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1 novembre 1982 1 01 /11 /novembre /1982 17:12

Article publié dans Paroles & Musique de novembre 1982 :


- L'enfance est, mine de rien, un sujet qui revient souvent dans tes disques - depuis "Melocoton". Comment te souviens-tu de ton enfance ?

- J'étais une superbe enfant jusqu'à six ans. Mais le danger d'une superbe enfant, c'est que... j'étais un peu rondelette. C'est charmant jusqu'à un certain âge, après beaucoup moins. A huit ans et demi, j'ai eu un grave ennui, qui a dû déterminer toute ma vie : j'ai été violée par mon oncle. Mais ce n'était pas violent physiquement, pas brutal, c'était fait gentiment; peut-être que j'y ai même pris un certain plaisir; seulement c'est la tête après qui a déconné. Il m'a dit : Si tu ne viens pas avec moi, je le dirai à ton père! Cet homme s'intéressait aux petites fiIles, pas violemment, mais il a eu une histoire une autre fois et il est allé en prison. Et, dans ma famille, en parlant de lui, on disait : Pauvre Marcel. On ne devrait pas raconter sa vie, mais moi je suis comme ça. Les artistes disent : Les planches me brûlent; moi, ça me brûle pas. J'ai une responsabilité parce que les gens se dérangent pour me voir chanter. Mais je n'ai pas de "vie privée". Ma vie privée se confond avec mon métier.

- Le disque avec les enfants de l'I.M.P. semble t'avoir beaucoup marquée, beaucoup appris : quelles réflexions en tires-tu aujourd'hui ?

- Je pense que ces gosses doivent absolument pouvoir travailler. Il faut qu'ils puissent avoir du fric pour monter une crêperie qu'ils ont en projet. Ça nécessiterait que ce disque soit programmé à l'antenne, passe, se vende et leur rapporte de quoi faire leur crêperie.
Parce que si ça ne se fait pas, ils n'ont pas d'autre solution que l'hosto psychiatrique à vie. Je suis restée en contact avec certains enfants du disque, en particulier avec une fille qui a dix-huit ans aujourd'hui. On s'écrit régulièrement. J'ai failli en adopter un, d'ailleurs. On s'aimait bien tous, mais on ne s'est pas raconté de bobards. Je ne me suis pas laissée faire. Ils m'ont fait chier, parfois, à chanter des tas de trucs de variétés, tard, avec une énergie incroyable. Je me suis demandée quelle image ils pouvaient avoir de moi, une grand-mère à cheveux blancs ! Alors je les ai fait venir à un de mes spectacles. Ils étaient étonnés : Oh, Colette !...

Dans le cas du disque pour le Chili, les artistes ont-ils pu contrôler pour de bon l'utilisation des fonds ?

- Ah oui ! Avec Maxime, on avait fait une association dont j'étais secrétaire-trésorière. Quand je recevais un chèque de Chant du Monde, je l'envoyais à un avocat qui le faisait parvenir à la CIMADE, en accord avec Maxime et Mara. Il y a eu finalement très peu d'argent et par la suite, en accord avec les autres, le peu qui rentrait encore, après que l'association ait été dissoute, on l'a transféré aux enfants de l'IMP. Ce disque pour le Chili, on a été déçus d'ailleurs, s'est vendu très peu... je vais peut-être dire une bêtise, mais probablement pas plus de 3.000. Celui du Secours Populaire Français, il s'en est vendu 150.000.

- Plus généralement, est-ce que tu réussis à maintenir le contact, longtemps après la sortie d'un disque, avec les individus ou les groupes directement concernés ?

- Non, parce que l'année suivante, on passe à autre chose. Je travaille très, très longtemps sur un même sujet, je suis lente et c'est vrai que je n'ai pas le temps de rester en contact avec tout à la fois. Sauf pour les enfants de l'IMP, mais c'est parce qu'il y a un travail administratif. Dans les autres cas, si j'en ai vraiment le désir, je retrouverais les gens.
De toutes façons, au moment de faire le travail sur une "cause", j'en prends plein la gueule. Quand j'ai travaillé au Théâtre de la Ville sur le conflit israélo-palestinien, ils étaient tous à me surveiller au chrono : Les Palestiniens ont eu 30 secondes... Les Israéliens ont eu 30 secondes...
J'étais quand même là pour chanter avec des musiciens (qui étaient d'ailleurs très compréhensifs avec moi), et des gens venaient chaque jour me dire de rajouter ci ou d'enlever ça, en fonction des nouvelles reçues : par exemple, quand il y a eu la poignée de mains entre Arafat et Hussein de Jordanie, certains voulaient que je coupe un passage qui critiquait Hussein. Et je ne pouvais pas faire des trucs comme ça, parce que ça décalait complètement la musique. Je me suis fait traiter de "fasciste rouge". Je leur ai dit : Vous pouvez me foutre des bombes, je m'en fiche, je ne change rien ! Et j'en suis fière. J'aimerais que ça sorte sur disque, d'ailleurs. Ça et les enfants de l'IMP, ce sont les deux choses dont je suis le plus fière.

- On a souvent eu l'impression à ton sujet d'une carrière à éclipses : est-ce voulu ou accidentel ?

- (éclats de rire) Ah ha ha ! Tout à fait accidentel ! J'ai eu un certain succès au tout début, mais après il n'y a pas l'éclipsé, il y a la panade et... je ne dirais pas la misère, mais la pauvreté.

Qu'en est-il au juste, concrètement, de la censure dont tu as été - ou es encore - l'objet à la radio-télé nationale ?

- J'ai une copine qui travaille à la discothèque de l'ORTF, enfin l'ex-ORTF, et on m'a expliqué : Vos disques sont rayés transversalement au stylet. Ça, ça fait peur quand même, ça rappelle certaines méthodes totalitaires. Il y a deux autres exemples typiques, déments : quand j'avais fait un spectacle, trois jours à la Salle Gaveau, avec Atahualpa Yupanqui (sous l'égide de l'ORTF), le concert a été annoncé sur l'antenne sans que mon nom soit prononcé à côté du sien ! Un jour où Maxime faisait l'émission des Carpentier à la télé, il m'a demandée comme invitée, et ils lui ont répondu : Mais elle va incendier le studio ! Tout cela parce qu'un jour, pour. rigoler, dans un spectacle enregistré par France-Culture où il y avait Catherine (Ribeiro) avec ses bougies sur la scène, et où le producteur n'avait pas voulu que je chante une impro avec elle, j'avais dit : Ce serait facile de foutre le feu. Tu penses bien que je n'en avais pas la moindre intention ! Mais ça s'est répété un peu partout dans le milieu radio-télé et ça m'a valu une réputation absolument fausse. Et aujourd'hui, par exemple récemment à FR3 Strasbourg, on m'a dit que j'étais encore sur les "listes noires". On a sans doute oublié d'enlever mon nom ! Les producteurs ont la pétoche de perdre leur place, mais il faut leur accorder qu'ils ont des raisons pour cela. Une fois, à 3 h du matin, j'ai dit "merde" à l'émission de Foulquier. Ça a fait toute une histoire dans la maison...

- Qu'as-tu essayé de conclure dans les arguments - quand ils étaient audibles ! - des contestataires de tes spectacles ?

- Il y a d'abord eu une première contestation, aux tout débuts, qui venait des fascistes. J'étais naïve à l'époque, je ne me rendais pas compte du risque que je prenais à accepter de les recevoir pour parler sans témoins. Ils me parlaient à trois en même temps, me disant des choses comme : Vous défendez les Noirs, alors qu'ils vont nous envahir! Un moment, je leurai répondu : Vous perdez le respect de vous-mêmes. Là, ça les a calmés, ils étaient surpris.
Réglos à leur manière, ils sont repartis tranquillement en me disant qu'ils casseraient la gueule, non pas à moi, mais à ceux des spectateurs qui m'applaudiraient, le lendemain soir. Finalement, ils ne sont pas revenus... La phase suivante, c'est : J'veux pas payer ma place !

- Mais, en dehors des fachos ou de ceux qui ne veulent pas payer, il y a aussi les "divergences d'analyse" ?

- Une fois, il y en a un qui me dit : Camarade, as-tu fait l'analyse du pouvoir ? J'ai fait allumer la salle, c'est la seule fois qu'on a pu se voir au grand jour parce que d'habitude, ça se passe dans le noir. Ce sont des jeunes gens, jeunes filles, tous fils de bourgeois, tous bien planqués dans leur université. Pour être plus généreuse à leur égard, disons qu'ils n'ont pas pris la peine de s'interroger sur ce que c'est que le "métier d'artiste".
Il est vrai que c'est à nous, aussi, de faire une information là-dessus. Mais d'autre part, dans quelle mesure suis-je la sainte qu'ils attendent de moi ? Je suis une femme comme les autres. Je veux bien, si ça se trouve, qu'on en discute ensemble, en connaissance de cause, et qu'on essaie de faire quelque chose ensemble. Mais là, je réclame leur imagination autant que la mienne. N'empêche que, quand j'ai fait "Ras-la-trompe" et "Les militants", c'était une histoire d'amour. Il y en a qui ont été très émus par ce que je disais d'eux.  
Des "divergences d'analyse" ? Il y a eu : Tu chantes les Panthères Noires, pourquoi tu chantes pas l'impérialisme français au Tchad ? 0n ne peut pas tout connaître ni chanter sur tout; c'est quand même très compliqué, tout ça. Il y a eu : Ta musique n'est pas populaire ! Mais qu'est-ce que ça veut dire, "populaire" ? Là, je n'ai pas cédé et j'ai bien fait. Il y a eu des expressions comme "les sales intellectuels" de la part de gens qui nous réclament de signer des pétitions, même parfois sans nous laisser le temps de lire ce dont il s'agit...

- Un autre sujet de contestation courant - et peut-être, dans certains cas au moins, tout à fait compréhensible - concerne l'argent, les cachets, le prix des billets. Alors ?

- J'ai fait l'analyse : moi, ma petite personne, un peu connue tout de même, comment j'ai pu me retrouver dans la merde, financièrement, après vingt ans de chansons ? Il est vrai que j'ai choisi de ne faire que ce que je voulais, je ne m'en plains donc pas. Mais qu'on sache que je n'ai la qualité d'auteur, au point de vue couverture sociale, que depuis deux ans. Si je partais aujourd'hui en retraite, après vingt ans de secrétariat et vingt ans de chansons, j'aurais droit à une retraite de 700 (sept cents) francs par mois ! On m'a même menacé de me retirer la sécu en tant qu'auteur parce que je ne gagnais pas assez de droits !
Alors, j'ai réfléchi sur tout ça, sur les gens qui m'ont reproché de vivre (ou de m'acheter une maison) "sur le sang du Chili ou du Vietnam". Seulement il faut dire aux gens : c'est sur 50 ans qu'il faut juger la vie d'un artiste (moins dans mon cas, puisque je n'ai commencé qu'à 36 ans). Il peut arriver les pires choses, en cours de route. En ce moment, je sens un grand vent favorable autour de moi, je ne sais pas expliquer pourquoi mais c'est ainsi. Seulement ça tombe alors que je n'ai plus rien à dire. Et je ne veux pas céder à ce truc de blues où l'on essaie de me faire revenir. Je me dois donc de faire autre chose. Par exemple, je n'ai pas décroché pour l'écologie. Je pense aussi à la Pologne. Comment se fait-il qu'en 67 par exemple, j'étais au courant de ce qui se passait dans les pays d'Europe de l'Est mais je ne disais rien; pourquoi ? Je me laissais emporter par le mouvement. Je ne veux pi us, moins que jamais, me
laisser dicter une conduite.

Quelle(s) réflexion(s) t'inspire le fait que Chant du Monde s'apprête à publier une "intégrale" de ton "œuvre" ? Ça ne risque pas de faire un peu pompier ?

- Non, je suis flattée, parce que je trouve que ce n'est pas une œuvre considérable. Mais c'est une œuvre que j'estime et ce qui m'a rabattu le caquet (NDLA : d'une possible réticence), c'est qu'il y en a d'autres qui l'ont fait. Mais, surtout, c'est un moyen de sauver mes disques. Parce que j'y tiens, et quand les stocks actuels seront épuisés, ils risqueraient de ne pas être repressés. Alors, disons l'intégralité plutôt ! Si tu veux que ça ne fasse pas "pompier", fais-moi confiance pour le choix des termes de la présentation ! Et en plus, il y aura j'espère, en principe, deux inédits : le spectacle sur le conflit israélo-palestinien, dont on a déjà la bande, et un montage sur les travailleurs immigrés de Pennaroya. Et celui-
là ne coûterait pas cher à enregistrer, il suffit de peu de chose.

Justement, à propos d'"œuvre", n'avais-tu pas le projet d'écrire un livre ?

- Si, j'avais commencé, puis j'ai renoncé. Et je vais finalement le faire faire par un copain, enfin on va le faire à plusieurs et j'écrirai quelques passages. Je pense que la vie de tout le monde peut être intéressante, mais ça dépend comment c'est raconté. Or, je ne suis pas bonne juge de ce qui est anecdotique ou pas. Il ne faut pas tomber dans la biographie chiante. Alors il y aura différents éléments par différentes personnes, dont un passage d'analyse musicale.

Il faudrait dire un mot de tes musiques sur les poètes.

- Pourquoi j'ai fait ça ? La première fois, c'était après avoir été violemment prise à partie par des amis qui me disaient (à propos de mes premières chansons politiques) : T'as un style anti-poétique. Alors, je leur ai répondu : Apportez-moi des livres de poèmes. Et ce qui fut dit fut fait, ce qui a donné le disque CBS. Après, j'en ai fait quelques autres.

- Quelle est au juste l'incidence de... c'est délicat... du "complexe de la grosse dame" et, plus généralement, des problèmes de santé sur l'exercice de ton métier ?

- Vis-à-vis de ce métier, c'est justement là qu'on peut être foutue n'importe comment. Au début ça me gênait, un jour j'avais demandé à la patronne d'un cabaret : Que diront les gens à cause de mes jambes ? Elle m'a répondu : Ils diront "vos jambes !" si vous chantez mal. Non, j'en ai souffert surtout quand j'étais jeune. En scène, si je dois rester assise la plupart du temps, je me débrouille pour me lever, bouger quand il le faut. Et je te ferai remarquer que cette sciatique, ça s'améliore en vieillissant. Je serai une vieillarde diabolique ! Non, une fois seulement, quelqu'un m'a dit : On ne veut pas de toi à la télé parce que t'es trop grosse; ça m'a fait rire tellement c'est ridicule ! Ou une autre fois, on ne me prenait pas à l'Ecluse, j'ai M parce que je suis trop grosse pour passer la porte ? Ça m'a fait rigoler. C'est peut-être pour ça aussi que je suis antiraciste; il ne faut pas se laisser emmerder par des trucs qui n'en valent pas la peine.

- Est-ce qu'on t'a déjà dit que tu avais un rire pénétrant, qui faisait mal parfois ? Est-ce par exorcisme ?

- Oui, maintenant il fait mal. Quand j'étais plus jeune, il ne faisait que rire. On me disait que j'avais un rire très frais. Maintenant il est grinçant. Peut-être depuis que j'ai l'habitude d'ouvrir le journal Alors, exorcisme ? Oui, sans doute'.

- Le côté "féministe" est-il une préoccupation consciente de ton travail, par exemple quand tu écris ?

- Pas du tout. D'ailleurs, il n'y a plus actuellement qu'une catégorie de personnes pour venir m'engueuler, ce sont les féministes. Elles sont curieuses; ce sont des féministes qui n'aiment pas les femmes. Moi, si j'aime une femme, c'est parce que c'est une femme... ou un homme, parce que c'est un homme.

- Je voudrais que tu nous parles un peu des musiciens avec lesquels tu as travaillé ou vas travailler.

- Il y a eu Beb Guérin, bien sûr (1). En dehors d'un remarquable contrebassiste, je pense que c'était un homme trop fin, trop délicat pour la vie inhumaine qu'on doit mener. C'est aussi un exemple pour ces petits cons qui viennent nous faire chier. Beb est mort à 39 ans, il n'avait rien devant lui, tout juste une voiture depuis trois, quatre ans. Enfin n'exagérons pas, ce n'était pas la misère, mais la pauvreté alors qu'il aurait pu gagner beaucoup plus. Seulement voilà, il refusait de faire du studio, pour ne jouer que la musique qu'il aimait. Cela dit, il était sans doute suicidaire au fond de lui-même, mais la vie lui a été difficile, matériellement, et ça a dû jouer.
Il y a eu François Tusques, Bernard Vitet, qui m'ont beaucoup appris. Mickey Baker ? Il a voulu faire mon bonheur malgré moi, parce qu'il avait ses idées, il ne pensait qu'au commerce. Je lui disais pour le premier disque : C'est un peu twistant, non ? Il me répondait : Non, c'est rhythm'n'blues. Alors, je lui faisais confiance parce que je n'avais pas d'expérience musicale et en plus j'étais raciste à l'envers : un Noir devait savoir mieux que moi ce qu'il convenait de faire !
André Almuro m'a fait progresser, m'a apporté des choses, car je ne connaissais pas du tout la musique électronique. Avec Michel Puig, j'ai fait quatre titres en musique contemporaine. Et, présentement, ça devrait être Anne-Marie Fijal, pianiste et compositrice, avec laquelle je souhaite une association comme ça a été avec Beb. J'ai d'ores et déjà écrit un petit texte de présentation sur elle :
    Une femme-piano
    un piano-femme
    la maîtrise du porte à bout de bras
    l'audace du porte à bout d'amour

- J'ai entendu parler d'un projet de spectacle et de disque sur Antonin Artaud : où en est-on exactement ?

- Le prochain spectacle s'appelle Le Périphérique est malade, mais la cité reste entière. Cela commence par un montage de textes d'Artaud (cette partie fera l'objet du nouveau disque), ensuite ce sont des choses de moi pour la plupart, mais... qui ne sont pas encore toutes écrites. C'est prévu pour être créé en janvier 83 au Dejazet. Artaud, c'est mon frère. Plein de gens se reconnaissent en lui. J'ai un petit texte de présentation... :

ANTONIN, mon frère, je t'eus connu, je t'eus tue
Momo, môme chiant, je t'ai aimé à première écoute
Je t'aime encore
Tu as craché, vomi, excrémenté pour tous les enfants du monde
Fruit préféré, tu es mon noyau de cerise
La terre, la garce, a tourné autour de toi
Je suis fîère de toi, pépère,
Moi, sur le pèse-nerfs, j'ai cassé la bascule
 1/2 siècle passé à doubler de volume
par grands paquets en plus en moins
Je me suis bousculée le tempérament
Au secours, ma douceur, je me démuraille
On court dans te désert, on court dans la steppe
On est toujours au coin de la rue, misérable
D'espace en espace on pédale, toujours dans la semoule
Je t'aime, Momo, parce que lu as osé basculer dans le manque total
Rien de pire, rien de plus beau ne peut me faire exister
J'en meurs.  
                                                                                     (CM.)

Une de tes récentes "bios" de presse disait que tu ne te considérais plus "en état d'urgence, politiquement, depuis le 10 mai 81 ". Ça m'a plutôt... surpris. Alors, aujourd'hui ?

- C'est devenu faux. Je l'ai cru un mois peut-être. Ça m'a fait une joie parce que je ne m'y attendais pas sur le moment, mais c'est vite devenu caduc. Ça n'a pas de rapport avec le gouvernement, mais j'étais contente pour la France. Je pense qu'il y a beaucoup de gens honnêtes parmi les membres du gouvernement, seulement ça ne suffit pas ! L'honnêteté, en politique, ça ne paye pas. Quand ils veulent faire une campagne d'explication, comme récemment Mitterrand, j'ai trouvé ça très touchant, tout en me disant : Mais est-ce qu'on va les entendre ?
Tu me demandes si, sur la police, les "libertés", etc., je crois qu'il y a vraiment un changement ? Eh bien oui, malgré les conneries de Monsieur Defferre, je me sens mieux dans les rues de Paris, je crains moins la police qu'avant. Mais c'est comme ça que je le sens, je me fais peut-être des illusions...

Il y a quand même eu des tas de promesses électorales non tenues : sur la remise en cause du programme électronucléaire, par exemple. Ça ne te fait pas chier qu'ils continuent à très peu près la même chose que sous Giscard ?

- Eh oui, mais je pense qu'ils y sont acculés. Ou alors, si on dit : Il faut tout foutre en l'air, que ce soit avec des citoyens pleinement conscients des dangers, et prêts à sacrifier une part de leur confort ou de leur bien-être matériel pour les conjurer. Juste un exemple : dans mon bled du Sud-Ouest, on organise une soirée antinucléaire : 250 personnes. Juste à côté, il y a le moto-cross : 11.000 personnes. Je me dis, je leur dis : Tant que cette proportion ne sera pas inversée, c'est comme ça qu'ils auront (ou qu'ils se préparent à accepter) la guerre nucléaire. Cela dit, est-ce un gouvernement socialiste qui peut, qui doit à lui seul provoquer un tel renversement ? Alors, peut-être qu'il y aura un soulèvement sur des bases qui concernent le bifteck, et que ça débouchera sur un capitalisme d'état ? Bon, et puis après ? Est-ce qu'il y aura pour ça des rapports plus beaux entre les gens ?

Quand tu écoutes d'autres chanteuses françaises, t'arrive-t-il de penser en avoir influencé certaines ?

- Non, ça ne m'est jamais venu à l'esprit. Il y a eu des gens qui me l'ont dit, alors si c'est vrai, ça me fait plaisir. Et pas forcément des femmes, d'ailleurs. Récemment, il y a un type quia fait écouter une de ses bandes chez Chant du Monde, et il avait la même façon de chanter. On me l'a fait remarquer, c'est marrant d'ailleurs. Mais moi, je ne m'en rends pas tellement compte.

- S'il était possible de remettre le compteur à 1962, mais en sachant ce qui a suivi, est-ce que tu te lancerais dans la chanson ?

- Ah oui, sincèrement. Pourtant c'est dur, ça l'a été surtout ces deux dernières années. Mais j'ai été gratifiée au-delà de ce que j'aurais pu espérer. J'étais déjà contente, quand je travaillais à mon bureau, qu'il y ait deux ou trois copains pour aimer ce que je chantais. Maintenant, je reste peut-être inconnue du "grand public", mais il y a mettons 40.000 personnes qui connaissent ce que je fais, c'est fabuleux, même s'il faut supporter les difficultés que ça entraîne.
J'ai pris des goûts de liberté, non seulement d'expression, mais de vie, tels qu'il me serait impossible de revenir en arrière, de faire autre chose. Quoique j'aie du mal à le faire, en ce moment. Il y a plus de douleur que de jouissance, au moment d'écrire. Pourtant, cette fois-ci, il s'agit d'écrire non plus sur les autres, mais sur moi.
Là, je sais de quoi je parle, quand même ! Au fond, peut-être que j'ai du mal parce que ça engage plus, quand on parle de soi-même

Propos recueillis par Jacques VASSAL

- Contact : Béatrice Soulé / Nicole Higelin, 10, impasse Chandon, 75015 Paris (tél. 558.45.32/557.40.54), ou Le Chant
du Monde, 24/32, rue des Amandiers, 75020 Paris (tél. 797.25.39). 

(1) Beb Guérin s'est suicidé en 1981.

 

         

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