Article paru dans Le Monde du 29/03/2002 :
Comme Catherine Ribeiro et Brigitte Fontaine, comme Léo Ferré aussi, Colette Magny était, dans les années 1960 et 1970, l'une des interprètes les plus importantes d'une chanson différente,
politique et poétique. Comme ses soeurs et frère en musique, Colette Magny avait alors rarement les faveurs de la télévision, de la radio ou de la presse nationale. Trop intègre, trop entière et
surtout trop peu attachée à jouer de cette image pour attirer caméras et micros sans que les animateurs risquent d'y perdre leur pouvoir. Sa mort, le 12 juin 1997 à Villefranche-de-Rouergue
(Aveyron) à l'âge de 70 ans, ne suscitera que quelques phrases de circonstance pour l'embaumer en « chanteuse militante ». Ce qu'était certes pleinement Colette Magny mais pas uniquement, comme
le rappelle avec beaucoup de talent et d'attention le spectacle « Les Gueules de loup sont des fleurs » de la Compagnie Lau.
Dans la petite salle de l'Espace Confluences, dans le 20e arrondissement parisien, quartier Charonne-Belleville, la voix de Tatiana Chambert sort d'abord du noir. A Saint-Nazaire, texte à entrées multiples sur les filets des marins, la marée noire du Torrey-Canyon, les chantiers navals en grève, des femmes dans la houle du large. Magny avait, comme on dit, du coffre, une stature qui pourrait impressionner bien des voix. Tatiana Chambert ne s'en émeut pas plus que cela. La chanteuse et comédienne aborde les compositions de Magny avec assurance. Elle a ce qu'il faut, et même un peu plus, de justesse, de puissance pour habiter, sans redondance sur-expressive, chaque chanson dans plusieurs registres. Jazz, blues (Toune Ben Ben..., hommage à Reine, une amie, paysanne du Rouergue), aux sources des tambours d'Afrique (J'ai suivi beaucoup de chemins), comptine minimaliste (la reprise de Melocoton est une merveille), klezmer (L'Exil), musette sans accordéon... Une manière de montrer l'étendue des approches musicales de Colette Magny.
Avec Tatiana Chambert il y a trois musiciens. La pianiste Bettina Kee, ancienne élève de Bernard Maury, un géant trop discret du jazz en France, qui a posé ses doigts dans la musique contemporaine, le funk, l'électro-pop... Le tout passe par un phrasé fluide, une science du détail. A la trompette, Sylvain Bardiau, plutôt présent dans des pupitres de big band jazz ou salsa, équilibre l'effet repérable - une phrase blues, un éclat latin - et les touches d'un coloriste. Quant à la la batteuse Tatiana Mladenovitch - parfois remplacée par Fabrice Lerigab -, son contrôle de la frappe apparaît dans son jeu aux balais, ses idées traduisent un parcours complet de la country au free jazz.
La mise en scène de Pierre Chambert permet de sortir les instrumentistes du rôle de musiciens accompagnateurs et désacralise la position centrale de Tatiana Chambert. Cela passe par des déplacements, des frôlements entre les artistes, qui valent tous les décors. A l'évidence ces quatre jeunes gens ont trouvé des résonances dans le fait que Colette Magny ne concevait pas que paroles et musiques ne puissent se répondre. La Compagnie Lau est bien ici au-delà de l'hommage qui viendrait figer, dans une lecture totalement actuelle, une artiste qui manque à la chanson française.
Sylvain Siclier