disque soit programmé à l'antenne, passe, se vende et leur rapporte de quoi faire leur crêperie.
Parce que si ça ne se fait pas, ils n'ont pas d'autre solution que l'hosto psychiatrique à vie. Je suis restée en contact avec certains enfants du disque, en particulier avec une fille qui a dix-huit ans aujourd'hui. On s'écrit régulièrement. J'ai failli en adopter un, d'ailleurs. On s'aimait bien tous, mais on ne s'est pas raconté de bobards. Je ne me suis pas laissée faire. Ils m'ont fait chier, parfois, à chanter des tas de trucs de variétés, tard, avec une énergie incroyable. Je me suis demandée quelle image ils pouvaient avoir de moi, une grand-mère à cheveux blancs ! Alors je les ai fait venir à un de mes spectacles. Ils étaient étonnés : Oh, Colette !...

Dans le cas du disque pour le Chili, les artistes ont-ils pu contrôler pour de bon l'utilisation des fonds ?

- Ah oui ! Avec Maxime, on avait fait une association dont j'étais secrétaire-trésorière. Quand je recevais un chèque de Chant du Monde, je l'envoyais à un avocat qui le faisait parvenir à la CIMADE, en accord avec Maxime et Mara. Il y a eu finalement très peu d'argent et par la suite, en accord avec les autres, le peu qui rentrait encore, après que l'association ait été dissoute, on l'a transféré aux enfants de l'IMP. Ce disque pour le Chili, on a été déçus d'ailleurs, s'est vendu très peu... je vais peut-être dire une bêtise, mais probablement pas plus de 3.000. Celui du Secours Populaire Français, il s'en est vendu 150.000.

- Plus généralement, est-ce que tu réussis à maintenir le contact, longtemps après la sortie d'un disque, avec les individus ou les groupes directement concernés ?

- Non, parce que l'année suivante, on passe à autre chose. Je travaille très, très longtemps sur un même sujet, je suis lente et c'est vrai que je n'ai pas le temps de rester en contact avec tout à la fois. Sauf pour les enfants de l'IMP, mais c'est parce qu'il y a un travail administratif. Dans les autres cas, si j'en ai vraiment le désir, je retrouverais les gens.
De toutes façons, au moment de faire le travail sur une "cause", j'en prends plein la gueule. Quand j'ai travaillé au Théâtre de la Ville sur le conflit israélo-palestinien, ils étaient tous à me surveiller au chrono : Les Palestiniens ont eu 30 secondes... Les Israéliens ont eu 30 secondes...
J'étais quand même là pour chanter avec des musiciens (qui étaient d'ailleurs très compréhensifs avec moi), et des gens venaient chaque jour me dire de rajouter ci ou d'enlever ça, en fonction des nouvelles reçues : par exemple, quand il y a eu la poignée de mains entre Arafat et Hussein de Jordanie, certains voulaient que je coupe un passage qui critiquait Hussein. Et je ne pouvais pas faire des trucs comme ça, parce que ça décalait complètement la musique. Je me suis fait traiter de "fasciste rouge". Je leur ai dit : Vous pouvez me foutre des bombes, je m'en fiche, je ne change rien ! Et j'en suis fière. J'aimerais que ça sorte sur disque, d'ailleurs. Ça et les enfants de l'IMP, ce sont les deux choses dont je suis le plus fière.

- On a souvent eu l'impression à ton sujet d'une carrière à éclipses : est-ce voulu ou accidentel ?

- (éclats de rire) Ah ha ha ! Tout à fait accidentel ! J'ai eu un certain succès au tout début, mais après il n'y a pas l'éclipsé, il y a la panade et... je ne dirais pas la misère, mais la pauvreté.

Qu'en est-il au juste, concrètement, de la censure dont tu as été - ou es encore - l'objet à la radio-télé nationale ?

- J'ai une copine qui travaille à la discothèque de l'ORTF, enfin l'ex-ORTF, et on m'a expliqué : Vos disques sont rayés transversalement au stylet. Ça, ça fait peur quand même, ça rappelle certaines méthodes totalitaires. Il y a deux autres exemples typiques, déments : quand j'avais fait un spectacle, trois jours à la Salle Gaveau, avec Atahualpa Yupanqui (sous l'égide de l'ORTF), le concert a été annoncé sur l'antenne sans que mon nom soit prononcé à côté du sien ! Un jour où Maxime faisait l'émission des Carpentier à la télé, il m'a demandée comme invitée, et ils lui ont répondu : Mais elle va incendier le studio ! Tout cela parce qu'un jour, pour. rigoler, dans un spectacle enregistré par France-Culture où il y avait Catherine (Ribeiro) avec ses bougies sur la scène, et où le producteur n'avait pas voulu que je chante une impro avec elle, j'avais dit : Ce serait facile de foutre le feu. Tu penses bien que je n'en avais pas la moindre intention ! Mais ça s'est répété un peu partout dans le milieu radio-télé et ça m'a valu une réputation absolument fausse. Et aujourd'hui, par exemple récemment à FR3 Strasbourg, on m'a dit que j'étais encore sur les "listes noires". On a sans doute oublié d'enlever mon nom ! Les producteurs ont la pétoche de perdre leur place, mais il faut leur accorder qu'ils ont des raisons pour cela. Une fois, à 3 h du matin, j'ai dit "merde" à l'émission de Foulquier. Ça a fait toute une histoire dans la maison...

- Qu'as-tu essayé de conclure dans les arguments - quand ils étaient audibles ! - des contestataires de tes spectacles ?

- Il y a d'abord eu une première contestation, aux tout débuts, qui venait des fascistes. J'étais naïve à l'époque, je ne me rendais pas compte du risque que je prenais à accepter de les recevoir pour parler sans témoins. Ils me parlaient à trois en même temps, me disant des choses comme : Vous défendez les Noirs, alors qu'ils vont nous envahir! Un moment, je leurai répondu : Vous perdez le respect de vous-mêmes. Là, ça les a calmés, ils étaient surpris.
Réglos à leur manière, ils sont repartis tranquillement en me disant qu'ils casseraient la gueule, non pas à moi, mais à ceux des spectateurs qui m'applaudiraient, le lendemain soir. Finalement, ils ne sont pas revenus... La phase suivante, c'est : J'veux pas payer ma place !

- Mais, en dehors des fachos ou de ceux qui ne veulent pas payer, il y a aussi les "divergences d'analyse" ?

- Une fois, il y en a un qui me dit : Camarade, as-tu fait l'analyse du pouvoir ? J'ai fait allumer la salle, c'est la seule fois qu'on a pu se voir au grand jour parce que d'habitude, ça se passe dans le noir. Ce sont des jeunes gens, jeunes filles, tous fils de bourgeois, tous bien planqués dans leur université. Pour être plus généreuse à leur égard, disons qu'ils n'ont pas pris la peine de s'interroger sur ce que c'est que le "métier d'artiste".
Il est vrai que c'est à nous, aussi, de faire une information là-dessus. Mais d'autre part, dans quelle mesure suis-je la sainte qu'ils attendent de moi ? Je suis une femme comme les autres. Je veux bien, si ça se trouve, qu'on en discute ensemble, en connaissance de cause, et qu'on essaie de faire quelque chose ensemble. Mais là, je réclame leur imagination autant que la mienne. N'empêche que, quand j'ai fait "Ras-la-trompe" et "Les militants", c'était une histoire d'amour. Il y en a qui ont été très émus par ce que je disais d'eux.  
Des "divergences d'analyse" ? Il y a eu : Tu chantes les Panthères Noires, pourquoi tu chantes pas l'impérialisme français au Tchad ? 0n ne peut pas tout connaître ni chanter sur tout; c'est quand même très compliqué, tout ça. Il y a eu : Ta musique n'est pas populaire ! Mais qu'est-ce que ça veut dire, "populaire" ? Là, je n'ai pas cédé et j'ai bien fait. Il y a eu des expressions comme "les sales intellectuels" de la part de gens qui nous réclament de signer des pétitions, même parfois sans nous laisser le temps de lire ce dont il s'agit...

- Un autre sujet de contestation courant - et peut-être, dans certains cas au moins, tout à fait compréhensible - concerne l'argent, les cachets, le prix des billets. Alors ?

- J'ai fait l'analyse : moi, ma petite personne, un peu connue tout de même, comment j'ai pu me retrouver dans la merde, financièrement, après vingt ans de chansons ? Il est vrai que j'ai choisi de ne faire que ce que je voulais, je ne m'en plains donc pas. Mais qu'on sache que je n'ai la qualité d'auteur, au point de vue couverture sociale, que depuis deux ans. Si je partais aujourd'hui en retraite, après vingt ans de secrétariat et vingt ans de chansons, j'aurais droit à une retraite de 700 (sept cents) francs par mois ! On m'a même menacé de me retirer la sécu en tant qu'auteur parce que je ne gagnais pas assez de droits !
Alors, j'ai réfléchi sur tout ça, sur les gens qui m'ont reproché de vivre (ou de m'acheter une maison) "sur le sang du Chili ou du Vietnam". Seulement il faut dire aux gens : c'est sur 50 ans qu'il faut juger la vie d'un artiste (moins dans mon cas, puisque je n'ai commencé qu'à 36 ans). Il peut arriver les pires choses, en cours de route. En ce moment, je sens un grand vent favorable autour de moi, je ne sais pas expliquer pourquoi mais c'est ainsi. Seulement ça tombe alors que je n'ai plus rien à dire. Et je ne veux pas céder à ce truc de blues où l'on essaie de me faire revenir. Je me dois donc de faire autre chose. Par exemple, je n'ai pas décroché pour l'écologie. Je pense aussi à la Pologne. Comment se fait-il qu'en 67 par exemple, j'étais au courant de ce qui se passait dans les pays d'Europe de l'Est mais je ne disais rien; pourquoi ? Je me laissais emporter par le mouvement. Je ne veux pi us, moins que jamais, me
laisser dicter une conduite.

Quelle(s) réflexion(s) t'inspire le fait que Chant du Monde s'apprête à publier une "intégrale" de ton "œuvre" ? Ça ne risque pas de faire un peu pompier ?

- Non, je suis flattée, parce que je trouve que ce n'est pas une œuvre considérable. Mais c'est une œuvre que j'estime et ce qui m'a rabattu le caquet (NDLA : d'une possible réticence), c'est qu'il y en a d'autres qui l'ont fait. Mais, surtout, c'est un moyen de sauver mes disques. Parce que j'y tiens, et quand les stocks actuels seront épuisés, ils risqueraient de ne pas être repressés. Alors, disons l'intégralité plutôt ! Si tu veux que ça ne fasse pas "pompier", fais-moi confiance pour le choix des termes de la présentation ! Et en plus, il y aura j'espère, en principe, deux inédits : le spectacle sur le conflit israélo-palestinien, dont on a déjà la bande, et un montage sur les travailleurs immigrés de Pennaroya. Et celui-
là ne coûterait pas cher à enregistrer, il suffit de peu de chose.

Justement, à propos d'"œuvre", n'avais-tu pas le projet d'écrire un livre ?

- Si, j'avais commencé, puis j'ai renoncé. Et je vais finalement le faire faire par un copain, enfin on va le faire à plusieurs et j'écrirai quelques passages. Je pense que la vie de tout le monde peut être intéressante, mais ça dépend comment c'est raconté. Or, je ne suis pas bonne juge de ce qui est anecdotique ou pas. Il ne faut pas tomber dans la biographie chiante. Alors il y aura différents éléments par différentes personnes, dont un passage d'analyse musicale.

Il faudrait dire un mot de tes musiques sur les poètes.

- Pourquoi j'ai fait ça ? La première fois, c'était après avoir été violemment prise à partie par des amis qui me disaient (à propos de mes premières chansons politiques) : T'as un style anti-poétique. Alors, je leur ai répondu : Apportez-moi des livres de poèmes. Et ce qui fut dit fut fait, ce qui a donné le disque CBS. Après, j'en ai fait quelques autres.

- Quelle est au juste l'incidence de... c'est délicat... du "complexe de la grosse dame" et, plus généralement, des problèmes de santé sur l'exercice de ton métier ?

- Vis-à-vis de ce métier, c'est justement là qu'on peut être foutue n'importe comment. Au début ça me gênait, un jour j'avais demandé à la patronne d'un cabaret : Que diront les gens à cause de mes jambes ? Elle m'a répondu : Ils diront "vos jambes !" si vous chantez mal. Non, j'en ai souffert surtout quand j'étais jeune. En scène, si je dois rester assise la plupart du temps, je me débrouille pour me lever, bouger quand il le faut. Et je te ferai remarquer que cette sciatique, ça s'améliore en vieillissant. Je serai une vieillarde diabolique ! Non, une fois seulement, quelqu'un m'a dit : On ne veut pas de toi à la télé parce que t'es trop grosse; ça m'a fait rire tellement c'est ridicule ! Ou une autre fois, on ne me prenait pas à l'Ecluse, j'ai M parce que je suis trop grosse pour passer la porte ? Ça m'a fait rigoler. C'est peut-être pour ça aussi que je suis antiraciste; il ne faut pas se laisser emmerder par des trucs qui n'en valent pas la peine.

- Est-ce qu'on t'a déjà dit que tu avais un rire pénétrant, qui faisait mal parfois ? Est-ce par exorcisme ?

- Oui, maintenant il fait mal. Quand j'étais plus jeune, il ne faisait que rire. On me disait que j'avais un rire très frais. Maintenant il est grinçant. Peut-être depuis que j'ai l'habitude d'ouvrir le journal Alors, exorcisme ? Oui, sans doute'.

- Le côté "féministe" est-il une préoccupation consciente de ton travail, par exemple quand tu écris ?

- Pas du tout. D'ailleurs, il n'y a plus actuellement qu'une catégorie de personnes pour venir m'engueuler, ce sont les féministes. Elles sont curieuses; ce sont des féministes qui n'aiment pas les femmes. Moi, si j'aime une femme, c'est parce que c'est une femme... ou un homme, parce que c'est un homme.

- Je voudrais que tu nous parles un peu des musiciens avec lesquels tu as travaillé ou vas travailler.

- Il y a eu Beb Guérin, bien sûr (1). En dehors d'un remarquable contrebassiste, je pense que c'était un homme trop fin, trop délicat pour la vie inhumaine qu'on doit mener. C'est aussi un exemple pour ces petits cons qui viennent nous faire chier. Beb est mort à 39 ans, il n'avait rien devant lui, tout juste une voiture depuis trois, quatre ans. Enfin n'exagérons pas, ce n'était pas la misère, mais la pauvreté alors qu'il aurait pu gagner beaucoup plus. Seulement voilà, il refusait de faire du studio, pour ne jouer que la musique qu'il aimait. Cela dit, il était sans doute suicidaire au fond de lui-même, mais la vie lui a été difficile, matériellement, et ça a dû jouer.
Il y a eu François Tusques, Bernard Vitet, qui m'ont beaucoup appris. Mickey Baker ? Il a voulu faire mon bonheur malgré moi, parce qu'il avait ses idées, il ne pensait qu'au commerce. Je lui disais pour le premier disque : C'est un peu twistant, non ? Il me répondait : Non, c'est rhythm'n'blues. Alors, je lui faisais confiance parce que je n'avais pas d'expérience musicale et en plus j'étais raciste à l'envers : un Noir devait savoir mieux que moi ce qu'il convenait de faire !
André Almuro m'a fait progresser, m'a apporté des choses, car je ne connaissais pas du tout la musique électronique. Avec Michel Puig, j'ai fait quatre titres en musique contemporaine. Et, présentement, ça devrait être Anne-Marie Fijal, pianiste et compositrice, avec laquelle je souhaite une association comme ça a été avec Beb. J'ai d'ores et déjà écrit un petit texte de présentation sur elle :
    Une femme-piano
    un piano-femme
    la maîtrise du porte à bout de bras
    l'audace du porte à bout d'amour

- J'ai entendu parler d'un projet de spectacle et de disque sur Antonin Artaud : où en est-on exactement ?

- Le prochain spectacle s'appelle Le Périphérique est malade, mais la cité reste entière. Cela commence par un montage de textes d'Artaud (cette partie fera l'objet du nouveau disque), ensuite ce sont des choses de moi pour la plupart, mais... qui ne sont pas encore toutes écrites. C'est prévu pour être créé en janvier 83 au Dejazet. Artaud, c'est mon frère. Plein de gens se reconnaissent en lui. J'ai un petit texte de présentation... :

ANTONIN, mon frère, je t'eus connu, je t'eus tue
Momo, môme chiant, je t'ai aimé à première écoute
Je t'aime encore
Tu as craché, vomi, excrémenté pour tous les enfants du monde
Fruit préféré, tu es mon noyau de cerise
La terre, la garce, a tourné autour de toi
Je suis fîère de toi, pépère,
Moi, sur le pèse-nerfs, j'ai cassé la bascule
 1/2 siècle passé à doubler de volume
par grands paquets en plus en moins
Je me suis bousculée le tempérament
Au secours, ma douceur, je me démuraille
On court dans te désert, on court dans la steppe
On est toujours au coin de la rue, misérable
D'espace en espace on pédale, toujours dans la semoule
Je t'aime, Momo, parce que lu as osé basculer dans le manque total
Rien de pire, rien de plus beau ne peut me faire exister
J'en meurs.  
                                                                                     (CM.)

Une de tes récentes "bios" de presse disait que tu ne te considérais plus "en état d'urgence, politiquement, depuis le 10 mai 81 ". Ça m'a plutôt... surpris. Alors, aujourd'hui ?

- C'est devenu faux. Je l'ai cru un mois peut-être. Ça m'a fait une joie parce que je ne m'y attendais pas sur le moment, mais c'est vite devenu caduc. Ça n'a pas de rapport avec le gouvernement, mais j'étais contente pour la France. Je pense qu'il y a beaucoup de gens honnêtes parmi les membres du gouvernement, seulement ça ne suffit pas ! L'honnêteté, en politique, ça ne paye pas. Quand ils veulent faire une campagne d'explication, comme récemment Mitterrand, j'ai trouvé ça très touchant, tout en me disant : Mais est-ce qu'on va les entendre ?
Tu me demandes si, sur la police, les "libertés", etc., je crois qu'il y a vraiment un changement ? Eh bien oui, malgré les conneries de Monsieur Defferre, je me sens mieux dans les rues de Paris, je crains moins la police qu'avant. Mais c'est comme ça que je le sens, je me fais peut-être des illusions...

Il y a quand même eu des tas de promesses électorales non tenues : sur la remise en cause du programme électronucléaire, par exemple. Ça ne te fait pas chier qu'ils continuent à très peu près la même chose que sous Giscard ?

- Eh oui, mais je pense qu'ils y sont acculés. Ou alors, si on dit : Il faut tout foutre en l'air, que ce soit avec des citoyens pleinement conscients des dangers, et prêts à sacrifier une part de leur confort ou de leur bien-être matériel pour les conjurer. Juste un exemple : dans mon bled du Sud-Ouest, on organise une soirée antinucléaire : 250 personnes. Juste à côté, il y a le moto-cross : 11.000 personnes. Je me dis, je leur dis : Tant que cette proportion ne sera pas inversée, c'est comme ça qu'ils auront (ou qu'ils se préparent à accepter) la guerre nucléaire. Cela dit, est-ce un gouvernement socialiste qui peut, qui doit à lui seul provoquer un tel renversement ? Alors, peut-être qu'il y aura un soulèvement sur des bases qui concernent le bifteck, et que ça débouchera sur un capitalisme d'état ? Bon, et puis après ? Est-ce qu'il y aura pour ça des rapports plus beaux entre les gens ?

Quand tu écoutes d'autres chanteuses françaises, t'arrive-t-il de penser en avoir influencé certaines ?

- Non, ça ne m'est jamais venu à l'esprit. Il y a eu des gens qui me l'ont dit, alors si c'est vrai, ça me fait plaisir. Et pas forcément des femmes, d'ailleurs. Récemment, il y a un type quia fait écouter une de ses bandes chez Chant du Monde, et il avait la même façon de chanter. On me l'a fait remarquer, c'est marrant d'ailleurs. Mais moi, je ne m'en rends pas tellement compte.

- S'il était possible de remettre le compteur à 1962, mais en sachant ce qui a suivi, est-ce que tu te lancerais dans la chanson ?

- Ah oui, sincèrement. Pourtant c'est dur, ça l'a été surtout ces deux dernières années. Mais j'ai été gratifiée au-delà de ce que j'aurais pu espérer. J'étais déjà contente, quand je travaillais à mon bureau, qu'il y ait deux ou trois copains pour aimer ce que je chantais. Maintenant, je reste peut-être inconnue du "grand public", mais il y a mettons 40.000 personnes qui connaissent ce que je fais, c'est fabuleux, même s'il faut supporter les difficultés que ça entraîne.
J'ai pris des goûts de liberté, non seulement d'expression, mais de vie, tels qu'il me serait impossible de revenir en arrière, de faire autre chose. Quoique j'aie du mal à le faire, en ce moment. Il y a plus de douleur que de jouissance, au moment d'écrire. Pourtant, cette fois-ci, il s'agit d'écrire non plus sur les autres, mais sur moi.
Là, je sais de quoi je parle, quand même ! Au fond, peut-être que j'ai du mal parce que ça engage plus, quand on parle de soi-même

Propos recueillis par Jacques VASSAL

- Contact : Béatrice Soulé / Nicole Higelin, 10, impasse Chandon, 75015 Paris (tél. 558.45.32/557.40.54), ou Le Chant
du Monde, 24/32, rue des Amandiers, 75020 Paris (tél. 797.25.39). 

(1) Beb Guérin s'est suicidé en 1981.

 

         

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1 juin 1979 5 01 /06 /juin /1979 14:00

Dialogue avec Colette Magny (Désormais - n°1 - juin 1979)

Elle ne veut ni provoquer, ni choquer. L'ostentation, ce n 'est pas son style. Elle a bien trop peur de blesser qui que ce sait. Alors, raconter sa vie. ses pensées, ses sentiments ? Oui, si cela peut aider les autres à mieux s'accepter, à  mieux s'aimer...
Elle appelle un chat un chat ? Toujours. Mais avec pudeur et tendresse. Lorsqu 'elle va droit au but ce n'est que pour aller droit au coeur. Elle a le courage de ses idées aussi et, j'allais oublier, elle a un rire... Ecoutez !


DESORMAIS : Colette MAGNY, à votre vis. le fait d'être une femme vous a-t-il compliqué les choses on vous les a-t-il facilitées ?
C.M. : Je ne sais pas ! De toutes façons, je trouve que vivre c'est tragique. Alors.... femme/homme... A un certain moment j'aurais préféré être un homme.

Ah bon ! Pourquoi ?
Un désir de puissance "apparente". En vérité, c'est très pénible d'être un homme : service militaire, foyer à fonder, enfants à nouririr. Quel ennui!...

Avez-vous l'impression que les femmes ont changé depuis dix ans ?
Oui... Oui. Sans aucun doute ! Je me demande seulement jusqu'à quel type de femmes, jusqu'à quelle classe de femmes...

Vous avez l'impression que cela s'arrête à un certain niveau ?
Je ne sais pas ! De toutes manières les femmes qui ont fait un travail de remue-ménage (tiens, amusant!) c'est bien et cela passera forcément le cap des idées.

Que pensez-vous du féminisme ?
Je pense que les femmes, même dans les mouvements virulents, disons, ont obtenu certains avantages : l'avortement, la contraception... Encore que pour l'avortement ce ne soit pas très sûr ! Il y a des tas de médecins qui refusent de le pratiquer... Mais enfin, c'est dans l'air et les féministes ont permis par leur extravagance parfois, par leur courage souvent, toutes les transformations qui se sont opérées. Il me semble que cela parviendra jusqu'aux dames ouvrières. Elles en entendent parler même si on le fait de façon très retenue, très contrôtée à la télévision, à la radio.
Alors c'est bien! Je trouve toujours que c'est bien, d'ailleurs, que les gens se révoltent et manifestent !...

Lorsqu'on dit que le féminisme a vécu, le pensez-vous aussi ?
Ah non, ça je ne le pense pas du tout, non ! J'ai lu, il y a quelque temps, le livre d'une dame qui disait que la révolution arriverait par les femmes, les vieillards et les enfants. Elle disait aussi, cette dame, du moins c'est ce que j'ai cru comprendre (mais c'est peut-être parce que je suis "obsédée sexuelle''!!!) qu'on ne se touchait pas assez ; qu'on n'était pas assez aimable du corps, et je trouve que c'est plutôt vrai.
Par exemple, l'idée ne me viendrai jamais d'aller sangloter dans les bras de mes plus cher(e)s ami(e)s, même si ce sont des ami(e)s que je connais depuis trente ans. Non, il faut quelqu'un de privilégié : un amant ou une amante. C'est dommage !

Colette MAGNY. je vous ai entendue, l'autre après-midi à la radio ; parlant d'amour et des êtres qui avaient compté dans votre vie vous avez fait mention d'un Américain, d'un Ecossais et d'une Irlandaise. Voilà une affirmation dont on n'a guère l'habitude sur les ondes...
 Vous croyez ???... Ah bon...

D'ailleurs, votre interlocuteur n'a pas relevé le propos, ce qui est dommage car les gens ont sûrement pensé avoir mal entendu... une Irlandaise ? Les femmes ne disent jamais ces choses-là ; pourquoi ne l'osent-elles pas ?
Vous pensez qu'elles n'osent pas ?

Oh oui ! Peut-être parce qu'elles ont été conditionnées à faire toujours le jeu des hommes...
Eh bien moi. je vais sortir mon disque : c'est Disco-Méno-pause. Frisco-Ménopause : j'ai commencé le texte et la musique. D'abord je chanterai "a capella" comme on dit  :"parlez-moi d'amour"; je trouve que c'est une belle chanson; je ferai dans le genre-chanteuse-ovarienne. ensuite je passerai au disco. Je vous ai... me : disco : mois je suis bip-bip-bip-bip sessuelle...
Les femmes ne le disent pas assez, c'est exact et cela m'énerve d'une certaine façon; enfin "m'énerve". Oui, en gros. A cause du boulot, de la famille peut-être ? Je ne sais pas, moi, c'est arrivé très tôt, je veux dire mes rencontres avec des dames.

Avant les "messieurs" ?
Non non; après, parce que pour les hommes, hélas cela a commencé alors très très tôt. Je dis hélas parce que c'était un simili viol et forcément ce n'était pas gai-gai-gai. J'ai eu de la chance, oui, c'est vrai parce que... autrement ? J'ai eu aussi des flirts sympathiques, avant et ensuite il y eut l'Irlandaise... "charmante"!

On peut donc passer cornme ça de l'amour des messieurs à celui des dames ?
Mais c'est la même chose !!!

Pour vous la sexualité, c'est forcément lié à l'amour ?
Oui... Non ? Pourquoi ??...
C'est vrai, c'est en cela que je suis retardataire, rétrograde et tout et tout ; c'est une confusion d'organes, je suppose, parce que l'amour ça devrait être le coeur, la sexualité le sexe : ce n'est pas au même endroit et moi je mélange tout ! Sérieusement, je crois que nous avons tous, les hommes et les femmes, un sentiment amoureux, un besoin extravagant d'aimer et d'être airné(e) (tout ça parce qu'on a peur de crever) et que ce sentiment amoureux qui flotte ainsi, un beau jour se fixe sur quelqu'un. D'accord, faudrait pas que ce soit le coup de miroir mais qu'est-ce que ça pourrait être d'autre ?...


Etre à la fois "hétéro" et "homo" cela arrange-t-il les choses, en ouvrant le champs des possibles ?
Oui moi. j'ai de toutes façons un champ restreint puisque je suis de "conformation" surprenante mais non, cela n'arrange rien du fout ! Je trouve que c'est compliqué, tragique à tous coups enfin. C'est très à la mode de parler de ça...

C'est très à la mode, en tout cas, de prôner la bisexualité ; le côté "il faut tout essayer".
Ah ça, je trouve que c'est révoltant et j'en ai connu des communautés où les gens se ravageaient parce qu'ils n'étaient qu'hétéros !!!.

La. fidélité a-t-elle un sens à vos yeux ?
Il s'agit presque d'un jugement de valeur : cela signifie qu'on aime toujours...

Vous croyez ?
Oui c'est pour ménager la grande sensibilité de l'autre, sensibilité que l'on a soi-même...

On ne peut donc pas aimer plusieurs personnes ?
Si, sûrement... Moi. je ne sais pas. Je ne sais rien. On cherche... On cherche ce qui pourrait être bien pour tout le monde ; d'ailleurs on devrait pouvoir faire l'amour avec n'importe quel être. Personne ne devrait se trouver en manque sexuel ; le dégoût c'est quoi ? Je ne vois pas. En réalité, nous ne sommes que des pauvres minables....

Dans les milieux artistiques n'est-on cependant pas plus ouvert que dans les autres milieux ?
Rien que superficiellement, en fait, oui oui ; les homosexualités féminines ou masculines, ne sont pas du tout admises, même là!

La norme, qu'est-ce-que c'est ?
La majorité.

Et la majorité est hétéro... A quoi cela est-il lié justement ?
Ça arrange les gouvernements en place. Qui dit hétéro dit famille, enfants etc... Tous ces gens-là en ont pour jusqu'à la fin de leurs jours à être encombrés. Avec toutes leurs histoires familiales, ils sont coincés donc soumis.

Mais le choix de l'homosexualité ou de l'hélérosexualité de quoi dépent-il, de la nature ?...
De qui vous rencontrez dans la vie. Vous rencontrez soit un homme, soit une femme, et voilà.

Une relation avec une femme vous apporte-t-ell la même chose qu 'une relation avec un homme ou est-ce tout à fait différent ?
C'est-à-dire qu'en ce qui me concerne ma relation est très privilégiée par rapport aux femmes. Dans ma vie, il en a été ainsi. Je pourrais expliquer pourquoi (on essaie tous de s'expliquer le pourquoi de telle ou telle rencontre) ;d"abord, un mauvais démarrage à huit ans et demi avec une personne  de ma famille. C'était un peu... jeune. Maintenant cela  n'aurait plus les mêmes conséquences. Alors, cela a été  très grave !
Ensuite, la chance de rencontrer des hommes gentils, pas  dans un sens péjoratif, vraiment « gentils ». Tous les êtres
que j'aime me "surprennent" d'ailleurs ; je pense, elle a fait ça, il a fait ça !
Le premier amour de ma vie. mon ex-premier amour faisait des dessins, c'était superbe et la dame irlandaise, elle était... mais d'un drôle, d'un humour ; ce qu'on pouvait rire ensemble.
Vous croyez que cela peut intéresser quelqu'un ce que je raconte ??? Il y a une amie qui me disait à ce sujet : "parce que tu es comme tu es, tu devrais parler d'amour ; cela réconforterait les "handicapés" (.éclat de riie). Elle pensait que, étant donné que je suis une très grosse dame cela rassurerait déjà tous les obèses ; enfin les obèses "débutants" parce que moi je suis une obèse installée depuis longtemps... dès l'âge de six ans.

Cela vous a été un problème important ?
Oh oui ! Oui ! Grave même ! Aujourd'hui, j'ai cinquante-trois ans je suis bien obligée d'envisager la vie "avec" mais c'est dramatique de ne pas se sentir comme les autres (j'allais dire : surtout pour une femme !!!).

En fin de compte, Colette Magny, est-ce-que cela ne vous a pas "malheureusement" aidée d'être ainsi hors normes ? Certainement. Je me suis mise encore plus complètement hors de la norme en devenant artiste après... trente-six ans. Si je peux parler comme je le fais ce n'est pas du tout parce que je suis cette artiste ou n'importe quoi d'autre, c'est parce que j'ai ressenti une humiliation profonde, parce que j'ai été reniée. C'est pour cela, d'ailleurs, que je chante ce que je chante. Je ne peux plus supporter que l'on critique quelqu'un parce qu'il est jaune, noir ou je ne sais ; je m'identifie immédiatement.

Vous avez eu la chance "également ", de rencontrer des êtres particulièrement passionnants ?...
Oui, des êtres qui m'ont beaucoup appris, qui oui été merveilleux avec moi. Et je suis certaine d'avoir été aimée, certaine, ne serait-ce qu'une lois. C'est suffisant pour toute la vie !!!? Ça "devrait" l'être. Hélas, nous avons besoin de nous sentir constamment rassurés...
Je voudrais ajouter quelque chose. Moi, si j'aime une femme c'est parce que c'est une femme. On pourrait croire après ce que j'ai dit de mes ennuis avec certains messieurs que je me suis "rabattue" sur les femmes. Eh bien non non, pas du tout ; si c'est une femme que j'aime c'est bien parce que c'est une femme pas parce que c'est un "faux-mec", un petit "julot"!

Parce que... la féminité ?
Exactement, oui exactement ! II n'y a pas longtemps que j'en suis sûre mais j'en suis sûre.

Le meilleur facteur de bonheur, alors, ce serait quoi ?
Il y en a peut-être un ? La société est si lourde .. Je me demande pourtant comment l'on réagirait si l'on était conditionné à l'homosexualité ? Vous verriez qu'il y aurait encore des « hétéros-déviant s »...
                                    
Propos recueillis par Isabelle GUILHEM.

 

 

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1 juillet 1978 6 01 /07 /juillet /1978 07:02

femmes-mouvements.jpgArticle paru dans Des femmes en mouvements n°7 de juillet 1978 :

J’adore la scène, bien plus que le disque…

Mes chansons : une chronique étonnante.
Colette Magny écrit, compose et chante.



•Moi, je suis une femme... inhabituelle  de structure, de volume ; quand je  chante, je suis là, comme ça, on m'écoute. J'ai eu une adolescence épouvantable, alors j'ai dû trouver cette issue... Si je chante les opprimés, c'est parce que moi je suis dans une minorité opprimée : les obèses sont opprimés, ne pas pouvoir sortir un jour sans quolibet...
Ça se transforme... par exemple, j'ai fait une émission avec Michel Drucker un dimanche ; après, dans la rue, on se dit : « Tiens, cette femme énorme, je l'ai vue à la télévision »... Je suis sauvée... c'est un peu mesquin... mais c'est ça... c'est pour se défendre...

Femmes-CM2Je chante ce qui se dit : le pays, le langage
Quand j'ai commencé à chanter, j'avais écrit une chanson sur Cuba en 62, certains autour de moi pensaient que j'étais militante. C'était une erreur... J'ai eu un éveil politique très tardif ; à 30 ans, j'étais encore à mon bureau ! En fait, certaines de mes chansons, je les ai faites après une véritable enquête, à partir de rencontres... je ne suis pas une voyeuse comme certains qui veulent absolument faire de l'ouvriérisme ; par exemple, j'ai fait une chanson sur les mineurs dans le nord. Je parle de celle-là parce que c'est la plus réussie, me semble-t-il, les gens croient que je suis du nord ; quand je chante, ce n'est pas l'accent, mais ce qui se dit, le pays, le langage... c'est le concierge de ma cour, un mineur à la retraite qui m'en a donné envie... Parmi mes amis, il y avait une majorité de gauchistes, alors tout le monde discutait de ce que je faisais, de bien, de mal... en 66, c'était le début de la gauche prolétarienne, tous ces gens s'agitaient, se lançaient des citations de Lénine à la tête... j'en recevais aussi... alors j'ai pris quatre livres de Lénine, un de Marx   — pas des morceaux choisis ! — et je les ai lus. Moi qui n'avais pas de formation universitaire, il fallait vraiment que je m'accroche, je relisais les phrases dix fois... enfin ça m'a quand même éclairée... je suis entrée au P.C. J'en suis sortie parce que je n'étais pas d'accord avec eux ; à l'époque ils disaient : « paix au Vietnam » et moi je pensais « FNL vaincra »... Il y a une nuance importante.

...plus des insultes, plus des pierres
Pour moi, le politique, c'est ce qui dégage du terme < engagé » c'est tout ce qui concerne la vie dans la cité. Tant de gens viennent ici me seriner ce que je devrais faire, ce qu'il faudrait faire.
Depuis quelques années, pour les « gauchistes » entre guillemets, je suis une crapule stalinienne et réactionnaire... Pour les zonards, loubards, anars, gauche prolétarienne, dévissés, trotskystes déprimés, plus quelques mecs d'extrême-droite pour attiser le feu ; tout ça fait beaucoup de chahut parce qu'il faut payer sa place pour aller au concert... Ils me reprochent de ne pas chanter gratuitement... des concerts « gratuits pour le peuple »... Je viens d'en faire un, ça m'a coûté 100.000 francs, plus des insultes, plus des pierres... Il y avait des contestataires, situationnistes je suppose : « est-ce que tu as fait l'analyse du pouvoir »... je n'ai pas compris... j'ai demandé au guitariste. « Qu'est-ce qu'il a dit ? »... « II te dit : est-ce que tu as fait l'analyse du pouvoir ! » Ah, en voilà une question ! « Allumez tout» et je dis « c'est quoi l'analyse du pouvoir, qui a parié de ça ? Venez ici, vous avez sûrement des trucs à dire...». Il y en a un qui m'a répondu : « tu te rends compte le pouvoir que tu as d'avoir un micro ! » Et moi, je trouve que ce n'est pas facile d'être debout devant un micro, s'il faut en plus que  je me gare à droite et à gauche, que j'aie  un gilet pare-balles ! J'ai un ami  « commissaire du peuple »... il dirait « Colette, on va la fusiller, elle est gentille, elle comprendra » et il pleurera après ; c'est ça le truc...
Mais ça me bouleverse terriblement ; la première fois, il y a cinq ans, j'ai cru mourir de chagrin... une grosse bagarre sanglante entre trotskystes et union communiste ; ils s'étaient bien servis de moi l'un et l'autre, chaque groupe, je ne me pardonne pas mes naïvetés... j'aurais dû être beaucoup plus prudente... au début je n'y connaissais rien, je discutais même avec des fascistes... et toujours, je discute, je discute.
Je travaille avec des femmes, mais c'est un hasard. La pianiste, ça fait très longtemps que je la connais, on avait envie de travailler ensemble ; elle, elle connaissait une bassiste avec qui elle avait envie de travailler et moi j'ai rencontré par hasard la percussionniste... comme ça aussi, une infirmière qui fait la sonorisation, rien que « des poulettes »... ; ah ! Ça se passe très bien, je ne sais pas si c'est parce que ce sont des femmes, je n'en sais rien si ça joue ; elles sont de formation classique contemporaine, ce sont des femmes qui travaillent !... J'ai tellement l'habitude d'être seule, surtout dans les situations difficiles, les chahuts, les « t'es qu'une pute ! »... ces attaques-là qui nous arrivent sur la scène. Là, je sais que je peux compter sur elles, elles sont solidaires.

Femmes-CM1De jouer avec des femmes, la musique est autrement
De jouer avec des femmes, la musique est autrement, c'est la même musique qu'on joue, mais d'abord elle est arrangée par la pianiste. Avant, j'ai travaillé avec un bassiste, on était vraiment tous les deux ensemble ; mais après, ça s'est dégradé, il n'était pas concerné par ce que je faisais. Avec elles, il y a une cohérence dans la musique justement, et puis on s'entend bien, enfin, elles sont là quoi... elles ont envie d'être là, et ça se voit, et, forcément, les gens sont contents, de nous voir bien ensemble : on sourit, on rigole, enfin on ne fait pas d'extravagance, on communique au moment du travail, et après d'ailleurs, il n'y a jamais de discussions violentes... Je ne suis pas féministe, je ne sais pas ce que c'est... j'ai pourtant lu quelques bouquins, il y a une espèce de comédie qui me déplaît... des femmes qui font semblant de s'intéresser à des problèmes de mères de famille, comme on se branche sur le sort des ouvriers. On m'a reproché d'être trop intellectuelle pour les ouvriers, c'est peut-être vrai pour certaines choses, mais après tout, c'est mon langage.
Le côté positif de chanter... c'est l'amour... le plaisir est immense ; je bénéficie en majorité d'un public extraordinaire, sympa comme tout. Il y a beaucoup de choses qui font bien plaisir, les soirées sous le chapiteau : on chante, on rechante, et puis il faut bien s'en aller... comme ça à Angers, une dame est venue me retrouver, une dame de mon âge : « Ah ! On aurait bien aimé rester avec vous ! » Mais qu'est-ce que vous voulez, il faut bien partir... mais il peut y avoir une seule personne qui soit touchée ou un vieil ouvrier qui pleure parce qu'il ne pensait pas que quelqu'un pouvait chanter ses conditions de travail.

J'aime parler, je suis une conteuse
Chanter ça passe dans tout le corps ; j'adore la scène bien plus que le disque ; mais le plus grand plaisir pour moi, c'est de faire avant d'être sur scène... fabriquer une chanson, fabriquer une chose qui est de la musique et des paroles, c'est ça qui me donne la plus grande joie.
Je bénéficie d'une voix naturelle qui est bonne, qui est intéressante ; il faut bien que ça serve à quelque chose ; mais moi ce qui me plaît, c'est parler, j'aime parler, je suis une conteuse. Je voudrais être une conteuse qui se trouve être une femme qui chante... ça me retire le trac de parler... j'arrive, je suis inquiète... je ne sais pas si je vais pouvoir sortir certains sons, alors je raconte un petit peu tout ça, ça me désangoisse... Il y a quelques années, je ne parlais pas du tout, le bassiste avait dit : « la musique parle d'elle-même, tu n'as besoin de rien dire ! ». Maintenant je parle avec de plus en plus de plaisir, chanter c'est bien... chanter finalement c'est rencontrer des gens. Moi je chante pour qu'on m'aime, chanter c'est l'amour, et oui, aussi râler, c'est vrai...
En ce qui concerne le chant, je n'ai fait strictement que ce que je voulais, sauf peut-être quelques exceptions pour faire plaisir à quelqu'un, mais je suis responsable de tous ce qu'il y a dans mes disques, absolument,  même quand il y a du déchet et que je les écoute quatre ans après... C'est une chronique assez étonnante, je trouve... c'est un travail de journaliste, presque. J'ai eu assez de mal à savoir ce que je voulais mais quand on est vraiment déterminée c'est sûr que quelque chose va se produire.
J'aime tout quand même dans ce que j'ai fait. Je sais comment je l'ai fait à l'époque, ça venait de moi, j'ai mis très longtemps à m'aimer un petit peu ; on met très longtemps à s'aimer soi-même....
Avant je ne m'aimais pas du tout, et pas seulement parce que j'ai cette apparence physique, je me trouvais conne, enfin on a tout fait pour ça... on m'a dit un jour : « sale petite bourgeoise on t'a toujours dit de penser avec ton ventre il faut penser avec ça ». J'ai lu Lénine, etc... pour apprendre à penser avec ma tête, et bien je viens de m'apercevoir que de toutes façons je n'en ai pas... ce n'est pas la peine que je continue d'essayer, j'y perds.

Un opéra à propos de la pintade
Je voudrais faire un opéra à propos de la pintade, parce que pendant deux ans un ami m'a parlé avec passion, de pintades, il a écrit dans tous les musées du monde ; dans les rites africains, il y a la déesse de la rivière et de l'amour, avec une robe très belle comme les dessins sur la pintade, et le sang qui coule par-dessus, ah ! Très beau tout ça, j'étais dans les plumes, j'étais contente... et il y a une amie qui me dit : « est-ce que tu as pensé à la lutte des paysans ?» ah ! J’ai dit non, je ne pensais qu'aux plumes, aux africains, à la musique, au Niger, etc. je lui dis : « tu as raison ». J'ai lu 10 bouquins... pendant deux ans, j'ai pris des notes que je ne peux pas relire, que je ne comprends pas, et j'ai perdu les plumes... carrément... j'ai perdu une envie de faire... Je me suis perdue...
Là, je me suis laissée influencer, et je ne peux pas continuer ; maintenant, je suis résignée, si je veux aborder un sujet, je l'aborderai à ma manière, d'une manière analphabète mais tant pis.
Dans la presse, un silence épouvantable à mon égard
Dans la presse à mon égard, il y a une espèce de silence épouvantable. Le spectacle à la Cartoucherie, même si ce n'est pas bien réalisé, cette tentative de faire se balader des peintures, des sculptures, ça ne s'était fait nulle part dans le monde ; il n'y rien eu sur le contenu, mais rien. J'avais toujours une belle voix, mais sur la tentative elle-même : rien... pourtant j'essaie de faire du ramdam, c'est pour des gosses psychotiques, ils ont fait un disque, et moi je faisais l'ingénieur du son ; quand même, je ne comprends pas que ça ne les intéresse pas... un montage avec ces enfants-là, un truc sur la peinture/sculpture, c'est quand même étrange, ce n'est pas une chanson. Si c'est mauvais, autant le dire, mais pourquoi on n'en parle pas, quelque part, de ça... non ça me choque... Ce sont d'autres modes « de dire », et de chanter, moi je ne l'ai pas fait exprès, c'est ça que j'ai envie de faire... Eh bien, j'ai été 18 ans en analyse, c'est beaucoup ; ça fait bien rigoler toute la famille, ils ont tous commencé après et ils ont tous terminé avant, on me disait : « alors, Colette, cette analyse au long cours, comment ça marche !? ». Oh, je les emmerde parce que eux ils ont repris des tranches, ils n'ont rien à dire, moi j'ai pris une grosse tranche d'un coup, cul sec !...
 

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1 décembre 1977 4 01 /12 /décembre /1977 10:59

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Interview parue dans Canal n°10 de décembre 1977 :

 

Colette Magny présente jusqu' au 10 décembre un nouveau récital de chantons et une expérience sonore réalisée avec des enfants psychotiques.
A l'Elysée-Montmartre, 72 bd de Rochechouart, Paris 18.

 

J'accepte tout-à-fait d'être reconnue comme une chanteuse politique dans la mesure où une partie de mon répertoire s’en mêle et où c'est très important dans ma vie. N'importe quel évènement me met en branle sur ce qu'on appelle la politique, au sans large du Piscator. J'avais lu ça, et cela m’avait bien réconfortée : à savoir que la politique, c’est ce qui concerne la cité, tout le monde, la ville entière.

 

Et la politique au sens étroit du terme ?
Actuellement, tous les discours politiques m’emmerdent, qu’ils soient écrits ou parlés. Et pas seulement les discours du pou voir, ça ne serait pas grave, mais ceux de la gauche et de l'extrême gauche. En France, ce sont tous des pisse-vinaigre. De plus, sauf à l'extrême-gauche où ils sont plus sévères, ils se serrent tous la main. Je ne peux pas comprendre cela. Il n'y a rien : ni parti, ni groupe, ni mouvement qui puisse me donner l’envie de mourir avec eux contre les gens du capital. Je ne veux pas être un martyr, et c'est en effet sur ce point que l'on m'attaque. Il y a des gens, même des militants, qui attendent non pas de moi mais d’autres ; quelqu'un qui nous parlerait vraiment ! Moi aussi, j'attends cela. Mais c'est aussi facile d’attendre l'orateur splendide, ou l'oratrice, les mouvements extraordinaires où je vais pouvoir m'insérer comme un gros lapin. Je me dis : quel dommage que je ne sois pas Rosa Luxembourg. Je foncerais et je dirais : mes sœurs, mes frères,  mes camarades, debout !
Parce que le monde est insupportable ; on compose avec soi tout le temps, tous les jours, tous les matins. Face à n'importe quel événement, on devrait tous être dehors. Le Vietnam, le Chili, c'était des choses monstrueuses. Pourquoi n'étions-nous pas tous dehors, dans la rue, tous à hurler ?
Je voudrais savoir expliquer pourquoi il faut tous aller dans la rue, l’expliquer par des choses fortes et pas seulement avec l’émotion.

 

canal-4.jpgL’importance de la théorie est donc si grande !
C'est absolument nécessaire : de pouvoir théoriser, d'être capable de structurer une pensée. Même s'il faut que des gens comme moi se cassent la tête pour comprendre ce qui est dit. Il y a quelques années, j’ai rencontré un homme qui avait été très ému par Vietnam 67.Pourtant, quand on s'est mieux  connus, par la suite, il m'a dit « tu n'es qu'une sala bourgeoise, tu penses par ton ventre et la pensée, elle se trouve là : dans la tête». Et je me suis dit qu'il avait raison, «j'ai un déplacement d'organes ». Depuis, j'ai essayé de continuer à comprendre plus sérieusement. Dans mes chansons, plutôt que de partir sur le seul sentiment, j'ai essayé de me documenter. Il faudrait que je maîtrise mon émotion, que je la distille suivant l’utilité que ça peut avoir…Eh bien, je n’en suis pas capable !

 

Est-ce une position qu’on peut dire « morale » ?
Je ne veux pas avoir les mains sales, mais c'est une façon faible et individualiste de s'opposer au pouvoir. C'est pour ça que je ne suis pas «politique». La morale en politique, c'est mauvais signe. Il sera pendu l’homme moral, ou la femme morale. Et tant pis pour moi. Il faut être armé contre ceux d'en face, armé physiquement, matériellement, mais aussi théoriquement.

 

Une émotion demeure dans ton travail : cette réaction cette réaction tellement aigüe que tu as de vibrer à toute souffrance…
Ça, ça fait absolument toute ma vie. Par le fait d’avoir beaucoup souffert d'une différence dans mon enfance, dans mon adolescence. Maintenant, ça passe un peu. J'étais profondément humiliée, tous les jours, comme un travailleur émigré ; mais d'une autre manière, mais c'est pareil. Et chaque fois que cela se produit pour quelqu’un d’autre ça me remue les sangs.

 

Mais paradoxalement, cette souffrance chantée procure un espoir...
C'est ce qu'on m'a dit : certains sortent de mon spectacle épuisés, fatigués, mais pas désespérés. Au lieu de provoquer des suicides, j'ai davantage provoqué des adhésions au Parti communiste. C'est un exemple. Et puis il y a les déprimés qui écoutent mes disques ; peut-être parce qu'ils entendent quelqu'un d'encore plus malheureux qu'eux, ou dans le même merdier.

 

Entre le public et toi, c’est également une relation affective, d’émotion, même. Et ceux qui viennent te voir après le spectacle ?
Oui, c'est à cause de la voix, de la musique de la voix, de l'émotion. Il y a des militants qui se sont adressés à moi pour rencontrer la dame qui chante Village/visage, une chanson où justement je parle surtout de moi. Et c’est ça qui les intéresse. L'Émotion, j'en suis sûre, est accessible à tout le monde ; mais cet ami, dont je parlais, avec sa tête, il est furieux quand il est pris par l'émotion parce que ça brouille les problèmes.

 

canal-2Et toi, quand tu chantes ?
On dit que les planches nous brûlent.  C'est vrai, on est dans un tel état émotif qu'on décuple notre énergie. Charles Dullin arrivait dans son petit fauteuil ; il jouait sur la scène, après quoi il retombait dans son fauteuil. Mais c'est les gens qui nous la communiquent, nous la donnent cette énergie. Pendant le spectacle à la Cartoucherie, j’étais sous cortisone, sans force ; alors je leur ai dit : si vous ne me donnez pas d’énergie, je chanterai mal et ce sera votre faute. Tout le monde a ri et ils m’ont échangé leur chaleur.

 

Depuis plusieurs mois, les tours de chant sont plus fréquents qu’auparavant…
C’est une façon de me demander ce que je pense du show-business de gauche ? C'est ce que nous faisons, c'est vrai, moi et d'autres. Nous produisons un travail qui intéresse suffisamment de gens pour remplir une salle de telle ou telle dimension ; on est une marchandise et on se vend aux gens d’en face. Et une partie de ces gens, un pour cent, ceux qui exigent les concerts gratuits pour le peuple, se retournent contre nous. Mais je n’ai plus la force physique, à mon âge, de ne chanter qu’en circuit militant, c’est-à-dire, après huit heures de travail chaque jour, aller chanter.
Je me réjouis de voir mon public s’agrandir, d’avoir de plus en plus d’occasions de chanter. J’aime tellement chanter… Et puis je n’ai plus tellement d’années devant moi.

 

Tu passes à la télévision…
Ça va être un réconfort pour les grosses dames ; c’est un peu comme si un travailleur émigré passait à Antenne 2, aux informations. Il y a 10 ans, quand j’étais déjà passée à la télévision, des gens m’avaient dit que les grosses dames de France étaient rudement contentes ; maintenant, elles vont être épanouies qu’une encore plus grosse qu’elle passe à l’écran i dimanche après-midi! Mais c’est vrai, toutes ces télés, c'est suspect.  En toute sincérité, j’ai proposé un programme à Antenne 2, sûre qu’ils allaient refuser. Mais non, et c’est tout aussi claire qu’un refus : ils peuvent ainsi se dire ou se prétendre libéraux.
Que dois-je faire ? Je ne sais pas très bien, sinon que je me sens complètement désintéressée.

 

Entretien : Hélène Villers.

 

Colette Magny, le chant de l'émotion et de la révolte
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