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13 janvier 2016 3 13 /01 /janvier /2016 14:39

Au fond de mon couloir, derrière la pénombre où il s'achève, j'accède à un placard, un boyau où, depuis longtemps, je ne descends plus jamais. Mais ce jour-là, quelque chose me poussa à affronter les ténèbres. Comme pris d'une griserie, je m'armai d'une lampe et plongeai dans un siècle de poussière. A tâtons, j'écartai deux trois planches et glissai la main dans un recoin pour en extraire un trésor oublié. Revenu à la lumière, je m'aperçus que je tenais une galette, la plus belle galette qui soit, luisante et noire, jetant autour d'elle un éclat d'anthracite. Un disque vinyle intact dans sa pochette ! L'album de Colette Magny, sorti en 1972 : Répression. Sur la face B, un titre : Chronique du Nord. Dieu merci, j'avais encore ma vieille platine stéréo. Ce que j'entendis avait toujours la même force que quarante années plus tôt. La force des mots, la force du chant, la force d'une artiste. Jugez par vous même en cliquant ici

Plus simplement, j'en ai ci-dessous transcrit le texte, avec son orthographe et sa ponctuation. Ensuite je dirai mes émotions, mes commentaires et quelques hypothèses.

CHRONIQUE DU NORD (Colette Magny) (Bou Bou YeYe, le cri des femmes de mineurs en grève)

Ils habitaient un village de la Flandre wallonne Ils avaient grandi ensemble lentement dans les hauts herbages dans la poussière des routes, dans la senteur âcre des fermes, Dans les fossés, on allait se laver la figure ou je ne sais trop quoi avec les rats Ils devisaient dans les chemins creux côte à côte, d'un pas lent et monotone sérénité des prairies grasses, des larges fleurs et des grands bœufs qui y suivaient leur songe obscur.

Mais il faut que tu partes chez les bourgeois apprendre les manières de la ville, si tu veux savoir tenir ton ménage à Douai.

Elle est partie, il ne dort plus les abeilles bourdonnent dans les hautes ciguës assis dans les branches d'un saule - quand la lune se lève, ça rend sa silhouette si bizarre les paysans attardés le prennent pour un merlifiche (1), pour quelque jeteux de sort, venu de Belgique. Il rôdait toujours au bout du pays, le niquedouille, les yeux fixés sur l'horizon...

Comment ça se fait qu'à 38 ans je suis là que je m'étouffe ? - Qu'est-ce que tu veux à manger ? - J'ai pas faim, j'ai mangé 75% de poussière Ferme la fenêtre, j'ai froid Ouvre, j'ai chaud, j'étouffe Allume le feu,éteins-le Fais pas la lessive, j'étouffe Ah ! ces gosses, j'peux plus les supporter Comment ça se fait qu'à 38 ans je suis là que je m'étouffe ? Mon copain, y m'appelle "le Vieux"...

Le four de fonderie de zinc des Asturies dégage une fumée qui fait tout mourir : les arbres ne poussent plus, et si tu vois encore de l'herbe, c'est sur les terrils ; les terrils, c'est pas des collines au pays des mines...

BOU BOU BOUYEYE...

Tu vois, je ne peux pas imaginer que ce ne soit pas la ville des oignons Wagnonville Y'a ceux du Marais, y'a ceux de la Ville Nous du Marais on s'accroche au patois du Nord on a du caractère, on se fera pas enterrer à la ville à Wagnonville Mais ça nous empêchera pas de préparer ensemble des chansons Pour les élections - on remettra pour plus tard les concours de pinsons à Wagnonville

Grand'mère était ouvrière dans une filature elle économisait chaque jour son sou de bière pour acheter des meubles pour marier les enfants ils seront instituteurs, quoi de plus beau ! C'est du beurre à 30 sous, qui faut diabolo !

Elle m'a raconté qu'un soir à Sin Le Noble, le Roi Soleil était arrivé près la bataille : il avait demandé à manger des choux ça arrange les intestins et puis ça les dégonfle après l a fait dans les draps, l'odeur reste, ça sent (2) le noble, à Sin Le Noble.

Grand-père s'est reconverti, finie la mine le voilà marchand d'os, ferrailles, peaux de lapin ; à pied, brouetteur de marchand de couvertures ah ! quel métier de chien (3) !

Tiens, voilà les drapeaux rouges sur la route de Oisier (4) , quel danger ! Ma mère elle est chrétienne, papa va de l'avant "s'pèce de socialiste, va" qu'elle lui dit, maman Mais quand elle entend l'Internationale à l'unisson, une série de personnes qui chantent avec conviction, a lui remue les boyaux (bis)...

BOU BOU BOUYEYE

Le médecin des houillères comprend, il ne vient pas voir ce qui se passe au fond faut descendre à la fosse, pas une fois, pas un jour, mais 10 ans, 15 ans - savoir ce que c'est que d'étouffer, de prendre des cailloux sur la gueule, attendre des heures au bureau pour avoir un papier aller sous la pluie à bicyclette avec 40 de fièvre au centre Comment ça se fait qu'à 38 ans je suis là que je m'étouffe ? Mon copain, y m'appelle "le Vieux"...

Le four de fonderie de zinc des Asturies dégage une fumée qui fait tout mourir : les arbres ne poussent plus, et si tu vois encore de l'herbe, c'est sur les terrils ; les terrils, c'est pas des collines au pays des mines...

Ma mère m'a dit : T'es qu'un godailleux, t'as dépensé des sous qu'on n'avait pas dans la bourse ; faut payer la maison" Y'a de jolies fraises, des jolies fraises à Anolin (5) J'irai les cueillir chez le voisin à 4 h, tous les matins, faut payer la maison... mais y'a la grève à Flers

BOU BOU BOUYEYE BOU BOUYEYE...

C'est le cri des femmes de mineurs, mains nues dans les rues Pas de fourches, pas de faux, mais j'ai peur, oui, j'ai peur bien que je sois fils de mineur ; mais moi, je serai instituteur, et je veux jouir de la retraite le plus longtemps possible et toutes ces femmes, elle me font peur

BOUYEYE...

Adonis, t'as la drisse (6) - Pharmacien, une petite médecine pour la fille du diable qui a mal à son ventre !

BOUYEYE...

Comment ça se fait qu'à 38 ans je suis là que je m'étouffe ? Mon copain, y m'appelle "le Vieux"...

BOU BOU BOUYEYE...

1 En argot, un saltimbanque, un vagabond 2 Qui se prononce "sint" en patois 3 tier de chien, en connaissance de cause, puisque ces petits métiers nécessitaient à l'époque l'usage de "carrettes à quiens". Il en passait encore dans les années 60 : « Chiffons! Peaux d'lapin, peaux ! » Quant au marchand d'os, ce serait ce qu'on appelait ailleurs un regrattier, qui fait commerce d'articles de seconde ou troisième main, voire de rebuts : « Às' oches ! Às' oches ! » m>4 Waziers, bien sûr 5 Annoeullin, à 25 km de Douai ? 6 Picardisme dont chacun connaît le sens. Quant à Adoniss', il est sans doute là pour la rime, et de la même famille populaire que Narciss' (le tiot Quinquin) et Baptiss' (qui est toudis contint).

Voilà pour le texte de cette longue chanson (8'35" : on n'en fait plus des comme ça aujourd'hui). Avant ce disque, Colette Magny avait déjà chanté la mélancolie de l'enfance (Melocoton - 1965, la chanson bluesy qui l'a fait connaître), sa solidarité avec les peuples vietnamien et cubain, avec les ouvriers en lutte des chantiers navals de Saint-Nazaire... Elle s'était faite aussi l'interprête de poèmes de Victor Hugo, de Pablo Neruda, d'Arthur Rimbaud, de Max Jacob, d'Antonio Machado, etc. Ici, en 1972, elle dit la chronique de gens du Nord. Comment elle, la Parisienne née d'un père bourguignon et d'une mère poitevine, en est-elle venue à s'intéresser au peuple de la mine ? Sa biographie, dans le Maîtron (Dictionnaire biographique des mouvements ouvrier et social), apporte cette information : « Son concierge, originaire du Nord lui fit découvrir le milieu populaire des bassins miniers, expérience qui l’inspira. » Une précision : Colette Magny, à l'époque, habitait à Paris, 52 rue (devenue avenue) de Flandre, dans le 19ème arrondissement (où il y a maintenant -depuis 2013, à deux pas, une rue Colette-Magny).

Quand on regarde la discographie de la chanteuse, on voit qu'elle n'a jamais cessé de se faire la porte-parole de opprimés de toute sorte : les ouvriers, les femmes, les immigrés, les enfants d'un IMP... Comme si elle voulait : « écri[re] une sorte de chronique en blues de la France d'aujourd'hui, (et toujours en) faisant intervenir des acteurs réels. » (d'après "Cent ans de chanson française (1907-2007)" de Louis-Jean Calvet - Ed. L'Archipel). En 1967, c'est la grève des chantiers navals de Saint-Nazaire qui la mobilise. Et, la même année, elle réagit au conflit qui gagne les usines Rhodiaceta de Lyon et du Péage-de-Roussillon. En 1971-1972, on la verra auprès des immigrés grévistes des usines Pennaroya de Lyon.

Dans les années qui ont précédé la sortie de l'album "Répression", je n'ai pas trouvé trace de grève dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Des drames certes. Ainsi le 24 mars 1969, une cage de bure chute dans le puits de la fosse no 10 des mines de l'Escarpelle du Groupe de Douai à Leforest et tue cinq mineurs. Et le 14 avril 1971, quatre mineurs périssent lors d'un accident en raval du puits de la fosse no 4 des mines de Lens. le 28 novembre de la même année, quatre mineurs périssent lors d'un éboulement dans un dressant de la fosse Barrois des mines d'Aniche du Groupe de Douai à Pecquencourt.

J'en déduis que c'est ce genre de nouvelles ajouté à ce que son concierge lui a raconté de la vie des mineurs qui a amené Colette Magny à son projet de chanson. Pour écrire celle-ci, elle adopte la méthode du reportage pour reprendre le mot de Claude Fléouter dans Le Monde du 9 mars 1977 : « sa Chronique du Nord, un de ses meilleurs, de ses plus solides blues d'actualité - écrit après un véritable reportage dans des entreprises du nord de la France et qui mêle images, témoignages, émotions. » Voici ce qu'en dit Colette Magny ellemême dans un article paru dans Rock & Folk d'avril 1973 : « j'attache plus d'importance aux textes qu'à la musique. En tout cas, de plus en plus, les textes ne sont pas « de moi » : ce sont des collages, ou des chansons «semi-collectives». Par exemple, la Chronique Du Nord : pendant trois voyages, j'ai noté tout ce que les gens avaient dit et je leur ai envoyé une première bande pour la modifier ensuite en tenant compte de leurs remarques. »

Où ces voyages ont-ils mené Colette Magny ? À lire le texte de la chanson, on est tenté de répondre : dans le Douaisis. En effet, successivement, sont évoqués : la Flandre Wallone, Douai (et sa bourgeoisie), la Belgique (d'où viennent les jeteux de sort), la fonderie des Asturies (Auby), Wagnonville (dite la ville des oignons), le Marais (celui de Wagnonville, le Frais-Marais ou le Marais de Sin ?), les villes à filature, Sin-le-Noble, Oisier (Waziers), Anolin où l'on cultive la fraise (Annœullin ?) et Flers où il y a la grève. Chez qui a-t-elle été reçue ? Qui a-t-elle rencontré ? Je n'ai, pour répondre à ces questions, rien retrouvé qui me mette sur une piste. A-t-elle visité une fosse ? A l'époque, relevant de la société des mines d'Aniche, quatre ou cinq puits étaient encore en activité. Ainsi, à Sin-le-Noble, la fosse Puits du Midi (fermée en 1973) ; à Waziers, la fosse Notre-Dame et la fosse Gayant (en tout quatre puits fermés en 1978). Quant à la fonderie des Asturies, elle est toujours en activité et appartient aujourd'hui au groupe Umicore.

Qui écoute "Chronique du Nord" , même aujourd'hui, quarante-deux ans après sa sortie, se retrouve scotché par la sincérité et la puissance du témoignage. Car cette chanson marche, encore et toujours, fonctionne comme une mémoire vive : un pays autrefois rural, la séduction de la ville, les vieilles superstitions et les peurs nouvelles (la silicose, le poison du four de fonderie, la grève aussi...), l'attachement au patois, l'alternative du travail en filature, l'espoir d'un changement de vie (devenir instituteur), et ce cri des femmes : « Bou bou bouyéyé ! ».

À ce propos, sur internet, je suis tombé sur la version numérisée d'une étude datée de 1911, "The Real France", écrite par Laurence Jerrold (1872-1918), journaliste, essayiste et critique dramatique installé à Paris. C'est lui qui a couvert pour The Telegraph la catastrophe de Courrières du 10 mars 1906. Voici ce qu'il écrit, à la page 98 du chapitre IV ("England, France, and Socialism") :

To this day open-air meetings are forbidden, and public opinion on the whole approves of their being dispersed instantly by armed force. I have seen three workmen knocked down and carried kicking away by the Paris police on the deserted Place de la Concorde because some strike committee had announced a meeting there. In the coal- mining districts of Northern France one heard for years at strike times mystic and childish chants of " Bou, bou, bou ye ye ! ' The explanation was that " Vive la greve ! " until a few years ago was a " seditious " cry, rendering the utterer liable to some six months' imprisonment, so the men translated the words into a gibberish of their own invention. Now " Vive, vive, vive la greve ! " is tolerated, while dragoons, hussars, and mounted gendarmes look grimly on, pouncing every few moments on rassemblements of three or four men arm-in-arm, " dispersing " them, and running them in if they " commit rebellion," which they always do.

(Ma traduction) A ce jour, les réunions en plein air sont interdites, et l'opinion publique dans l'ensemble approuve qu'elles soient sur le champ dispersées par la force armée . A Paris, sur une Place de la Concorde déserte, j'ai vu trois ouvriers jetés à terre et molestés à coups de pied par la police parce que un obscur comité de grève avait annoncé la tenue d'un meeting à cet endroit. Dans les districts miniers du Nord de la France, on entendit pendant des années lors des grèves scander ce slogan à la fois cabalistique et enfantin : « Bou , bou, bou ye ye ! » A cela, une explication : « Vive la grève ! » jusqu'à il ya quelques années était considéré comme un cri « séditieux» , et qui le proférait était passible d'une peine de quelques six mois de prison, de sorte que la population l'a traduit dans un charabia inventé pour la circonstance. Maintenant «Vive , vive , vive la grève ! » est toléré... sous la surveillance sinistre de dragons , hussards et gendarmes à cheval , prêts à s'abattre à chaque instant sur tout rassemblement de trois ou quatre hommes bras dessus, bras dessous , prêts à opérer leur « dispersion », et à les arrêter au cas où ils se « rebelleraient », ce qu'ils ne manquent jamais de faire.

Ainsi donc scander "Bouyéyé !" comme fait Colette Magny est une manière déguisée de crier : "Vive la grève !". Nulle part ailleurs, je n'ai trouvé d'autre commentaire sur cette information. Comment la chanteuse en a-t-elle eu connaissance ?

Il est évident que Colette Magny a su respectueusement être à l'écoute d'ces gins qu'elle a pu rencontrer. Elle a ainsi gardé trace de l'espièglerie populaire de ses informateurs : la graphie faussement aléatoire de Oisier, mis pour Waziers, rappelle le surnom (le "nom jeté") donné aux Douaisiens : "les vint' d'osier" (ventres d'osier) ; autre facéties avec Wagnonville, dite la ville des oignons, et surtout ce qu'elle a noté à propos de Sin-le-Noble. Cette anecdote croise à la fois le souvenir historique du siège de Douai en présence du roi Louis XIV (début juillet 1667) et l'affabulation (quoique... On sait que Louis XIV était friand de choux), dans la veine des mythologies populaires visant à expliquer tel toponyme ou telle particularité géographique. Pour expliquer l'origine du nom Sale-Village, commune du Maine-et-Loire, les habitants des environs racontaient que la Pompadour y était descendue de son carrosse... les pieds directement dans la boue : « Ah, quel sale village ! » aurait-elle lâché. Et cette autre légende pour expliquer comment Rebreuve-sur-Canche, dans l'arrondissement d'Arras possède un Bois de Gargantua et deux petites collines (dites Monts Blancs) : le géant s'y serait arrêté et y aurait décrotté ses souliers ; quant à la Canche, elle serait le produit de son pissat. Et cet autre exemple cette fois (comme pour Sin) dans la veine scatologique. Je l'ai entendu dans mon enfance à Armentières pour expliquer le nom de deux communes voisines : Gargantua (encore lui) cherche ses fils disparus près de la rivière (la Deûle) ; il les appelle, ils répondent : « Père, in chie ! » et il vit "d'eux les monts". Voilà Pérenchies et Deûlémont rhabillés pour l'hiver, autant que Sinle-Noble (En fait, le toponyme Sin est attesté dès 1117 et mérita l'extension "le Noble" en 1355 pour son soutien à Jean le Bon).

Je n'ai malheureusement rien trouvé à propos de l'identité du premier informateur de Colette Magny. Le hasard m'a donné cependant le nom d'un autre concierge parisien (je n'ose imaginer qu'il s'agisse du même), Félix Picques, ancien mineur et qui se souvint de la mine en peignant des tableaux qu'on qualifiera de naïfs, tableaux récupérés par un galeriste parisien.

Un commentaire maintenant sur la démarche artistique de Colette Magny. Elle écrivait, composait et chantait comme, en son temps et aujourd'hui, agit le plasticien Ernest-Pignon- Ernest : rendre à la rue sa mémoire, à la fois en la magnifiant (jeu de mot facile) et en refusant toute appropriation artistique.

On connaît d'Ernest-Pignon-Ernest le portrait grandeur nature d'Arthur Rimbaud collé sur des murs parisiens et voué à l'usure du temps. Ce n'est pas une surprise de le retrouver dans l'illustration de la pochette de l'album Répression : -un terril, un chevalement, un groupe de mineurs- et, sur un format plus grand, une tête d'homme (un mineur) non pas signé ErnestPignon-Ernest mais identifié par les initiales de l'homme représenté (J.B.).

1972 : Colette Magny chante Chronique du Nord

Colette Magny mêle à sa narration des phrases entendues lors de ses reportages préliminaires, donnant la parole à ceux qui ne l'ont jamais, ou si rarement. Elle s'efface derrière ces propos d'autant plus forts qu'ils sont rapportés sans apprêt aucun. Les critiques ont parlé de chanson-collage qui, peut-être, a son origine dans le genre du poèmeconversation cultivé par Guillaume Apollinaire (un exemple : le poème Les Femmes dans le recueil Alcools). Manière ensuite cultivée par les surréalistes et, plus récemment, par les poètes de la Beat-Generation (le procédé du cut-up, lui-même repris à certaines occasions par le poète natif de Guarbecque Lucien Suel).

Comme l'écrit Jacques Vassal dans son essai "Français si vous chantiez" (Ed.Albin Michel, 1976), « Cette tranche de vie d'une famille de mineurs du Nord de la France est à notre réalité ce que le « North country blues » de Bob Dylan est à celle des Américains. Et le parallèle n'a rien de gratuit : non seulement le sujet est presque le même mais, dans un cas comme dans l'autre, l'auteur au lieu de parler des mineurs et de leurs familles, les fait parler eux-mêmes. Répercutant leurs propos entendus sur place, il n'est plus que leur porte-voix, leur interprète auprès du monde extérieur.»

Un mot enfin sur la musique. Les autres chansons de l'album Répression sont très marquées Free-Jazz. En effet, 1972 a connu un bel essor des expérimentations musicales que d'ailleurs ne programmaient pas les radios de l'époque : pour entendre Brigitte Fontaine (Ah! Comme à la radio - 1969), Catherine Ribeiro ou Colette Magny, il fallait se contenter du disque ou, mieux, du concert. Pour Chronique du Nord, Colette Magny a pris le parti du minimalisme à la fois vocal et instrumental : d'un côté un sorte de parlé-chanté bluesy idéalement servi par une voix chaude et grave, de l'autre une guitare et deux discrètes contrebasses (Beb Guerin et Barre Phillips).

Justement, à propos de concerts, voici ce que j'ai retrouvé des passages de la chanteuse Colette Magny dans le Nord de la France (et au-delà) :

- le 19 février 1968 : au théâtre Sébastopol à Lille (avec John William) - en mars 1969 : à Seraing, en Belgique - en 1971: à la MJC de Croix - le 15 mai 1973 : à l'Université de Louvain, avec les dockers en grève - en 1975 pour le 1er Mai à Dunkerque, avec Ernest-Pignon-Ernest elle fait spectacle pour les dockers : peintures, affiche, concert - le samedi 4 février 1978 : à Lille, salle de la Marbrerie - et quelques autres occasions de l'entendre sur scène : à Ronchin, à Aulnoye-Aymeries...

Par ailleurs le chanteur Jacques Douai avait mis à son répertoire une composition de Colette Magny sur le poème de Victor Hugo, Les Tuileries et, dans un disque réalisé avec d'autres artistes, on peut entendre Colette Magny donner sa propre interprétation de la berceuse du P'tit Quinquin. (Pour écouter -à 5'56"- cliquez ici).

En conclusion, ces deux lignes tirées du Maîtron (déjà cité). Colette Magny : née le 31 octobre 1926 à Paris, morte le 12 juin 1997 à Villefranche-de-Rouergue (Aveyron) ; auteur-compositeur-interprète ; figure majeure de la chanson engagée dans les années 1960-1980.

Jean-Luc Doutrelant

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commentaires

L
Très bel article ! J'ai toujours dans ma collection ce superbe vinyle !
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