Télérama n° 2040 - 15/02/1989
Après 25 ans de colères free-jazz et de coups de blues, Colette Magny s'attaque à la pintade. Banquet prévu fin juin. Si tout va bien. Pour l''heure, Magny
collecte.
Un soir de l'outomne dernier, Colette Magny chantait à Paris. Anne-Marie Fijal l'accompagnail en pinçant les cordes du piano. Magny jouait à ses côtés, de la guitare, ou
grommelait en triant ses partitions. Lançait sa voix formidable sur des dissonances free, des lamentos blues, des poètes français ou des chœurs de prêlres basques. Riait, raillait,
râlait, houspillait un public cajoleur et ravi. Magny, quoi, comme on l'aime depuis vingl-sept ans.
Après, on est allé lui dire merci et bonsoir beaucoup, dans sa loge. Coupant court aux éloges, elle a suggéré : "Faudra qu'on parle un jour de ma Pintade... " Un jour,
on l'a retrouvée chez elle, rue de Flandre. On a mangé des petits volatiles, ce n'était pas de la pintade. Elle a ri et parlé, écouté, questionné. On s'est rappelé ses vingt ans
de dactylographie bilingue à l'OCDE, sa démission subite pour aller chanter une semaine à la Contrescarpe. Et puis il y a eu Melocoton, et son passage à l'Olympia, en 63,
au programme de.. Johnny et Sylvie. Et puis il y a eu..
Il y a eu toutes ces années de bataille, de colère, de doute, de désespoir, d'indignation têtue, de résistance farouche à la rési gnation. Et toujours Magny, inlassable, inclassable.
Audacieuse dons ses choix musicaux, du free jazz aux spirituals made in Magny ; inventive dans son écriture, chroniques-collages, chansons-enquêtes, sur la vie d'un OS à l'atelier
de plomb de Pennaroya, de mineurs, de curés basques, témoignages sur les cages à tigres du Vietnam, travail avec les enfants d'un Institut médico-pédagogique vosgien. Magny griot de la
tnbu France. Et encore Magny interprète : hommages à Marilyn Monroe et Antonin Artaud, adaptations de Bessie Smilh, Billie Holiday, Cole Porter, mises en musique de Rilke, Louise Labé, Lewis
Carroll, Verlaine, Hugo, Aragon, Tzara... Et de mots d'elle, aussi. « Je suis un pachyderme de sexe féminin. Ras la trompe ! »
Le pachyderme et la pintade se sont rencontrés à l'été 69, sous le pont du Gard. La chanteuse a écouté un éleveur parler avec passion de cet animal bizarre auquel il venait de consacrer une
thèse. "Certe messagère, témoin de tant d'époques troublées, son destin balloté au gré des errances humaines, son désir persistant de communiquer avec l'homme, son caractère irréductible, sa
fragilité et sa revendication farouche à être libre me la rendirent aussifôl fraternelle", dit Maony, qui rêve bientôt de lui consacrer un opéra...
Et voilà. Vingt ans après, rue de Flandre, Colette Magny s'est mise au piano. Elle a commencé à chanter des choses étranges et belles. La pintade remontait le temps. Compagne d'Isis, intime
des dieux grecs, native d'Afrique, peu à peu elle a pris son vol. Libre et rebelle, rescapée des bateaux négriers, émigrée, exilée, la sauvageonne devenait, au fil de la voix de Colette et des
compositions de Fijal, un opéra : Kevork ou le délit d'errance, sous-iiire "Poème lyrique et grave à propos de la bestiole pintade"... Bien sûr, cet opéra, Colette Magny rêve de le
graver sur disque et de le mettre sur scène. La scène, ce sera pour fin juin, au festival de Belfort. Le disque... Vous me voyez venir?
Magny n'a plus de maison de disques, et pas d'argent. Alors, elle lance une souscription pour que Kervork prenne son essor. "Pintade indomesticable", comme elle dit, mois mélodieuse, elle, la
chômeuse nous propose de prendre part à son aventure. Nous, on est partants. Et vous ?
ANNE-MARIE PAQUOTTE
Kevork ou le délit d'errance, album : 80 F, cassette: 80F, compact: 120F, plus 15F de frais d'expédition. Chèques bancaires ou postaux à l'ordre de Colette Magny Promotion, à envoyer
avec vos nom et adresse à S. Vadureou, 52, rue de Flandre, 75019 Paris. Si tout va bien, sortie en juin.
Colette Magny, une voix formidable, inclassable, inlassable.
Image : F. VERNHET/BIRMA PRESSE