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1 juin 1966 3 01 /06 /juin /1966 16:24
Article paru dans Jazz Magazine de juin 1966 :

Jean-Robert Masson répond à une lettre de Colette Magny :
Le compte rendu du "Jazz Meeting" de la Mutualité que j'avais donné aux Lettres françaises et que Jazz Mag a repris le mois dernier, sur la demande amicale de son rédacteur en chef, m'a valu de Colette Magny cette missive :

   « Je tiens à vous préciser que je ne suis pas une vedette, mais une artiste. Le music-hall m'ignore (récemment Bobino, programme Mouloudji) parce que je refuse d'amputer mon répertoire des quatre chansons que, peut-être, vous avez entendues à la Mutualité. Vous pouvez ne pas aimer ma voix et ma manière de chanter, mais je suis une chanteuse de jazz. J'ai toujours refusé de « faire des adaptations » des thèmes classiques que j'interprète. Vieux style, c'est entendu. Quant à Bernard Vitet et  Jean-Louis Chautemps, ils ont participé, sans en paraître déprimés, à l'avant-dernier disque que j'ai enregistré avec Francois Tusques : CBS EP 6008.
   « Si un jour vous écoutez l'enregistrement (que je viens de terminer pour Mouloudji, Avec, vous comprendrez peut-être alors que le sens de mon travail évolue vers des recherches très éloignées des préoccupations d'un artiste de music-
hall. N'est pas Bob Dylan qui ne saurait le vouloir.
   « Par ailleurs, je constate que vous avez complètement passé sous silence le grand orchestre « free jazz ». C'est
pourtant un événement. Les musiciens — français et bêtement blancs — sont écœurés. Quant au C.A.S., les militants
se sont donné beaucoup de mal — vous pouvez comprendre que le ton de votre « papier » ne leur a pas fait plaisir.
Désolée, Colette Magny.  »
   Trois fois mis en cause sur trois questions différentes, je vais donc trois fois répondre, en commençant par la fin.
   1) Les militants du Comité d'Action du Spectacle, je n'en ai jamais douté, ont donné de leur personne pour organiser cette soirée. Mais toute la peine que requiert une entreprise maladroitement engagée, exposée, par son principe même, aux dangers de la confusion des genres, des idées et des valeurs, ne saurait contrebalancer l'échec, inévitable et prévisible, qu'elle façonne de ses propres mains. A moins d'en appeler à une éthique de la. B.A., la bonne volonté militante, en politique et en jazz, n'est pas, ne peut pas être, une fin en soi ni la caution d'un acte nécessairement réussi. Elle se doit d'être critiquée si, comme ce fut le cas l'autre soir, elle patauge dans l'inefficacilé et dessert, la cause qu'elle est censée défendre. Des amis, plus pointilleux que les animateurs du C.A.S. sur ces problèmes d'action politique, ont jugé de la même manière. L'affaire me paraît entendue.
   2) C'est, en effet, volontairement que je n'ai rien dit de l'exhibition « free jazz » du grand orchestre de François Tusques. J'ai toujours estimé que devant un mauvais film, un mauvais livre, un mauvais disque, le silence est préférable à un inutile, éreintement. Mais, puisqu'on m'y force, je préciserai ceci : l'improvisation qu'ont ébauchée Tusques et ses camarades tenait, d'une farce pas même joyeuse, qui se situait aussi loin de l'authentique jazz « free » que peuvent l'être, l'un de l'autre, Willy Rozier et Jean-Luc Godard. Et qu'on ne vienne pas m'assener la rengaine : sous peine d'être accusés de forfaiture, nous devons, nous les critiques, encourager, soutenir, célébrer, exalter chacun des gestes, chacune des esquisses créatrices de nos compatriotes. De cette autosatisfaction, béate et stupide, de ce conformisme stalinien, le jazz français a failli crever et je ne suis pas sûr qu'il s'en soit tout à fait guéri. J'ajouterai que la trajectoire personnelle de certaoins des musiciens de l'orchestre Tusques -nous tairons charitablement les noms-donne plutôt à rêver : hoppers endurcis à l'époque où Miles Davis venait de graver les séances "Prestige", apôtres résolus du soul quand les Messengers et Cannonball Adderley faisaient recette, les voici aujourd'hui bruyants porte voix d'un jazz qu'ils imaginent libre parce qu'ils copient, avec quelques années de retard, l'esthétique du double quartette d'Ornette Coleman. Le désir effréné d'être "dans le vent" oblige, semble-t-il, à de bien étranges métamorphoses...
   3) Colette Magny ne veut pas qu'on l'appelle, comme je l'avais écrit, « une estimable vedette du music-hall ». Elle
revendique pour son art une spécificité jazziste que nous découvrirons, vous et moi, je l'espère, à l'écoute des disques
qu'elle nous signale. Les lecteurs de Jazz Magazine ont maintenant en main les pièces du dossier. Chacun jugera
selon  ses  préférences.  Après tout, Colette Magny, chanteuse de jazz, pourquoi pas ? —- J.-R. M.


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