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1 décembre 1977 4 01 /12 /décembre /1977 10:59

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Interview parue dans Canal n°10 de décembre 1977 :

 

Colette Magny présente jusqu' au 10 décembre un nouveau récital de chantons et une expérience sonore réalisée avec des enfants psychotiques.
A l'Elysée-Montmartre, 72 bd de Rochechouart, Paris 18.

 

J'accepte tout-à-fait d'être reconnue comme une chanteuse politique dans la mesure où une partie de mon répertoire s’en mêle et où c'est très important dans ma vie. N'importe quel évènement me met en branle sur ce qu'on appelle la politique, au sans large du Piscator. J'avais lu ça, et cela m’avait bien réconfortée : à savoir que la politique, c’est ce qui concerne la cité, tout le monde, la ville entière.

 

Et la politique au sens étroit du terme ?
Actuellement, tous les discours politiques m’emmerdent, qu’ils soient écrits ou parlés. Et pas seulement les discours du pou voir, ça ne serait pas grave, mais ceux de la gauche et de l'extrême gauche. En France, ce sont tous des pisse-vinaigre. De plus, sauf à l'extrême-gauche où ils sont plus sévères, ils se serrent tous la main. Je ne peux pas comprendre cela. Il n'y a rien : ni parti, ni groupe, ni mouvement qui puisse me donner l’envie de mourir avec eux contre les gens du capital. Je ne veux pas être un martyr, et c'est en effet sur ce point que l'on m'attaque. Il y a des gens, même des militants, qui attendent non pas de moi mais d’autres ; quelqu'un qui nous parlerait vraiment ! Moi aussi, j'attends cela. Mais c'est aussi facile d’attendre l'orateur splendide, ou l'oratrice, les mouvements extraordinaires où je vais pouvoir m'insérer comme un gros lapin. Je me dis : quel dommage que je ne sois pas Rosa Luxembourg. Je foncerais et je dirais : mes sœurs, mes frères,  mes camarades, debout !
Parce que le monde est insupportable ; on compose avec soi tout le temps, tous les jours, tous les matins. Face à n'importe quel événement, on devrait tous être dehors. Le Vietnam, le Chili, c'était des choses monstrueuses. Pourquoi n'étions-nous pas tous dehors, dans la rue, tous à hurler ?
Je voudrais savoir expliquer pourquoi il faut tous aller dans la rue, l’expliquer par des choses fortes et pas seulement avec l’émotion.

 

canal-4.jpgL’importance de la théorie est donc si grande !
C'est absolument nécessaire : de pouvoir théoriser, d'être capable de structurer une pensée. Même s'il faut que des gens comme moi se cassent la tête pour comprendre ce qui est dit. Il y a quelques années, j’ai rencontré un homme qui avait été très ému par Vietnam 67.Pourtant, quand on s'est mieux  connus, par la suite, il m'a dit « tu n'es qu'une sala bourgeoise, tu penses par ton ventre et la pensée, elle se trouve là : dans la tête». Et je me suis dit qu'il avait raison, «j'ai un déplacement d'organes ». Depuis, j'ai essayé de continuer à comprendre plus sérieusement. Dans mes chansons, plutôt que de partir sur le seul sentiment, j'ai essayé de me documenter. Il faudrait que je maîtrise mon émotion, que je la distille suivant l’utilité que ça peut avoir…Eh bien, je n’en suis pas capable !

 

Est-ce une position qu’on peut dire « morale » ?
Je ne veux pas avoir les mains sales, mais c'est une façon faible et individualiste de s'opposer au pouvoir. C'est pour ça que je ne suis pas «politique». La morale en politique, c'est mauvais signe. Il sera pendu l’homme moral, ou la femme morale. Et tant pis pour moi. Il faut être armé contre ceux d'en face, armé physiquement, matériellement, mais aussi théoriquement.

 

Une émotion demeure dans ton travail : cette réaction cette réaction tellement aigüe que tu as de vibrer à toute souffrance…
Ça, ça fait absolument toute ma vie. Par le fait d’avoir beaucoup souffert d'une différence dans mon enfance, dans mon adolescence. Maintenant, ça passe un peu. J'étais profondément humiliée, tous les jours, comme un travailleur émigré ; mais d'une autre manière, mais c'est pareil. Et chaque fois que cela se produit pour quelqu’un d’autre ça me remue les sangs.

 

Mais paradoxalement, cette souffrance chantée procure un espoir...
C'est ce qu'on m'a dit : certains sortent de mon spectacle épuisés, fatigués, mais pas désespérés. Au lieu de provoquer des suicides, j'ai davantage provoqué des adhésions au Parti communiste. C'est un exemple. Et puis il y a les déprimés qui écoutent mes disques ; peut-être parce qu'ils entendent quelqu'un d'encore plus malheureux qu'eux, ou dans le même merdier.

 

Entre le public et toi, c’est également une relation affective, d’émotion, même. Et ceux qui viennent te voir après le spectacle ?
Oui, c'est à cause de la voix, de la musique de la voix, de l'émotion. Il y a des militants qui se sont adressés à moi pour rencontrer la dame qui chante Village/visage, une chanson où justement je parle surtout de moi. Et c’est ça qui les intéresse. L'Émotion, j'en suis sûre, est accessible à tout le monde ; mais cet ami, dont je parlais, avec sa tête, il est furieux quand il est pris par l'émotion parce que ça brouille les problèmes.

 

canal-2Et toi, quand tu chantes ?
On dit que les planches nous brûlent.  C'est vrai, on est dans un tel état émotif qu'on décuple notre énergie. Charles Dullin arrivait dans son petit fauteuil ; il jouait sur la scène, après quoi il retombait dans son fauteuil. Mais c'est les gens qui nous la communiquent, nous la donnent cette énergie. Pendant le spectacle à la Cartoucherie, j’étais sous cortisone, sans force ; alors je leur ai dit : si vous ne me donnez pas d’énergie, je chanterai mal et ce sera votre faute. Tout le monde a ri et ils m’ont échangé leur chaleur.

 

Depuis plusieurs mois, les tours de chant sont plus fréquents qu’auparavant…
C’est une façon de me demander ce que je pense du show-business de gauche ? C'est ce que nous faisons, c'est vrai, moi et d'autres. Nous produisons un travail qui intéresse suffisamment de gens pour remplir une salle de telle ou telle dimension ; on est une marchandise et on se vend aux gens d’en face. Et une partie de ces gens, un pour cent, ceux qui exigent les concerts gratuits pour le peuple, se retournent contre nous. Mais je n’ai plus la force physique, à mon âge, de ne chanter qu’en circuit militant, c’est-à-dire, après huit heures de travail chaque jour, aller chanter.
Je me réjouis de voir mon public s’agrandir, d’avoir de plus en plus d’occasions de chanter. J’aime tellement chanter… Et puis je n’ai plus tellement d’années devant moi.

 

Tu passes à la télévision…
Ça va être un réconfort pour les grosses dames ; c’est un peu comme si un travailleur émigré passait à Antenne 2, aux informations. Il y a 10 ans, quand j’étais déjà passée à la télévision, des gens m’avaient dit que les grosses dames de France étaient rudement contentes ; maintenant, elles vont être épanouies qu’une encore plus grosse qu’elle passe à l’écran i dimanche après-midi! Mais c’est vrai, toutes ces télés, c'est suspect.  En toute sincérité, j’ai proposé un programme à Antenne 2, sûre qu’ils allaient refuser. Mais non, et c’est tout aussi claire qu’un refus : ils peuvent ainsi se dire ou se prétendre libéraux.
Que dois-je faire ? Je ne sais pas très bien, sinon que je me sens complètement désintéressée.

 

Entretien : Hélène Villers.

 

Colette Magny, le chant de l'émotion et de la révolte
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